Mis à jour le 18.05.2020
Les nématodes sont les animaux les plus nombreux au monde, mais aussi parmi les plus petits. Si minuscules qu’ils sont encore mal connus. C’est pourquoi un consortium international dont Jean Trap, écologue à l’IRD, fait partie, vient d’étudier l’abondance mondiale de ceux qui vivent dans les sols ; des indicateurs potentiels de l’état de ces derniers.

A l'extrémité antérieure (vers le bas) de ce nématode phytophage, le stylet permet de perforer les plantes.
© IRD/JeanTrap
Quand on parle de nématodes, les agriculteurs pensent à Aphelenchoides, Ditylenchus ou Heterodera, ces vers microscopiques - leur taille dépassant rarement le millimètre - qui ravagent leurs plantations. Les biologistes, eux, font référence au tout aussi minuscule Caenorhabditis elegans, entièrement transparent, si facile à élever et qui leur sert de modèle animal. « En fait, le monde des nématodes est très vaste. Au cours des trois derniers siècles, 28 000 espèces ont été décrites, mais il en existerait entre 100 000 et 500 000. Ainsi, sur la Terre, quatre animaux sur cinq sont des nématodes ! souligne Jean Trap, chercheur IRD basé au Laboratoire des Radio-Isotopes de Madagascar. Certains sont des parasites de plantes, d’invertébrés ou de vertébrés, d’autres des formes libres [schématiquement, autonomes, ndlr.] marines ou terrestres. Or, ces derniers qui se nourrissent de bactéries, de champignons ou d’autres nématodes, influent fortement la fertilité, les échanges de CO2 et d’autres gaz. C’est pourquoi nous avons décidé de cartographier leur abondance à l’échelle de la planète. » Un travail mené par un consortium international de soixante-dix nématologistes et statisticiens (1).
Un travail de ….fourmi sur les vers
Les chercheurs ont analysé 6 759 échantillons de sols, prélevés dans onze biomes — des zones géographiques qui partagent un climat, une faune et une flore similaires — situés sur les cinq continents. Dans chacun, ils ont compté le nombre de nématodes vivants, qui allait de 10 à plusieurs milliers d’individus pour 100 grammes de sols, et les ont triés en fonction de leur régime alimentaire. Ces informations ont ensuite été complétées par des données climatiques, sur la végétation et la composition des sols.
Résultat après modélisation ? Au total, les sols de la planète renferment 440 milliards de milliards de nématodes, ce qui représente une biomasse sèche d’environ 0,3 giga tonnes. « C’est l’équivalent de 82 % du poids de toute l’humanité », illustre Jean Trap. Au niveau géographique, 38 % se trouvent dans les zones subarctiques, la bande située juste en dessous de l’Arctique, 24 % dans les régions tempérées et 21 % dans les tropicales. « Contrairement à ce que l’on supposait jusque-là, cette répartition diffère de celle des animaux de grande taille qui sont plus abondants et plus divers aux basses latitudes [à l’approche de l’équateur, ndlr.], indique le nématologiste. En outre, elle témoigne que ce sont les paramètres des sols, notamment la quantité de matière organique des sols [qui est élevée dans les régions froides et arrosées par la pluie comme la toundra, ndlr.], plus que le climat, qui jouent sur la répartition mondiale des nématodes. »

© IRD/Jean Trap
Ce nématode juvénile se nourrit de bactéries.
« Sur la Terre, quatre animaux sur cinq sont des nématodes ! »

A l'extrémité de ce nématode Cephalobidae, les proboles - l'extension des lèvres - permettent de capturer des bactéries.
© IRD/Jean Trap
Un rôle clé dans les flux de carbone
Enfin, quand ils respirent, ces animaux rejettent l’équivalent de 15 % du carbone émis par les énergies fossiles ou 2,2 % des émissions totales. « Mais, attention, comme ils contribuent aussi au transfert de carbone de l’atmosphère vers les sols en aidant les plantes à pousser, ainsi que vers leurs prédateurs qui sont aussi des proies, et dans la mesure où ils restent dans les sols quand ils meurent, leur contribution à la régulation du cycle du carbone est centrale, précise le chercheur. Par conséquent, ces données sur la biomasse et leur respiration peuvent aider les climatologues à affiner les flux de carbone mondiaux dans les scénarii climatiques, actuel, et à venir. »
Pas de doute, même si les nématodes sont les animaux les plus petits au monde, ils n’ont rien d’anecdotique. Or, il reste à comprendre plus précisément leurs rôles fonctionnels au sein des écosystèmes. Un mystère que l’équipe de Jean Trap tente maintenant de percer en s’appuyant sur la diversité des caractères morpho-anatomiques des espèces co-existantes au sein des différentes communautés.
Note :
1. J. van den Hoogen et al. Soil nematode abundance and functional group composition at a global scale. Nature, 24 juillet 2019 ; doi:10.1038/s41586-019-1418-6
Contact : Jean Trap/UMR Ecos&Sols (Laboratoire des radioisotopes, Antananarivo, Madagascar)