Des éleveurs de Forécariah, foyer de la maladie du sommeil au sud de la République de Guinée, maitrisent un Ndama, une race bovine tolérante aux trypanosomes en vue d’effectuer des prélèvements.

© Jean-Mathieu Bart - IRD

Maladie du sommeil : quand les parasites trompent notre système immunitaire

Mis à jour le 13.03.2020

2030 : c’est à cette date que l’OMS s’est donné pour objectif d’avoir éliminé la transmission de la maladie du sommeil à l’homme. Pour y parvenir, les chercheurs de l’unité INTERTRYP tentent de comprendre les facteurs biologiques, écologiques et socio-environnementaux responsables de cette maladie. Ils viennent de décrire un des mécanismes permettant aux trypanosomes, les parasites responsables, de déjouer notre système immunitaire. Une découverte qui ouvre des perspectives thérapeutiques. 

Certains pathogènes ont évolué de façon à passer au travers des mailles du filet de notre système immunitaire : c’est le cas des parasites trypanosomes, dont certaines espèces sont responsables de la maladie du sommeil, présente en Afrique sub-saharienne. Les parasites sont transmis lors d’une piqûre de la mouche tsétsé, qui s’est elle-même infectée en se nourrissant du sang d’humains ou d’animaux porteurs de ces trypanosomes. « Il n’existe pas de vaccin contre cette maladie car les parasites impliqués ont développé des stratégies pour échapper aux anticorps, ces soldats du système immunitaire qui circulent dans notre sang : c’est comme s’ils changeaient en permanence leur « armure » afin de ne jamais être reconnus par ces sentinelles », explique Jean-Mathieu Bart, biologiste moléculaire et cellulaire, chargé de recherches au sein de l’unité mixte de recherche INTERTRYP. 
 

Cache-cache immunitaire

Élevage de porcs à Campo, au sud du Cameroun, foyer actif de maladie du sommeil. L'animal est considéré comme réservoir du parasite qui provoque cette zoonose.

© Jean-Mathieu Bart - IRD

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Dans une étude, parue le 12 mars 2020 dans Nature Communications, le chercheur et ses collègues de l’UMR - Sophie Ravel - et de Cambridge - notamment Olivia Macleod - se sont penchés sur le rôle du système du complément dans cette partie de cache-cache immunitaire : ce système est composé d’un ensemble de protéines du sérum sanguin, dont une partie joue un rôle dans les mécanismes permettant d’éliminer les pathogènes, et une partie régule l’activité des premières pour empêcher une réaction auto-immune. « Pour éviter que le complément ne réagisse contre les propres tissus de la personne, une protéine appelée facteur H se lie à des récepteurs présents dans toutes nos cellules. Le système du complément n’agit alors que contre les pathogènes, explique le scientifique. Mais les parasites trypanosomes sont très « intelligents » : ils expriment à leur surface les mêmes récepteurs au facteur H que nous ». On parle de mimétisme moléculaire : le facteur H circulant dans le sang est capté par le parasite, qui s’en tapisse, le rendant invisible au complément, qui ne peut donc plus déclencher son élimination…

Sans facteur (H), pas de transmission ! 

Le trypanosome, grâce à sa couverture antigénique (en rouge), réussit à échapper à la réponse immunitaire de son hôte, provoquant la maladie du sommeil chez les hommes et nagana chez les animaux.

© Jean-Mathieu Bart - IRD

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Dans le cadre de ces travaux, les chercheurs ont infecté des souris avec une souche de parasites sauvages et d’autre souris avec des parasites modifiés génétiquement n’exprimant plus le récepteur au facteur H. Des mouches tsétsé ont ensuite été nourries avec le sang de l’un ou l’autre de ces deux types de souris infectées. Résultats ? Celles qui avaient reçu un repas de sang contenant des parasites modifiés n’ont pas été infectées, contrairement au lot sauvage. « L'identification de ce mécanisme permet d’envisager la mise au point de molécules qui pourraient venir s’accrocher aux récepteurs au facteur H des parasites, rendant impossible sa fixation et ainsi permettre l’interruption de leur transmission à la tsétsé », envisage Jean-Mathieu Bart. Une telle approche thérapeutique pourrait à la fois servir chez l’homme, infectée par deux espèces de trypanosomes, Trypanosoma brucei gambiense et T. brucei rhodesiense, mais aussi chez le bétail, sujet au nagana (ou trypanosomiase animale africaine). Prochaines actions de l’UMR INTERTRYP, dont l’ambition affichée est d’aider à faire baisser la prévalence de la maladie par tous les moyens possibles dans les pays où ils interviennent, comme la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Cameroun et la République Démocratique du Congo : travailler sur le réservoir que constitue la faune domestique et sauvage, source de propagation de la maladie, mais aussi sur les patients asymptomatiques qui, sans se savoir porteurs du parasite, pourraient contribuer eux aussi à sa transmission. 


 

Une maladie affectant hommes et bétail

La maladie du sommeil est causée par des parasites de l'espèce Trypanosoma brucei. Ses conséquences peuvent être graves. Fièvre, maux de tête, fatigue, inflammation des ganglions lymphatiques… Les parasites peuvent finir par envahir le système nerveux central – une invasion qui, si elle n’est pas traitée à temps, reste fatale. Grâce aux efforts de lutte menés contre celle que les scientifiques nomment trypanosomiase africaine, on ne recense plus que quelques milliers de nouveaux malades par an au cours de la dernière décennie. En Côte d’Ivoire, où travaillent des chercheurs de l’UMR INTERTRYP, la maladie est en passe d’être éliminée. Mais des revers sont toujours possibles. « En Guinée, nous avons observé une recrudescence des cas entre 2013 et 2016 car les équipes qui officient normalement au sein du programme de lutte contre la maladie du sommeil n’ont plus pu intervenir du fait de l’épidémie d’Ebola », note le scientifique. Cette maladie provoque aussi une forte morbidité et mortalité au sein du cheptel, conduisant à des pertes en ressources laitières et la baisse de la production de viande, fragilisant directement la sureté alimentaire des populations humaines d’Afrique sub-saharienne.