Mis à jour le 21.02.2020
La parenté de deux vers, responsables de deux fléaux parasitaires en Afrique, rend difficile leur élimination. Les résultats d’une nouvelle étude montre qu’il serait possible de diminuer les coûts des campagnes de lutte contre l’onchocercose.
Une rivière au débit puissant, une forêt environnante, des marécages… voilà le terrain de prédilection de deux vers : Loa loa et Onchocerca volvulus, responsables respectivement de la loase et de l’onchocercose. Cousins, ces deux parasites dessinent des cartes de présence des maladies qui se superposent, notamment en Afrique centrale forestière. Leur lien de parenté les rend tous deux sensibles à l’action de l’ivermectine. Mais, ce qui pourrait a priori permettre de faire d’une pierre deux coups, se révèle au contraire être une arme à double tranchant.

Rivière tumultueuse et forêt, l’environnement favorable pour les deux vers responsables de la loase et de l’onchocercose. Prise de vue dans le district de santé de Monatélé, au Cameroun, voisin de celui d’Okola.
© Sébastien Pion / IRD
De fait, utilisé pour lutter contre la cécité des rivières – le surnom de l’onchocercose – , le médicament déclenche des effets indésirables graves si les patients souffrent également de la loase. En effet, la mort rapide et massive des vers Loa loa parfois présents à des densités vertigineuses dans le sang (plusieurs centaines de milliers de parasites par millilitre) entraîne, entre autres, des thromboses des capillaires et la libération de neurotoxines.
Des campagnes de lutte longues et coûteuses
« Tester et ne pas traiter », est ainsi la stratégie développée pour éviter aux patients atteints de loase d’être victimes de ces graves effets secondaires lors des campagnes de lutte contre l’onchocercose à grande échelle. Le principe ? Tester la densité en parasites Loa loa - ou microfilarémie - grâce au LoaScope - un microscope compact couplé à un téléphone mobile - et si elle est supérieure à 20 000 unités par millilitre de sang, ne pas administrer d’ivermectine, la molécule préconisée par l’OMS (voir encadré).
« Cependant, l’ivermerctine ne tue pas les vers adultes d’Onchocerca volvulus, la molécule brouille seulement la reproduction, souligne Sébastien Pion, épidémiologiste à TransVIHMI. Or, une femelle peut vivre entre 10 et 20 ans ! Si 80 % de la population participe aux campagnes, il faut donc compter environ 15 ans pour éliminer l’onchocercose dans une région, au rythme d’une campagne par an ».
Des mesures de santé publique qui coûtent cher, justifiant la nécessité de limiter au maximum les frais. Faut-il, ainsi, vérifier à chaque fois la densité de Loa loa chez tous les individus ? Il n’existe en effet pas de profil-type permettant de prédire qui présente un niveau de densité de Loa loa pouvant entraîner un accident thérapeutique.
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En 2015, près de
15 M
de personnes étaient co-infectées par la loase et l’onchocercose.
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En 2025, d'après les estimations
17 M
de personnes seront co-infectées.
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Jean Bopda, technicien de santé au Centre de recherches sur les filarioses et autres maladies tropicales, procède au prélèvement d’échantillon de sang chez toutes les personnes de plus cinq ans (campagne 2015 ; district de santé d’Okola).
© Charles Mackenzie
Pas de recontamination
Pour répondre à la question, Sébastien Pion et ses collègues ont utilisé les données recueillies lors de deux campagnes de traitement de l’onchocercose, menées au Cameroun, au deuxième semestre 2015 puis au premier semestre 2017.
« La première année, 16 182 personnes ont été examinées avec le LoaScope, contre 18 697 dans les mêmes communautés, en 2017 », précise le chercheur. Même si les campagnes ne sont pas initialement prévues pour faire un suivi individuel, la ré-identification d’un grand nombre de participants a permis de mettre en avant un résultat capital : parmi les participants traités par ivermectine en 2015, aucun ne présentait, en 2017, une densité de Loa loa suffisamment élevée susceptible d’entrainer un effet secondaire grave !
« Cela montre qu’entre deux campagnes de lutte contre l’onchocercose à base d’ivermectine, il n’y a pas de recontamination rapide par Loa loa, du moins n’y a-t-il pas de remontée importante des taux », traduit le chercheur. D’un point de vue pratique, cela signifie que seuls les patients dont la microfilarémie était supérieure à 20 000 unités par millilitres de sang – et n’avaient donc pas pu recevoir d’ivermectine – doivent être testés à nouveau lors de la campagne suivante. Soit seulement 2 % des participants !
Pour cette étude, la couverture thérapeutique – le nombre de personnes traitées par rapport à l’ensemble de la population recensée – était bonne : elle variait d’une des six zones concernées à l’autre entre 50,8 % et 65,5 % en 2015, et entre 60,5 % et 78 % en 2017. « Un taux élevé grâce aux soutiens dont nous avons pu bénéficier : celui du ministre de la Santé en personne, ainsi que celui des préfets et des chefs de village. L’augmentation de participation peut s’expliquer par la confiance des populations envers cette nouvelle stratégie qui met leur sécurité au centre de l’intervention », souligne Sébastien Pion. Maintenir le taux de participation dans la population pour les prochaines campagnes est ainsi le défi majeur des chercheurs.

© Sébastien Pion / IRD
La densité en Loa loa affiché par le LoaScope est de 62 649 par ml : le patient ne peut être traité à l’ivermectine.
LoaScope ou quand le mobile aide au diagnostic
Véritable "microscope de poche", le LoaScope est constitué d’un smartphone équipé d’un dispositif optique et d’une source lumineuse à base de LED, qui permet l’analyse d’un très faible volume de sang prélevé au bout du doigt du patient. « L’optique de la caméra du smartphone sert de lentille et à partir de films de quelques secondes, un algorithme de reconnaissance d’images est capable de détecter et de compter les formes embryonnaires du ver parasite Loa loa présentes dans le sang », précise Sébastien Pion.