Photo en microscopie électronique évoquant un peu un amas de morilles...

Candida albicans, l’un des nombreux micro-organismes pouvant se développer dans l’intestin, contribue à la digestion, mais il devient pathogène s'il est trop abondant ou colonise d'autres organes.

© Wikipedia - CenSE, IISc, Bangalore

Microbiote, IA et diagnostic médical

Mis à jour le 19.05.2020

Les spécialistes des systèmes complexes ont développé une intelligence artificielle s’inspirant du fonctionnement des écosystèmes, dédiée à l’analyse du métagénome du microbiote. Cette approche originale donne des résultats prometteurs en matière de diagnostic médical et elle pourrait être étendue aux prédictions dans d’autres domaines de forte activité bactérienne.

La génétique d’un individu est une chose, celle de son microbiote en est une autre. Si l’analyse de la première est désormais chose courante, et permet notamment d’identifier des prédispositions pathologiques, celle de la seconde débute encore. Mais elle laisse entrevoir des perspectives prometteuses en matière de diagnostic médical. « Nous avons développé une nouvelle technologie d’intelligence artificielle, baptisée Predomics, qui parvient à déceler les signes de pathologies parmi l’immense quantité d’informations contenue dans le métagénome Ensemble des gènes de tous les micro-organismes présents dans un écosystèmeintestinal », explique Edi Prifti, chercheur spécialiste des systèmes complexes à l’unité mixte internationale UMMISCO. La variété et la quantité des populations bactériennes présentes dans le système digestif, et les fonctions qui leur sont associées, reflètent souvent l’état de santé d’un sujet. Mais encore faut-il savoir les interpréter. 

Le tube digestif humain - ici les cellules des parois de l’intestin grêle - est un écosystème abritant près de 40 000 milliards de microorganismes.

© Inserm - Katy Haffen

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Le charme concret du microbiote


Les micro-organismes symbiotiques vivant en association à bénéfice mutuel avec un hôteou commensaux vivant avec un hôte sans lui causer de préjudice ni lui apporter de bénéficede l’organisme sont extrêmement nombreux. Ils représentent une quantité de cellules deux à dix fois supérieure à celles de l’hôte lui-même. Le système digestif humain en accueille ainsi plusieurs kilos ! Véritables usines chimiques, les bactéries y produisent d’innombrables molécules, la plupart utiles sinon indispensables au métabolisme. Elles assurent par exemple la fermentation des substrats et des résidus alimentaires non digestibles. D’autres bactéries du microbiote, à l’inverse, peuvent se révéler délétères. On sait ainsi qu’un déséquilibre dans la composition de cet écosystème intestinal peut conduire à des états inflammatoires, susceptibles de provoquer à leur tour des troubles pathologiques comme la résistance à l’insuline, à l’origine du diabète de type 2, ou l’obésité. Des recherches s’emploient donc à caractériser la composition de cette flore et les dérèglements qu’elle peut connaître. Comme c’est un véritable écosystème, avec de multiples interactions entre chacune des populations, leur diversité compte, mais aussi l’importance relative de chacune...

Le microbiome intestinal compte plusieurs centaines d’espèces bactériennes dont, fréquemment, Escherichia coli.

© Wikimédia - Rocky Mountain Laboratories, NIAID, NIH

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Fouiller le gigantisme microscopique


« Mais l’exploration de ce monde invisible n’est pas chose aisée : il y a des milliers, voire des dizaines de milliers, d’espèces de bactéries susceptibles d’être présentes, avec chacune des gènes codant pour de multiples fonctions, explique le chercheur. Qui plus est, la composition de ce microbiote est très singulière, il n’y a que 50 % d’espèces communes entre deux individus ». Au lieu de les pister une par une – ce qui serait fastidieux -, les chercheurs analysent le métagénome, c’est-à-dire l’ensemble des gènes présents dans les fèces, et donc appartenant à toutes les espèces bactériennes peuplant le système digestif. « Au total, leur génome mis bout à bout dépasse 400 fois la longueur du nôtre, note-t-il. Au-delà de la gigantesque quantité de gènes, la potentialité combinatoire entre eux en fait un réservoir de molécules absolument astronomique ».

 

Des signatures prédictives


Pour y voir clair, les scientifiques ont créé une intelligence artificielle, Predomics, à laquelle ils ont confié ces données. Et comme le microbiote est un écosystème, ils l’ont dotée de modèles d’analyse s’inspirant des interactions possibles entre acteurs d’un même milieu : la coopération, la compétition ou les effets de seuilvaleur à partir de laquelle la prédominance d’un des acteurs de l’écosystème en déséquilibre le fonctionnement harmonieux.. « En brassant des quantités de données sur les populations bactériennes et les pathologiesIssues de grandes bases consignant les résultats d’examens de fèces menés sur de très nombreux sujets.1, l’intelligence artificielle apprend d’elle-même à détecter les signatures prédictives. Autrement dit, la présence de bactéries ou de gènes de bactéries qui accompagne telle pathologie devient un marqueur utile au diagnostic de ladite maladie », indique Jean-Daniel Zucker, spécialiste d’intelligence artificielle, directeur du laboratoire UMMISCO.

L’intelligence artificielle Predomics, inspirée par le fonctionnement naturel des écosystèmes, pourrait être aisément transposée à l’analyse du métagénome des sols dans des projets agro-écologiques.

© IRD - Tiphaine Chevallier

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Sans qu’on le lui ait enseigné, Predomics a ainsi pu détecter la cirrhose qui affectait des sujets d’après leur métagénome intestinal, mais aussi prédire la perte de poids de patients obèses après une chirurgie bariatriqueInterventions sur l’estomac des patients obèses, visant à limiter la consommation ou l’absorption de calories.1. En analysant les relations entre les différentes populations bactériennes de l’écosystème intestinal, l’IA parvient d’ores et déjà à détecter a posteriori des affections ou des données médicales révélées par des méthodes conventionnelles de diagnostic.
« L’intérêt du modèle animant Predomics est sa simplicité : il est intelligible pour le clinicien comme pour le patient, qui peuvent tout deux comprendre l’établissement du diagnostic basé sur des marqueurs faciles à expliquer. Il est aussi aisément transposable vers des applications autres que la santé, dans lesquelles la composition des écosystèmes microbiens peut également être prédictive d’un résultat : dans l’environnement ou l’agriculture (évolution de l’activité microbienne des sols, performance des symbioses plantes-bactéries, qualité des fromages ou des vins élaborés, etc.). Enfin, il peut être assez simplement orienté vers des outils utiles au cadre sanitaire et social spécifique des pays du Sud », estime Jean-Daniel Zucker.


 

    •  Edi Prifti / UMMISCO (IRD, Sorbonne Université, Université Cadi Ayyad de Marrakech, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Université de Yaoundé I & University of Science and Technology of Hanoi)

      Jean-Daniel Zucker / UMMISCO (IRD, Sorbonne Université, Université Cadi Ayyad de Marrakech, Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Université Gaston Berger de Saint-Louis, Université de Yaoundé I & University of Science and Technology of Hanoi)

    • Modèles de prédiction interprétables et précis sur les données issues de la métagénomique


      Edi Prifti, Yann Chevaleyre, Blaise Hanczar, Eugeni Belda,Antoine Danchin,Karine Cl ́ement & Jean-Daniel Zucker, Interpretable and accurate prediction models for metagenomics data, GigaScience, mars 2020.

       

    • Olivier Blot

    • Sorbonne Université, Université Paris-Dauphine, Université d'Évry, Institut Cochin et Institut de Cardiométabolisme et nutrition.