Mis à jour le 26.11.2019
L’agent pathogène de la maladie du sommeil est transmis par la mouche tsétsé. Son nom ? Trypanosoma brucei, un parasite qui compte diverses sous-espèces. Vincent Jamonneau et Thierry De Meeûs de l’IRD tentent de cerner l’une d’elles, Trypanosoma brucei gambiense 2, qui ne serait peut-être pas celle qu’on croit.
La maladie du sommeil ou trypanosomiase humaine africaine, transmise par la mouche tsétsé, est une maladie tropicale négligée (MTN) MTN : Groupe de maladies pour lesquelles le fonds mondial ne financent pas la lutte et qui persistent dans les populations les plus vulnérables, alors qu’elles ont disparu ailleurs avec l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène.1 , confinée dans les régions les plus pauvres et/ou reculées de l’Afrique sub-saharienne, qui est mortelle en l'absence de traitement. La trypanosomiase animale africaine est quant à elle connue sous le nom de nagana.
Ces deux pathologies sont dues à trois sous-espèces du parasite Trypanosoma brucei. Le trypanosome T. brucei brucei (Tbb) n’affecte que les animaux. T. brucei rhodesiense (Tbr) est responsable d’une forme aiguë de la maladie du sommeil en Afrique de l’Est. Quant à T. brucei gambiense (Tbg), il en entraîne une forme chronique en Afrique de l’Ouest et Centrale, et se répartirait en deux groupes. Tbg1, le mieux connu, est retrouvé chez la plupart des malades, tandis que Tbg2 est beaucoup plus rare et mal connu. Toutefois, dans la mesure où ce dernier infecte l’être humain, Vincent Jamonneau et Thierry De Meeûs, respectivement parasitologue et écologue – généticien des populations IRD dans l’unité INTERTRYP, à Montpellier, ont décidé de passer en revue les connaissances disponibles sur cet « unusual suspect » comme ils le qualifient.
Des liens de parenté complexes
Les données actuelles confirment qu’il existe bien des trypanosomes génétiquement différents de Tbg1 qui, comme lui, sont responsables de la maladie du sommeil en Afrique de l’Ouest et Centrale. Ils ont notamment été décrits en Côte d’Ivoire entre 1978 et 1992, et plus récemment au Ghana en 2003 et 2013. En revanche, il est impossible de les différencier de Tbb, la sous-espèce qui n’infecte que les animaux. « Il se peut donc que Tbg2 soit un sous-groupe de Tbb qui aurait un ancêtre commun avec Tbg1, et qui aurait ainsi acquis la capacité d’infecter les humains », indique Thierry De Meeûs. Il n’est pas non plus exclu que certains Tbg2 soient issus de croisements entre Tbb et Tbg1, « même si cela semble peu probable », relativise Vincent Jamonneau. Bilan, pour l’instant, « nous ne pouvons pas donner de définition précise de ces trypanosomes que nous continuons à appeler Tbg2 pour les différencier des Tbg1, reconnait le chercheur.
Distinguer pour mieux lutter
« Cependant, même s’ils infectent encore peu de personnes, nous devons mieux les caractériser. En effet, grâce aux campagnes d’élimination dont Tbg1 fait l’objet, il semble en passe de disparaître, puisque moins de 1 000 cas ont été rapportés en 2018. Conséquence ? L’immunité acquise [contre la maladie du sommeil, ndlr.] devrait baisser. Les gens pourraient alors se révéler plus sensibles à Tbg2 », souligne Vincent Jamonneau. En outre, « ce sera d’autant plus problématique si ces souches se révèlent capables de passer des animaux aux humains, » complète Thierry De Meeûs.
Forts de ce constat, les chercheurs ont décidé de percer les mystères de ces trypanosomes. Ils vont pouvoir s’appuyer sur les quinze souches de Tbg2 isolées depuis 1959 – les seules disponibles aujourd’hui dans le monde entier – qui sont stockées dans divers laboratoires. Une fois qu’elles auront été rassemblées à Montpellier, l’équipe va tenter de comprendre comment ces trypanosomes résistent au système immunitaire des humains mais aussi des animaux, et identifier un moyen de les détecter. Leur objectif : trouver qui se cache réellement derrière ces Tbg2.