La houle, facteur d’érosion des mangroves, ici en Guyane française

© © IRD - Christophe Proisy

Mangroves sous pression : pour une gestion inclusive

Mis à jour le 29.10.2021

Bien que soumises à d’importantes pressions naturelles et anthropiques, les mangroves jouent un rôle essentiel dans la résilience des écosystèmes côtiers et des populations face au changement climatique et la mondialisation. Marie-Christine Cormier-Salem, de l’UMR Paloc, est intervenue lors d’une session du Congrès mondial de la nature, pour souligner la nécessité d’une gestion inclusive promouvant les co-bénéfices entre conservation des mangroves et bien-être des populations locales

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Quelle est la problématique posée par les mangroves ? 

Marie-Christine Cormier-Salem Emblématiques de la zone intertropicale, les mangroves sont souvent réduites aux seules forêts de palétuviers. Pourtant, il s’agit d’un ensemble de différents écosystèmes qui forment un continuum depuis la terre jusqu’à la mer : prairies et sols sur-salés et nus, forêts de palétuviers, vasières, chenaux de marée, fleuves, estuaires jusqu’au front de mer… 
Le premier défi à relever pour leur gestion est donc d’adopter une définition commune : de cette définition dépend la délimitation de ces espaces extrêmement mobiles (balancement des marées, envasement au débouché des grands fleuves…). À l’échelle globale, il est très difficile d’évaluer leur dynamique : le recul de 25 % des forêts de palétuviers régulièrement mis en avant s’appuie sur des données des années 1980-2000 ! À une échelle locale, on peut observer des progressions, notamment au Sénégal, Gambie et Guinée-Bissau. 

Autrefois considérées comme des marécages putrides, les mangroves ont commencé à être réhabilitées, en 1971 dans le cadre de la convention de Ramsar sur les zones humides notamment en tant que zones refuges pour les oiseaux migrateurs. Et plus généralement, elles jouent un rôle majeur dans la biodiversité tant terrestre que marine.
À la même époque, scientifiques et ONG ont tiré la sonnette d’alarme : le boom de la crevetticulture, notamment en Asie du Sud-Est, a entrainé leur régression rapide. Autres grands services qui ont commencé à être reconnus : leur rôle protecteur contre les cyclones, l’érosion et l’élévation du niveau de la mer, leur capacité à séquestrer le carbone et recycler l’eau…
Elles fournissent de plus des services incontestables aux populations : fourniture de bois, de nourritures (coquillages, crabes, huitres, riz, miel…). La dimension socio-culturelle ne doit pas être oubliée : les mangroves peuvent avoir une dimension sacrée. Elles sont habitées, utilisées et contrôlées au moyen de règles coutumières par les populations locales qui tirent de la mangrove leur moyen de subsistance. Il s’agit de leur territoire de vie !
Ces différentes contributions et valeurs associées aux mangroves peuvent conduire à des conflits d’intérêts entre acteurs. On le voit bien dans le cas des débats qui concernent la politique d’atténuation du changement climatique, focalisée sur le rôle de la mangrove comme puits de séquestration du carbone, en tension avec l’atteinte des autres ODD (conservation de la biodiversité, équité, lutte contre la pauvreté…)
 

Quelles mesures peut-on mettre en œuvre ?

M.-C. C.-S. : De plus en plus de chercheurs s'interrogent sur la légitimité des actions de protection et de reboisement et plaident en faveur d'actions inclusives et durables pour un partage équitable des bénéfices ou un « co-bénéfice » entre la conservation des mangroves et le bien-être des populations.

Reboiser la mangrove n'est pas toujours la meilleure solution.

© © IRD - Jean-Michel Boré

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Un arbre ne fait pas une forêt ! Reboiser ne sert à rien si les conditions d’existence de la mangrove (présence d’un fond vaseux, d’eau chaude pas trop salée et d’un balancement des marées) ne sont plus présentes. Le reboisement avec une seule espèce de palétuviers ne remplit pas les exigences de diversité biologique. Ces expériences de monosylviculture ne sont pas toujours couronnées de succès quand les espèces ne sont pas adaptées aux conditions locales.
De plus, ces espaces reboisés sont accaparés par des entreprises privées, dans le cadre de REDD+Initiative coordonnée par l’ONU pour inciter économiquement les grands pays forestiers tropicaux à éviter la déforestation et la dégradation des forêt. et du marché du carbone au détriment des communautés locales qui perdent le contrôle de ces espaces. L’injustice environnementale règne…
Il faut donc aider les mangroves à recoloniser spontanément en restaurant les conditions bio-hydrologiques : on parle de solutions basées sur la nature.
Surtout, les solutions doivent s’appuyer sur les populations indigènes et communautés locales: l’appropriation des projets par les partie-prenantes, dont les populations qui vivent dans, et de, la mangrove est indispensable. Des initiatives de gestion d’aires protégées communautaires (APAC) existent. 
Nous prônons la remise au centre de la gouvernance des communautés qui vivent des mangroves, et la restauration des communs. C’est à la fois une exigence éthique et de recherche d’efficacité pour une gouvernance durable et inclusive !
Économiquement il peut être intéressant de valoriser les produits issus de la mangrove (sel, huître, crabes). C’est ce que tente le label promu par la coopération japonais (JICA) appelé One Village, One Product (OVOP) qui reconnait les coopératives de femmes qui contrôlent la filière des coquillages (de la cueillette à la vente en passant par la transformation). Ces démarches de qualification donnent une reconnaissance aux savoir et savoir-faire des femmes.
Les recherches doivent continuer certes à mettre au jour les mécanismes qui font des mangroves des puits de carbone – ainsi cela permettrait de déterminer si la séquestration du carbone repose par exemple plus sur la masse aérienne ou les racines et le sol ? – mais surtout avoir une approche intégrée, interdisciplinaire et à diverses échelles spatiales et temporelles des mangroves.

Sur quels aspects portent vos travaux ?

M.-C. C.-S. : Je considère les mangroves comme un socio-écosystème complexe, et m’intéresse en particulier à leurs perceptions, usages et gouvernance. En ligne de mire, les inégalités générées par les représentations erronées et les politiques inappropriées, qui touchent particulièrement les femmes.

© IRD - Julien Andrieu

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Ce sont elles en effet qui « cueillent » les mangroves. À partir d’enquêtes conduites dans diverses régions à mangrove (du delta du Mékong au Vietnam au delta du Saloum au Sénégal, des Sundarbans en Inde à l’Ouest malgache), j’analyse les savoirs et pratiques de ces femmes, qui dépendent de la mangrove, et étudie leurs trajectoires, incertaines et diverses, dans le contexte de la mondialisation.


 

logo de l'UICN Du 4 au 11 septembre 2021, les scientifiques de l’IRD participent au Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

 Retrouvez des éclairages sur les sujets qu’ils abordent.


 

Session au Congrès mondial de la nature, 4 septembre, 16h-17h30
Global pressures on mangroves and their communities: solutions from conservation and restoration