Un cochon noir couché dans l’eau boueuse d’un marigot.

Les cochons élevés en liberté aiment à vivre dans les marigots, points d’eau ombragés, tout comme les mouches tsé-tsé qui peuvent les piquer à volonté.

© IRD - Vincent Jamonneau

Maladie du sommeil : les cochons en liberté questionnent

Mis à jour le 12.04.2022

Des travaux scientifiques explorent l’existence d’un réservoir animal de Trypanosoma brucei gambiense, agent de la trypanosomiase humaine africaine, chez des cochons en Côte d’Ivoire. Les derniers résultats interrogent sur la pérennité de la toute récente élimination de cette maladie dans le pays, mais aussi sur la proximité entre souches très voisines de parasites humains et animaux et sur la fiabilité des techniques pour les distinguer.

Les équipes mobiles de dépistage, ici dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire, permettent de déceler et traiter les sujets infectés dans les foyers de la maladie du sommeil.

© IRD - Vincent Jamonneau

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À se vautrer dans la boue des marigots autour desquels vivent les mouches tsé-tsé, les cochons de Vavoua, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire, menacent-ils un succès sanitaire obtenu de haute lutte ? La question se pose, dans ce pays qui est parvenu en décembre 2020 à « l’élimination comme problèmes de santé publique » de la maladie du sommeil – selon la terminologie de l’OMS. « Alors que la trypanosomiase humaine africaine (THA) était naguère répandue, il n’y a plus eu que 8 cas rapportés entre 2015 et 2019. Un succès à mettre au crédit des dépistage et traitement systématiques des sujets infectés pour assainir le réservoir humain de parasites, et à la lutte contre l’insecte vecteur pour limiter le risque de transmission », indique Vincent Jamonneau, parasitologue à Intertryp. Les recherches sur le sujet visent aujourd’hui à franchir les autres étapes permettant d’accéder un jour, dans un futur beaucoup plus lointain, à l’éradication de la maladie.

 

Un parasite, un vecteur et des atteintes neurologiques

La glossine, ou mouche tsé-tsé, propage le parasite de la trypanosomiase, ou maladie du sommeil, à l’occasion de ses repas de sang.

© IRD - Michel Dukhan

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La maladie du sommeil est liée à l’infection par un parasite microscopique, le trypanosome. Transmis d’un sujet infecté à un sujet sain par la piqure de la glossine – un insecte hématophage aussi appelé mouche tsé-tsé –, ce parasite provoque des atteintes neurologiques en colonisant le cerveau. En l’absence de soins appropriés, les patients deviennent apathiques, sombrent dans le coma et succombent. Un traitement efficace existe. Mais, complexeIl nécessite une hospitalisation de plusieurs semaines avec des effets secondaires non négligeables. 1 , il ne peut être délivré massivement aux populations exposées.

 

Le dépistage et le traitement précoce des cas avérés, dans les foyers de la maladie du sommeil, a permis d’assainir tous les réservoirs humains de trypanosomes en Côte d’Ivoire.

© IRD - Vincent Jamonneau

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De ce fait, la lutte contre la maladie n’est pas une mince affaire. Pour s’en charger, la Côte d’Ivoire a mis en place un programme national dédié, avec les bons résultats que l’on sait.
« Le prochain objectif, qui est maintenant d’interrompre complètement la transmission de la maladie, suppose d’éliminer tous les autres réservoirs potentiels parasites de Trypanosoma brucei gambiense », indique Mathurin Koffi, spécialiste de génétique et d’épidémiologie moléculaire à l’université de Daloa.

 

Les étranges cas de Vavoua

Les porcs élevés de façon extensive s’installent dans les points d’eau ombragés à l’écart des agglomérations.

© IRD - Vincent Jamonneau

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Sur la piste d’autres réservoirs de trypanosomes, les scientifiques se sont intéressés à la région de Vavoua, un des foyers historiques de la maladie dans le pays, où deux cas autochtones de maladie du sommeil ont été enregistrés dans les dernières années. « N’ayant pas circulé hors de la zone et puisqu’il n’y avait pas d’autres malades, les deux sujets ont possiblement été contaminés à partir d’un réservoir local non-humain », explique le scientifique ivoirien. 
En explorant le statut sérologique et parasitologique de la faune domestique, les spécialistes ont ainsi découvert un hotspot (point chaud) chez les cochons élevés en liberté. Contrairement à une partie du cheptel porcin parqué à proximité immédiate des habitations, certaines bêtes sont livrées à elles-mêmes et s’installent dans l’environnement accueillant des points d’eau ombragés, également habitat favori des glossines.

 

Les techniques de caractérisations des parasites, qui ne permettent pas toujours de distinguer les différentes sous-espèces de trypanosomes, doivent être améliorées.

© IRD - Vincent Jamonneau

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« Ces animaux se sont révélés être porteurs sains d’une charge parasitaire extraordinaire, par la quantité et la variété, précise Vincent Jamonneau. Ils abritent différentes souches de trypanosomes, certaines inoffensives, d’autres responsables de formes vétérinaires de la maladieAffectant les bovins notamment.1, et d’autres encore semblables au pathogène responsable de la THA. »  Ces indolents gorets sont un véritable défi pour la science…

 

Plus de questions que de réponses

Les équipes scientifiques et médicales mobiles permettent de traquer les réservoirs de trypanosomes dans les foyers connus.

© IRD - Vincent Jamonneau

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Leur découverte renforce l’hypothèse, jamais clairement vérifiée jusqu’ici, de l’existence d’un réservoir animal de la trypanosomiase humaine africaine. Mais malgré cela, elle soulève plus de questions qu’elle n’apporte de réponses : le phénomène de multi-infections rend encore plus difficile la distinction entre Trypanosoma brucei gambiense décrit comme étant le pathogène de l’homme et Trypanosoma brucei brucei qui en théorie parasite uniquement les animaux. . « Au-delà de la performance des techniques de caractérisation qui devra être améliorée, s’agit-il de parasites susceptibles d’affecter humains et animaux  ? », s’interroge le scientifique. Il est crucial d’approfondir les connaissances sur la frontière entre ces deux sous-espèces de trypanosomes.

 

Les cochons élevés en enclos peuvent être protégés de la piqure des glossines, vecteur de la trypanosomiase, par l’installation de pièges à glossine.

© IRD - Vincent Jamonneau

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Enfin, le rôle épidémiologique éventuel de ce réservoir porcin, dans la persistance ou la possibilité de réémergence de la THA devra être élucidé.
En attendant de résoudre ces différentes questions, les spécialistes exhortent les éleveurs à parquer leurs cochons à l’écart des marigots. Ils éviteront ainsi de perpétuer un réservoir potentiel de THA, mais aussi de formes vétérinaires de la maladie pouvant affecter les troupeaux de bovins qui transitent régulièrement dans la région.