Mis à jour le 03.01.2024
Le fait migratoire occupe une place disproportionnée dans les débats politiques européens, notamment face à ce qu’il représente en termes démographiques. Ainsi, sur les 8,4 millions de migrants en Afrique de l’Ouest, moins de 10 % d’entre eux se dirigent vers l’Europe. Les migrations locales, entre villes et campagnes, intra-régionales et interétatiques existent depuis toujours sur le continent africain : elles modèlent depuis longtemps ses paysages, ses villes et transforment ses sociétés.
Comment et pourquoi migre-t-on en Afrique, d’hier à aujourd’hui ? Si la santé représente une des motivations à la migration, elle peut aussi en être altérée. Quels autres obstacles les migrants doivent-ils affronter ? Qu’apportent les migrations aux pays qui les accueillent, sur le continent africain et ailleurs ?
Les chercheurs de l’IRD et leurs partenaires dressent à travers leurs études un portrait inédit et sans préjugés des migrations africaines.
Autrefois, migrer, transformer, échanger
Il y a plusieurs millions d’années, plusieurs lignées humaines ont quitté l’Afrique pour essaimer sur les autres continents. Les préhistoriens évoquent ainsi plusieurs sorties d’Afrique à différentes périodes. Perçu comme le berceau de la femme et de l’homme modernes, le continent africain a vu ses sociétés et ses paysages évoluer au fur et à mesure des vagues de migrations. À différentes échelles, spatiales et temporelles, les exemples de mobilités sont ainsi multiples et renseignent sur les transformations du continent.
En étudiant les langues d’Afrique centrale et du sud, les chercheurs ont ainsi mis en lumière une migration majeure. Il y a plus de 2 000 ans, les populations d’Afrique centrale ont commencé à se déplacer vers l’est et le sud. Cette migration d’importance, car à l’origine des langues actuelles de la région, connue sous le nom d’« expansion bantoueSérie de migrations de locuteurs et locutrices du proto-bantou, à l’origine de l’ensemble linguistique bantou qui regroupe actuellement plus de 400 langues parlées dans une vingtaine de pays du sud de l'Afrique. » durera jusqu’au 18e siècle. Comment se structure-t-elle ?
« Ces migrations s’inscrivent dans une dynamique sociale particulière, explique Geoffroy de Saulieu, archéologue au sein de l’UMR Paloc. Dans ces organisations lignagèresFondées sur l’ensemble des descendants d’un ancêtre commun., le pouvoir est monopolisé par les aînés. Ils contrôlent notamment les richesses nécessaires pour se marier. En effet, le prétendant doit très souvent payer une somme importante aux futurs beaux-parents : c’est ce que l’on appelle “le prix de la fiancée” et que les Africains nomment aujourd’hui la “dot”. Les derniers enfants de ces lignages ne disposent pas des ressources nécessaires pour évoluer socialement : soit ils acceptent de ne pas fonder de foyer, soit ils se révoltent et quittent leur famille. Dans les récits transmis oralement au sein des sociétés africaines, on comprend que les fondateurs de nouveaux lignages sont des “cadets” qui ont fait sécession. Parfois, ils vont mêmes jusqu’à capturer des femmes chez leurs voisins et leur imposent la création d’un nouveau lignage ; exactement comme les premiers Romains, qui selon la légende, sont allés enlever les Sabines pour fonder Rome. »
Transformation sociale et géographique
Ces populations, originaires de l’actuel Cameroun, transforment les paysages au fur et à mesure qu’elles se déplacent. Leur mode de vie est en effet principalement agricole et le fait de privilégier certains arbres fruitiers, notamment le palmier à huile, modifie progressivement la structure des sols et des paysages forestiers.
Une fois installés, les lignages se regroupent en villages et se sédentarisent. De par leur dynamisme social et démographique, certains villages deviennent des villes, puis des capitales, comme Mbanza-Kongo, capitale du royaume du Congo. La vie urbaine se développe et des lignages s’associent pour étendre leur domination, créer de nouveaux royaumes, et parfois même des formes d’empires.
Les femmes seraient-elles absentes de ces mobilités ? Elles circulent, de lignage en lignage. « Au 19e siècle, 30 % des femmes de l’ouest du Cameroun proviennent d’une ethnie différente de celle de leur famille, ajoute Geoffroy de Saulieu. C’est une proportion particulièrement importante ! On a l’image d’une Afrique ancienne qui ne bouge pas, n’évolue pas, mais ces mouvements ont probablement cours depuis la haute Préhistoire, il y a plus de 10 000 ans, même s’ils n’ont pas laissé de traces archéologiques. »
Pouvoir sur les hommes
Autre exemple de mobilité, plus au nord, au Mali actuel, où les déplacements de certaines populations s’ancrent également dans la durée. Les Touaregs, groupes de pasteurs nomades, quittent chaque année leur zone de vie pour rejoindre leurs pâturages pendant la saison des pluies, de juillet à septembre. Sur des distances de 100 à 200 kilomètres, ils conduisent leurs troupeaux de caprins, d’ovins et de bovins vers le Nord, sur des zones de pâturages abondants et de qualité, mais viables uniquement à cette période de l’année.
Dans ces régions, les frontières en tant que telles n’existent pas : le pouvoir s’exerce non pas sur les espaces mais sur les humains. Ainsi, jusqu'à la conquête coloniale qui débute à la fin du 19e siècle, les groupes sociaux subalternes versent un impôt – ou tribut – aux familles qui détiennent l'autorité politique, les chefferies. Pour se libérer de cette tutelle, soit ils parviennent à renverser les rapports de forces, soit ils s'en vont et tentent de trouver ailleurs les moyens de leur autonomie. « La notion de “limite“ existe, assure Charles Grémont, historien à l’UMR LPED. Mais elle est liée à la reconnaissance politique des populations voisines. Les territoires qui en découlent sont flexibles et évoluent plus ou moins rapidement dans le temps. Les terroirs d’attaches, qui sont les lieux de résidence en saison sèche de ces populations, changent également pour des raisons politiques et économiques. »
Ainsi, par exemple, la centralité du pouvoir des Touaregs Iwellemmedan évolue du 17e au 19e siècle, de la zone de Tombouctou jusqu’à la région de Ménaka, située à plus de 500 km à l’est. Des pâturages plus abondants du fait de conditions climatiques plus favorables attirent les populations dans cette région. Les conflits entre chefferies poussent également les bergers à migrer. « Le cas des villes sahariennes, qui sont des carrefours intellectuels et marchands, est similaire. Celles-ci peuvent être abandonnées pour des raisons climatiques comme l’assèchement d’une nappe d’eau, mais aussi en cas de mésententes et de conflits entre des clans qui l’habitent », précise l’historien.
Des frontières artificielles ?
À la fin du 19e siècle, le colonisateur français s’implante au Mali actuel dans un mouvement de conquête sur un axe ouest-est et nord-sud. La ville de Tombouctou est prise en 1894, et celle de Gao en 1899. Les Français s’appuient sur les chefferies – qui cherchent à défendre leurs intérêts – pour tracer avec elles les nouvelles frontières de leur pouvoir. Les divisions politiques préexistantes sont ainsi reconduites, mais elles sont désormais établies par des conventions et inscrites précisément sur des cartes. Ces frontières produites par l’administration coloniale ne sont donc pas si artificielles que ne le laisse supposer l’idée reçue qui s’est imposée depuis lors. Elles se basent en effet sur des distinctions, souvent des concurrences, préexistantes entre différents groupes sociaux.
Si les segments de frontière n’ont pas été tracés au hasard, la réunion de l’ensemble en une même « clôture », selon les mots des Touaregs, qui deviendra la frontière du Mali indépendant, est, elle, une création coloniale. En outre, les mobilités au sein des subdivisions coloniales sont largement perturbées. Si elles ne sont pas complètement interdites, elles sont contrôlées. Lorsque des pasteurs se déplacent sans laisser-passer de transhumance, ils se retrouvent dans l’illégalité et peuvent faire l’objet d’amendes.
Le pouvoir colonial a ainsi transformé l’organisation du pouvoir, qui ne s’exerce plus sur les hommes mais en premier lieu sur un territoire. Cette logique d’un État qui s’oppose aux mobilités essentielles des pasteurs-nomades génère de nombreux conflits avec les populations. « Même si les frontières coloniales reprennent des divisions locales préexistantes, elles imposent à des populations qui n’ont pas nécessairement une histoire et des cultures en partage une législation identique et qui ne prend pas en compte leurs spécificités », explique Charles Grémont.
D’anciennes esclaves en fuite
En parallèle de l’établissement de frontières, l’administration coloniale abolit l’esclavage en 1905 dans la majeure partie de l’Afrique occidentale française. Cette pratique est en effet encore courante dans cette région au 19e siècle où l’économie est basée essentiellement sur le travail des personnes esclaves. Une fois libres, certains de ces individus parviennent à quitter leur village au Mali pour créer de nouvelles communautés, notamment au Sénégal : ils défrichent la terre autour du chemin de fer en construction ou participent à la culture de l’arachide, en plein essor à cette époque. Ce dernier exemple de migration met en lumière le rôle des femmes dans ces déplacements. « Les femmes ont souvent été invisibilisées car les migrations ont été longtemps associées aux hommes, indique Marie Rodet, historienne à la School of Oriental and African Studies (SOAS), Université de Londres. Mais elles ont été très actives durant cette période pour échapper à des situations contraintes. Elles ont notamment utilisé les tribunaux coloniaux pour se libérer de leur maître. »
Ainsi, les femmes soumises à l’esclavage quittent leur foyer et n’hésitent pas à solliciter la justice coloniale pour demander le divorce avec leur mari, souvent leur ancien maître. Jusqu’aux années 1920, l’administration accorde aux femmes la nullité des mariages et permet ces séparations. Mais par la suite, les tribunaux ne sont plus aussi bienveillants : le départ des femmes remet en cause l’ordre social, et donc colonial. L’abandon de domicile conjugal devient un délit et les mariages ne sont plus annulés. Malgré cela, les femmes n’hésitent pas à fuir leur « mari » et certaines se retrouvent en prison pour cela.
Lorsqu’elles réussissent à partir, les femmes continuent à jouer un rôle essentiel dans le maintien des liens entre la région d’accueil et d’origine. Elles circulent entre les différentes zones, entretiennent les liens sociaux en se déplaçant par exemple pour les cérémonies. Entre le Sénégal et le Mali, ces relations fortes tissées au fur et à mesure des migrations assurent ainsi une connexion intergénérationnelle entre les deux pays.
« Les vagues migratoires ont un aspect cumulatif : des familles s’installent, d’autres les rejoignent. Les mariages entre populations d’accueil et d’origine se multiplient. L’implication des femmes, leur mobilité, participent ainsi à l’intégration de ces communautés dans leur pays d’accueil et à la transformation globale de ces sociétés », conclut la chercheuse.
Éloignés d’une image d’une Afrique immobile, ces exemples mettent ainsi en lumière les évolutions sociétales et géographiques opérées par les mobilités depuis des milliers d’années. Ces mouvements de population perdurent et s’amplifient par la suite tout au long du 20e et du 21e siècle.
Des politiques migratoires de plus en plus contraignantes
De la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’aux années 1970, les pays européens en plein boom économique recrutent massivement leur main-d’œuvre à l’étranger, et notamment dans certains pays d’Afrique. Mais dès le premier choc pétrolier de 1973 et ses conséquences désastreuses sur leurs économies, les États instaurent des restrictions à l’entrée des étrangers non européens et souhaitent leur retour dans leur pays d’origine. Ces limites à l’immigration se mettent progressivement en place : jusqu'au milieu des années 1980, de nombreux migrants africains pouvaient entrer légalement dans certains pays d’Europe, ce qui devient de plus en plus dur à partir des années 1990. Les Sénégalais ont pu par exemple entrer sans visa en France jusqu'en 1986 et en Italie jusqu’en 1990, ce qui n’est plus possible par la suite. Cette tendance aux restrictions résulte également de la création de l’espace Schengen, zone de libre circulation au sein de l’Union européenne, en 1995 : l’ouverture des frontières intra-européennes est corrélée à un contrôle accru des frontières externes.
Externaliser les frontières
Cette évolution de la politique migratoire européenne s’opère dans un contexte international de sécurisation des migrations. « En Europe, la fermeture des frontières et l’externalisation des politiques migratoires sont le fait des États avant d’être celui de l’Union européenne, rappelle Delphine Perrin, juriste et politiste au sein de l’UMR LPED. En effet, ils établissent avec des États africains des politiques bilatérales orientées vers la limitation des mobilités en amont et les réadmissionsEngagement des pays tiers à « réadmettre » sur leur territoire leurs nationaux sous procédure d’éloignement..»
Dès la fin des années 1990, l’Union européenne s’efforce de communautariser sa politique d’action relative aux migrations.
Ainsi, elle établit en 1999 une liste commune de pays dont les ressortissants sont soumis à visa pour entrer dans l’espace Schengen. Une « carte bleue » européenne, équivalente de la « carte verte » américaine, est également créée en 2009 à destination des travailleurs hautement qualifiés non européens. Pour celles et ceux qui relèvent d’autres catégories de mobilités – regroupement familial, travailleur non qualifié – entrer puis s’installer en Europe devient de plus en plus difficile.
Par ailleurs, l’Union européenne tente d’externaliser sa politique migratoire, en instaurant un contrôle des frontières européennes par les États africains eux-mêmes. Elle conclut des accords d’association puis de partenariat avec plusieurs États africains qui leur imposent des obligations en matière de contrôle des migrations et qui conditionnent progressivement la coopération économique, commerciale, etc. à leurs efforts en ce sens.
En parallèle, en 2000 est adoptée la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée à Palerme. Dans un protocole additionnel, 147 pays signataires s’engagent à combattre le « trafic illicite de migrants » à travers l’adoption de lois permettant cette lutte. L’objectif affiché est d’éliminer les réseaux et de sanctionner l’économie gravitant autour du « trafic ».
« Les législations des États africains concernant les migrations n’avaient généralement pas évolué depuis les années 1960 au Maghreb ou les années 1980 en Afrique de l’Ouest, explique Delphine Perrin. Certains pays n’en avaient pas même élaboré. Suite au protocole de Palerme en 2000 et du fait des pressions de l’Union européenne, les pays du Maghreb, notamment, adoptent des législations répressives envers les individus franchissant ou tentant de franchir leurs frontières de manière illégale. Mais les premières victimes de ces législations sont les nationaux de ces États et les habitants de leurs pays voisins. Ainsi, des Marocains qui se rendaient en Libye ont pu être emprisonnés en Tunisie pour tentative d’émigration irrégulière, ce qui a pu générer des conflits entre les pays, notamment dans les années 2000. »
Bloquer les routes
En 2015, en pleine période de ce que les Européens appellent « crise migratoire » – en lien avec l’arrivée massive de Syriens du fait de la guerre civile et les départs des Africains de Libye suite à l’aggravation des conflits internes – le sommet de la Valette sur la migration, organisé entre l’Union européenne et les États africains, met en place un fonds fiduciaire d’urgence « en faveur de la stabilité et de la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière et du phénomène des personnes déplacées en Afrique ». Doté de 4 852,5 millions d’euros fin 2020, il finance des projets de coopération policière et d’aide au développement, et un appui à la prise en charge des réfugiés internes et externes.
« En échange, les États africains ont pour mission de bloquer les routes migratoires, indique Florence Boyer, géographe-anthropologue au sein de l’UMR URMIS. En 2015, le Niger est ainsi soutenu par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour mettre en conformité sa nouvelle législation avec le protocole de Palerme. Il est le principal bénéficiaire de ce fonds fiduciaire en Afrique de l’Ouest. L’État punit désormais le transport de migrants non nigériens qui ont l’intention de franchir illégalement une frontière. L’objectif est de stopper le transport de personnes vers l’Algérie et la Libye. Et cette législation a été plutôt efficace. »
Un an après son élaboration, la loi est appliquée dans les derniers jours d’août 2016 : la police nigérienne arrête alors 137 personnes et saisit une centaine de véhicules à Agadez, ville de départ des migrants vers la Libye et l’Algérie. Pourtant, depuis des années, les convois de véhicules transportant jusqu’à 35 individus chacun traversaient le désert sous contrôle de la police. Une des missions des fonctionnaires : vérifier que les chauffeurs respectaient la réglementation et s’acquittaient du paiement des taxes liées au transport de personnes. L’application de cette législation génère ainsi des tensions dans la région.
Conséquence inévitable : les routes migratoires, loin d’être stoppées, se poursuivent et deviennent de plus en plus dangereuses. « Aujourd’hui, chaque passeur voyage seul, sans convoi, poursuit la chercheuse. Ils évitent les villes où se multiplient les contrôles : en provenance de Zinder, au sud, ils traversent le désert du Ténéré vers le nord sans passer par Agadez, ce qui est très dangereux. Aussi, ils ne s’arrêtent plus aux points d’eau où les attendent les policiers : ils déposent les migrants dans le désert, vont chercher de l’eau puis les retrouvent. Les voyageurs ne sont donc plus à l’abri d’une panne ou d’un abandon du passeur. Le système qui apportait de la sécurité à ces trajets a été détruit. »
Des migrations qui perdurent
La politique restrictive européenne a-t-elle atteint, dans ce contexte, ses objectifs ?
L’étude « Trois flux migratoires subsahariens en période de politiques restrictives » publiée en 2020 montre que les migrations perdurent entre l’Afrique subsaharienne et l’Union européenne. Les probabilités de migrer ne diminuent pas mais les parcours des migrants évoluent car, à l’instar de l’exemple nigérien, ils mettent en place des stratégies de substitution pour arriver à leurs fins.
Ainsi, ils s’installent dans de nouveaux pays de destination lorsque les politiques migratoires des pays d’accueil traditionnels se durcissent. De plus en plus de Sénégalaises et Sénégalais, qui se rendaient auparavant en France, ont décidé de s’installer en Espagne et en Italie où les conditions d’accès au territoire sont plus faciles et où les opportunités d’emploi sont plus importantes. Par ailleurs, les chercheurs ont remarqué que les individus ont tendance à adopter de nouvelles stratégies du fait des difficultés pour obtenir un visa. Ils demandent par exemple un visa pour études, voyagent sans documents, ou font une demande d’asile à leur arrivée à destination, alors qu’auparavant il leur était plus facile de migrer en tant que travailleurs ou dans le cadre d’un regroupement familial. Enfin, l’adoption de politiques migratoires de plus en plus restrictives a correspondu à la diminution des retours des individus vers leur pays d’origine.
Rester sur place
« Les décideurs politiques veulent mettre en place des barrières pour empêcher les migrations mais cela a provoqué l’effet inverse : les migrants ne repartent plus chez eux, souligne Marie-Laurence Flahaux, démographe à l’UMR LPED et autrice de l’étude. En effet, les Sénégalais, par exemple, venaient en France pour travailler puis revenaient dans leur pays quelques années plus tard, où leur famille était restée. Ils pouvaient revenir en France si besoin des années plus tard pour y travailler à nouveau. Aujourd’hui, les migrants évaluent leur opportunité de retour en fonction de la situation qui les attend au pays mais aussi selon les possibilités de revenir en France par la suite. Or, les conditions de circulation sont tellement difficiles qu’ils préfèrent rester durablement dans leur pays d’accueil. »
Ces difficultés de circuler provoquent également des situations d’« immobilité involontaire », où les personnes restent parfois plusieurs années dans un pays de transit – le Maroc ou l’Algérie par exemple – avant de pouvoir le quitter. Car voyager sur des routes migratoires de plus en plus difficiles accroît le coût de ces déplacements.
Ainsi, si les nouvelles politiques migratoires ont bouleversé les parcours et les situations des individus, elles n’ont pas atteint, selon les chercheurs, leur objectif principal : celui de faire diminuer les migrations entre l’Afrique et l’Europe.
L’exception camerounaise
Une grande majorité des États africains a renforcé son arsenal juridique contre l’immigration illégale, hormis le Cameroun qui fait office d’exception sur le continent. Depuis son indépendance en 1960, la libre circulation y est de mise. Au sein de la zone Cémac (Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale) composée de six pays – Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad –, le Cameroun est le premier à reconnaître le passeport Cémac qui permet de voyager sans visa au sein de la sous-région. « Le chef de l’État, qui est responsable de la politique migratoire, a un discours résolument optimiste sur le sujet, explique Christelle Bikoi, chargée de recherche au Centre national d’éducation du Cameroun. Le Cameroun se veut ouvert, un territoire refuge pour ceux qui en ont besoin. L’État a ainsi mis en place une politique d’accueil des réfugiés provenant de zones de conflit au Niger, en Centrafrique ou au Tchad. Ils sont particulièrement nombreux dans le pays. » L’État camerounais, du fait de sa politique migratoire particulièrement souple, fait face par ailleurs à une émigration importante de sa jeunesse, notamment étudiante, vers des pays occidentaux ainsi que vers certains pays africains comme le Sénégal, l’Algérie ou l’Afrique du Sud.
Les migrants, des aventuriers
« Je me suis aventuré », « je suis un aventurier » ou « je suis parti chercher la vie, me chercher », tels sont les termes utilisés par les migrants africains pour évoquer leur parcours. « Ces expressions récurrentes nous renseignent sur les aspirations de ces individus à expérimenter de nouvelles manières de vivre et d’être, moins contraignantes, plus intenses, plus dignes. La réalisation de soi prime sur le projet économique. L’aventure devient alors un mode d’existence », souligne Sylvie Bredeloup, socio-anthropologue à l’UMR LPED.
Réalisation : Casey Andrews et Enzo Fasquelle. Conseillère scientifique : Sylvie Bredeloup
Individualiste et solidaire
Les migrations d’aventure ne sont prises en compte que depuis peu par les chercheurs spécialistes des migrations. Dans les années 1960, les recherches portant sur ce sujet étaient menées par des scientifiques vivant essentiellement dans les pays occidentaux, s’appuyant sur les réalités rencontrées dans les grandes métropoles des pays d’accueil : des migrants africains d’origine modeste, généralement agriculteurs dans leurs pays, devenant ouvriers et vivant dans des foyers. Étaient mis en avant la notion de solidarité entre les immigrés et leur pays d’origine, leur volonté de réinvestir l’argent gagné pour le développement de leur région.
Harouna : « Je suis parti en aventure chercher la connaissance, la richesse
et tout ! »
Extrait des « mots du voyage » installation présentée par Gilles Balizet, Sylvie Bredeloup, Charles Grémont (IRD, LPED) et Ludo Mepa (Les Obliques, la Disquette) à l’occasion de la nuit européenne des chercheurs, Aix-en-Provence, 2021.
« Ces chercheurs avaient une vision européo-centrée des migrations, ajoute Sylvie Bredeloup. Aujourd’hui, les recherches nuancent ces idées. D’abord, les mobilités étaient et sont encore aujourd’hui intra-africaines. Ensuite, ce ne sont pas les plus pauvres qui s’en vont. Pour partir, il faut disposer d’un capital économique, culturel ou relationnel. Enfin, le départ en migration doit permettre à la fois de revenir personnellement grandi, mais aussi d’appuyer les projets des proches, seul moyen d’asseoir son prestige. Il n’y a donc pas d’opposition définitive entre individus et communautés sur la scène migratoire africaine mais plutôt la constitution de processus complexes, hybrides et évolutifs, un enchâssement entre destinées individuelles et collectives ».
Témoignage : le parcours blessé de Bamadi
Bamadi, jeune Malien de Kita, a dû revenir chez lui après une attaque de bandes armées à Tripoli où il a été blessé. Il témoigne de son parcours dans un film montré à de jeunes Maliens dans le cadre d’un programme de recherche mené par Sandrine Mesplé-Somps et Björn Nilsson.
Ces données sont confirmées par une enquête récente des économistes Sandrine Mesplé-Somps et Björn Nilsson auprès de 2 000 jeunes hommes du cercleCollectivité territoriale malienne regroupant plusieurs communes, dotée d’une personnalité morale et bénéficiant de l’autonomie financière. de Kita au Mali. 60 % d’entre eux souhaitent en effet quitter leur foyer, dont la moitié au sein du Mali, 22 % au sein du continent africain, et 18 % expriment leur souhait de quitter l’Afrique. De même, les deux tiers des aspirants à migrer indiquent que leur projet de migration est avant tout un projet personnel et qu'ils ne souhaitent pas que leur famille en soit informée.
Des parcours semés d’obstacles
Les chercheurs mettent en avant l’idée que les migrants sont avant tout acteurs de leurs parcours et non passifs. Leur personnalité, leurs capabilitésPossibilité effective qu’un individu a de choisir diverses combinaisons de « mode de fonctionnement », les « modes de fonctionnement » étant par exemple se nourrir, se déplacer, avoir une éducation, participer à la vie politique… évoluent tout au long de leur trajectoire qui est bien plus longue et complexe qu’auparavant. « Pour comprendre les enjeux de l’intégration dans les pays européens, il ne faut pas seulement étudier la situation des candidats à l’émigration dans les pays d’origine, mais également prendre en compte toutes les transformations qui se produisent durant les parcours migratoires, assure Nelly Robin, géographe au sein de l’UMR CEPED. Tout se renégocie durant ces expériences particulières de migration qui peuvent parfois se déployer sur plus de dix ans. »
Ainsi, si les routes empruntées par les migrants sont anciennes – ce sont celles du commerce du sel et de l’esclavage à travers le Sahara – elles évoluent en permanence selon les réalités politiques et selon les choix des individus. Depuis plusieurs années, les chemins migratoires connectent par exemple les routes transsahariennes avec celles des Balkans. En 2015, lors de l’exil des Syriens vers l’Europe, des ingénieurs migrants créent une plateforme d’échange d’informations : elle recense les solutions existantes pour ceux qui sont sur les routes et augmente leur capacité à s’adapter aux différents obstacles qu’ils peuvent rencontrer. « Ces itinéraires sont une combinaison d’opportunités, de contraintes, de ressources et de hasards, souligne la géographe. Les espaces traversés, les moyens utilisés et les choix personnels, impliquant une volonté et une intention particulières conduisent les migrants, femmes et hommes, à reconfigurer leurs projets migratoires. »
Au Sénégal, la voie maritime vers les Canaries devient reine à partir de 2005.
Cette année-là, 30 000 départs sont recensés vers les îles espagnoles. Et malgré la dangerosité de ces trajets – 5 000 corps seront repêchés dans l’océan – les jeunes Sénégalais continuent d’embarquer sur les pirogues les années suivantes. La fermeture des frontières terrestres dues à l’épidémie de Covid-19 relance cette route meurtrière – 16 700 immigrants sont arrivés aux Canaries en 2020 selon le ministère de l’Intérieur espagnol – et interpelle politiques et citoyens sur sa dangerosité : 414 personnes seraient mortes cette année-là en tentant de rejoindre l’archipel espagnol.
Préparer son retour
Pourquoi prendre autant de risques ? L’idée du retour « glorieux » est ancré dans les esprits.
« L’échec n’est pas acceptable, indique Sylvie Bredeloup. Quand on part, il y a obligation de réussite. Les migrants n’hésitent donc pas à prendre des risques : ils préfèrent la mort plutôt que la honte. Ceux qui rentrent en y étant forcés ou n’ayant pas préparé ce retour se cachent ou ne vont pas voir leur famille. Et certains qui sont “mal rentrés” sont poussés à reprendre la route car ils ne peuvent supporter le déshonneur que représente un retour au pays les mains vides. »
La chercheuse raconte avoir rencontré des Burkinabé revenant de Libye prêts à repartir malgré les difficultés rencontrées dans ce pays et lors du passage des frontières. Sans ressources au sein de leur famille, ils comptent sur les contacts qu’ils se sont bâtis en Libye pour tenter à nouveau leur chance. Au Mali, le constat est identique : même en étant confrontés à des récit d’expériences traumatisantes lors de ces parcours, les individus ne modifient pas leurs aspirations à migrer. Ils ont à la fois de grandes espérances en un avenir économique et social meilleur qui serait offert par la migration et une croyance indéfectible en leur destin.
Santé : risques et espoirs de la mobilité
Se déplacer est-il mauvais pour la santé ? Pour les personnes qui migrent dans des pays où elles ne disposent pas de logement et de travail stable et où elles ont des difficultés à faire régulariser leur situation, la réponse est oui. Ainsi, pour les migrants, femmes et hommes, africains vivant en Europe, indépendamment des caractéristiques individuelles propres à chacun, la précarité longue est associée à une dégradation de l’état de santé. « Avec des ressources limitées, les personnes se nourrissent mal, explique Annabel Desgrées du Loû, démographe au sein de l’UMR CEPED. Elles exercent majoritairement des métiers difficiles, comme ceux de la manutention ou des soins à la personne, et subissent des horaires compliqués. Peuvent alors apparaître des maladies chroniques liées à ces mauvaises conditions de vie comme le diabète, l’hypertension ou des maladies psychiques liées au stress ».
Ruptures
En outre, la précarité expose également à des situations de contraintes, notamment sexuelles. Ainsi, l’enquête ANRS Parcours sur les trajectoires migratoires, sociales, administratives et de santé des immigrés d’Afrique subsaharienne en France a montré qu’en échange d’un logement, de papiers ou d’aides financières, les migrants africains, et en particulier les femmes, sont amenés à subir des relations sexuelles contraintes et non protégées. Ils représentent ainsi le deuxième groupe le plus touché par le VIH en France, après les personnes homosexuelles. Contrairement aux idées reçues, près de la moitié de ceux chez qui une infection au VIH est dépistée l’ont contractée après leur arrivée en France.
Comment peuvent-ils, dans ces conditions d’instabilité, se soigner ? « Le système de santé français fonctionne plutôt bien, il est protecteur pour les migrants grâce à l’Aide médicale de l’État (AME), accessible aux personnes sans titre de séjour si elles sont en France depuis plus de trois mois, répond la chercheuse. L’enquête Parcours a montré que deux ans après leur arrivée, 90 % des personnes disposaient ainsi d’une couverture santé, quel que soit leur titre de séjour. Le système n’est cependant pas connu de tous et, souvent, les personnes ne se rendent compte qu’elles y ont droit que lorsqu’elles tombent malade. La grossesse ou les dépistages des pathologies infectieuses représentent ainsi des opportunités d’accès au système de soins et à cette couverture maladie. »
Cet accès facilité aux soins ne doit pas cacher des conséquences plus douloureuses. Pour les migrants positifs au VIH, une fois qu’ils sont diagnostiqués grâce au dépistage, et que les soins sont enclenchés, leur vie est de nouveau transformée et certains expérimentent « une dégringolade sociale », selon Dolorès Pourette, anthropologue de la santé à l’UMR CEPED. Certains qui voulaient retourner dans leur pays où vivent leur conjoint et leurs enfants doivent rester en France pour se soigner, ce qui génère des ruptures familiales. Les célibataires sont également confrontés à une déchirure intime : ils ne s’autorisent pas à fonder une famille, par peur de contaminer un ou une conjointe et car ils ne souhaitent pas annoncer leur contamination par le VIH à leur famille, leurs proches. « Ils s’auto-stigmatisent, souligne la chercheuse. En Afrique, le VIH est particulièrement montré du doigt car le virus est associé à l’homosexualité et à des pratiques considérées comme déviantes. L’enquête Parcours a mis en lumière des cheminements de vie brisés par le VIH. Ainsi, certaines personnes rencontrées lors de l’étude ont expliqué avoir dû revoir à la baisse leurs ambitions alors qu’elles occupaient un emploi valorisé dans leur pays d’origine. Or, en tant que migrants et migrantes, ces personnes ont envie de montrer une image idéale d’elles-mêmes dans le pays où elles vivent mais aussi dans leur pays d’origine. Ces ruptures se poursuivent dans l’idée même qu’elles se font de la mort : elles acceptent difficilement l’idée de rester en France et d’y mourir. Elles préféreraient rentrer dans leur pays, près des leurs, et pouvoir y recevoir des rituels funéraires le moment venu. »
Une autre pathologie touche principalement les migrants africains : l’hépatite B, due à l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB) transmis par le sang ou d’autres fluides corporels. Les personnes nées en Afrique subsaharienne contractent en effet fréquemment ce virus par voie périnatale, à la naissance ou au cours de leurs premières années de vie par contact avec leurs proches infectés. Elles sont alors exposées à un risque élevé de passage à la forme chronique de l’infection. Selon l’enquête menée lors de l’étude « Parcours », sur l’accès aux soins des personnes originaires d’Afrique subsaharienne vivant avec une hépatite B chronique, la prévalence en France de la maladie dans cette population a ainsi été estimée à 5,25 % en 2004, soit huit fois plus que dans la population générale née en France métropolitaine. Et parmi les personnes nouvellement prises en charge pour une hépatite B chronique entre 2008 et 2011, plus de quatre sur dix sont nées dans un pays d’Afrique subsaharienne.
« De manière générale, les migrants ressentent de l’incertitude et de l’incompréhension face au traitement et au suivi de la maladie », ajoute Dolorès Pourette. En effet, alors que la présence du virus n’entraine pas systématiquement de symptômes, la charge virale doit être surveillée régulièrement, par des prises de sang et d’autres examens. Si la quantité de virus est élevée, on prescrit au patient des traitements antiviraux à prendre quotidiennement.
« Lorsque le virus devient actif, les patients doivent suivre un traitement à vie pour contrôler son évolution et éviter une cirrhose ou un cancer du foie. Mais ce traitement ne permet généralement pas de guérir définitivement une hépatite B chronique, poursuit la chercheuse. Face aux questions des patients, les soignants n’apportent malheureusement pas les réponses adéquates car l’hépatite B est une maladie compliquée qui n’a pas bénéficié de la même mobilisation que la lutte contre le VIH : elle ne dispose donc pas d’un système de prise en charge globale, avec l’intervention d’une assistante sociale et d’un infirmier ou d’une infirmière de suivi thérapeutique par exemple. »
Migrer pour donner la vie
Mais les migrations offrent aussi aux Africains et Africaines des solutions thérapeutiques qui n’existent pas dans leur pays ou sur leur continent. Ainsi, nombreux sont celles et ceux à se déplacer vers la capitale, un pays voisin, voire vers la France, pour recourir à la procréation médicalement assistée (PMA).
L’infertilité n’est en effet pas considérée comme une question de santé publique en Afrique. Il n’existe donc pas de politique publique à ce sujet, ni de prise en charge par les services de santé. Les couples qui veulent faire appel à la médecine pour les aider à avoir un enfant doivent se tourner vers des cliniques privées. « Les États ne régulent pas du tout le recours aux technologies de la reproduction, précise Véronique Duchesne, anthropologue à l’UMR CEPED. Des cliniques privées ont investi ce champ mais le coût de ces technologies est très élevé. Il n’y a par ailleurs pas de statistiques sur les résultats comme le nombre de tentatives et le taux de réussite. Celles et ceux qui le peuvent se rendent donc hors du continent pour avoir un enfant dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA). »
Si la PMA à l’étranger a d’abord été le privilège des élites, de nouvelles catégories sociales urbaines tentent aujourd’hui l’aventure. Les couples de classes sociales moyennes se déplacent de pays en pays avec l’aide financière de certains membres de leur famille. Car la course à l’enfant est coûteuse : en France, les personnes étrangères paient entièrement le processus si elles ne sont pas résidentes, ce qui peut représenter une somme de plus de 2000 euros. En cas d’échec, les femmes, majoritairement, se rendent dans un autre pays, découvrent à chaque fois une nouvelle législation concernant la PMA - pour l’accès à la fécondation in vitro, au don d’ovocytes ou à la gestation pour autrui - et font face à un isolement de plus en plus fort. « C’est une quête sans fin, ce que j’ai appelé une errance procréative, poursuit la chercheuse. Des femmes abandonnent leur travail et leur foyer, d’autres refusent de rentrer dans leur pays tant qu’elles n’auront pas d’enfant. Cette absence de soutien de la part des États africains complique la vie de ces personnes et a d’importantes conséquences sur la santé publique. »
Soigner un cancer du sein
Le désir de grossesse n’est pas la seule motivation à se déplacer pour des raisons de santé : en Afrique de l’Ouest, les femmes atteintes d’un cancer du sein sont également amenées à se déplacer sur leur continent et en Europe. Cette pathologie touche en effet dans cette région des femmes particulièrement jeunes et présentant une forme avancée de la maladie du fait du manque de dépistage, de l’éloignement des centres de santé et du coût élevé du recours à la médecine. Ainsi, un tiers des femmes qui arrive à l’hôpital pour débuter les soins souffre déjà de métastases. Au Mali, où le cancer du sein affecte 2 500 femmes par an, les patientes doivent se déplacer jusqu’à Bamako pour se soigner : seuls quatre hôpitaux de la capitale, dont chacun est spécialiste d’une partie du traitement – opération, chimiothérapie… – traitent cette maladie. Certaines Maliennes se rendent également au Sénégal pour se faire soigner à Dakar. « D’autres vont en Tunisie, un pays qui ne demande pas de visa, souligne Clémence Schantz, sociologue au sein de l’UMR CEPED. Il s’y développe d’ailleurs un tourisme médical important. Les patientes les plus aisées se rendent en France avec un visa touristique. Elles se retrouvent ensuite en situation irrégulière et vivent un déclassement social très fort. »
En lien avec l’association « Les combattantes du cancer », Clémence Schantz et l’équipe de recherche du programme Senovie documentent ainsi depuis un an les ruptures biographiques – conjugales, professionnelles, sexuelles – que cette maladie et ces mobilités impliquent. « Nous élaborons les grilles d’entretien avec l’association et nous étudions les réponses des patientes avec ses membres, explique la chercheuse. L’objectif est de mettre en lumière les conséquences de cette pathologie sur les parcours de vie, et transmettre ces connaissances aux partenaires qui sont sur le terrain pour améliorer la prise en charge de ces femmes. »
Ainsi, si se soigner ne constitue pas actuellement une motivation majeure pour migrer – contrairement aux raisons sociales ou économiques –, les mobilités liées à la santé pourraient se développer du fait de l’accroissement de pathologies peu prises en charge dans certains pays africains – telles que le cancer – et de nouveaux besoins des classes moyennes émergentes comme celui de la procréation médicalement assistée.
Des sociétés transformées
Les mobilités intra et extra-africaines transforment les sociétés des pays d’origine, mais aussi celles de leurs pays d’arrivée.
Ainsi, au Maroc, si la proportion d’étrangers accueillis s’avère minime en proportion de la population marocaine – 0,25 % de la population selon le dernier recensement général de la population de 2014 –, la migration est devenue un enjeu politique depuis le début des années 2000. L’importance prise par la question de la migration irrégulière et de transit vers l’Europe des personnes originaires d’Afrique de l’Ouest et centrale y a contribué. En 2013, 77 500 étrangers, de différentes origines nationales et statuts administratifs (étudiants, travailleurs, conjoints de marocains, etc.), disposaient d’un titre de séjour. Les données existantes confortent d’ailleurs le fait que l’immigration au Maroc, sous couvert de séjour régulier ou pas, n’est pas le fait que de ceux qualifiés de subsahariens.
Alors que le Maroc développe ses relations avec les pays d’Afrique subsaharienne, la dynamique du partenariat euro-marocain visant à lutter contre l’émigration irrégulière à destination du continent européen entraine des dénonciations récurrentes de la politique sécuritaire adoptée par le pays depuis plusieurs années à l’encontre en particulier des dits migrants subsahariens. Dans ce contexte ambivalent, le Maroc a modifié sa politique d’accueil, ce qui a également bouleversé les perceptions et certaines pratiques relatives à l’accueil des étrangers.
Régulariser
Ceux qui étaient autrefois perçus comme des étrangers en situation irrégulière, sans droits, ont progressivement été considérés comme en immigration au Maroc et bénéficiaires légitimes de certains dispositifs et droits fondamentaux. Le roi du Maroc Mohammed VI a accompagné une évolution des perceptions par plusieurs de ses discours, appelant à soutenir l’intégration des
« frères africains » et à appréhender autrement les phénomènes migratoires, au-delà du Maroc. Des dispositifs particuliers sont mis en place, dédiés à soutenir la régularisation du séjour et l’intégration des personnes migrantes en situation irrégulière.
En 2013 et en 2016, ont ainsi été organisées deux campagnes exceptionnelles de régularisation du séjour sur le territoire, sollicitées par près de 50 000 personnes, de différentes origines nationales mais majoritairement originaires d’Afrique de l’Ouest et centrale. Ces dernières ont été particulièrement ciblées par ces opérations. Si près de 85 % des demandeurs ont obtenu un avis positif dans le cadre de la première opération exceptionnelle de régularisation, les données sont lacunaires concernant la proportion d’avis positifs délivrés à l’occasion de la seconde opération (2016/2017) et le nombre effectif de titres de séjour effectivement délivrés. « Cette décision d’organiser une opération exceptionnelle de régularisation des étrangers fait également suite à la publication en septembre 2013 par le Conseil national des droits de l’Homme de recommandations liées à la situation des étrangers en situation régulière, irrégulière ou réfugiés au Maroc, explique Nadia Khrouz, chercheuse marocaine en sciences politiques à l’Université Mohammed V, associée au LPED et membre de l’équipe de coordination du LMI Movida. Au même moment, se tenait la session d’examen de la mise en œuvre par le Maroc de la convention internationale de protection des droits de tous les travailleurs migrants et membres de leurs familles par le comité de l’ONU dédié. Le Maroc a alors voulu se présenter comme précurseur sur la question des migrations et a mis en place un programme de réformes destiné à soutenir l’intégration des migrants, ciblant en particulier les personnes auparavant considérées comme en transit. Les institutions européennes ont également soutenu cette stratégie. »
Cette politique s’inscrit dans la volonté du Maroc de s’afficher en tant que leader au sein de l’Union africaine (UA, anciennement OUA – Organisation de l’unité africaine) dans laquelle il est revenu en 2017 après l’avoir quitté en 1984, suite à l’admission du Sahara Occidental occidental au sein de l’OUA. Mohammed VI, dans ses discours, rappelle la volonté de l’État marocain de reprendre sa place et son rôle en Afrique. Cette orientation a soutenu une évolution des perceptions de la société sur les « Africains » établis au Maroc et sur les perspectives d’investissement, notamment politique, du pays sur le reste du continent et vis-à-vis des partenaires, notamment européens.
Des programmes de soutien économique, juridique et scolaire à destination des enfants ont également accompagné les campagnes de régularisation, dans la continuité de ce qu’avaient auparavant engagé des acteurs de la société civile intervenant auprès des migrants. « Les étrangers ont maintenant un accès plus facile aux administrations et celles-ci ont moins de préjugés sur eux, assure la chercheuse. Si les étrangers en situation irrégulière ont plus facilement accès à leurs droits fondamentaux qu’auparavant – tels que la scolarisation des enfants et la déclaration à l’état civil – un différentiel subsiste dans les discours de différentes instances intervenant sur la question, entre l’appel à la construction d’un nouveau paradigme relatif à la migration, au Maroc et au-delà, et une focalisation persistante sur des migrants subsahariens, encore régulièrement stigmatisés et camouflant des réalités bien plus complexes. »
Entre régularisation des dits migrants et régularisation des procédures, cette dynamique politique et les programmes qui l’ont accompagnée, alimentés par ailleurs par des initiatives comme le pacte mondial sur les migrations (adopté en 2018 à Marrakech), ont contribué à faire progresser l’accès aux droits et les mentalités, vis-à-vis notamment des dits migrants subsahariens.
« Certaines réformes majeures de la nouvelle politique d’immigration et d’asile sont pourtant encore en attente depuis 2014, comme il en est de l’amendement de la loi régissant la migration (loi n°02-03) et de celle sur l’asile », rappelle Nadia Khrouz. Ces réformes législatives et structurelles, à même de soutenir une pérennisation des efforts déployés dans le cadre de la nouvelle politique d’immigration et d’asile, vont de pair avec une évolution des perceptions, au sein de la population marocaine et des administrations concernées, ainsi qu’avec une régularisation des procédures avec la législation en vigueur.
Croire
« L’installation croissante de migrants chrétiens originaires d’Afrique subsaharienne et centrale transforme le paysage religieux au Maroc en redynamisant les églises historiques (catholiques et protestantes) endormies depuis l’indépendance et le départ des colons et en créant des multitudes de lieux de culte, qu’on appelle des églises de maison », introduit Sophie Bava, socio-anthropologue au LPED et coordinatrice du LMI Movida. Aujourd’hui, on ne compte pas moins une trentaine d’églises de maison à Rabat et une cinquantaine à Casablanca pour quelques milliers de fidèles. Les étudiants chrétiens africains y ont créé de nombreuses églises néo-pentecôtistesCourant du christianisme évangélique qui met l'accent sur les dons du Saint-Esprit, ou grâces de Dieu, appelées également églises de réveil ou églises charismatiques, non reconnues par le ministère des Habous et des Affaires islamiques du Maroc. Ces lieux de culte s’organisent dans des appartements partagés ou dédiés à la vie religieuse où un autel et des chaises sont installés.
« De leur côté, les églises officielles débordent, indique la chercheuse. Elles doivent recruter des pasteurs et des prêtres. Un pasteur m’a même dit : “J’ai l’impression de vivre les premiers temps du christianisme !”. Les églises chrétiennes pour répondre au nombre croissant de fidèles ont créé les conditions d’un encadrement théologique autour de l’institut œcuménique de théologie Al Mowafaqa, à Rabat, en 2012. Elles souhaitent garder le contrôle des pratiques religieuses car elles redoutent un rejet de la part des autorités marocaines. » L’État marocain a en effet déjà renvoyé 110 pasteurs africains et américains soupçonnés de prosélytisme il y a une dizaine d’années.
Au-delà du nombre de migrants africains chrétiens présents, comment expliquer une tel renouveau du christianisme au Maroc ? « Les pasteurs offrent à leurs fidèles un espace de réconfort, un soutien matériel et spirituel. Dans leurs prêches, ils proposent aux migrants des figures et des métaphores puisées dans la Bible qui leur ressemblent. Ils sont des sortes de coaches ! En mobilisant les parcours des personnages des textes sacrés confrontés à l’exil, à la pauvreté, à la traversée du désert, ils vont les aider à supporter leur situation, ajoute Sophie Bava. Les églises officielles via l’organisation caritative catholique CaritasCaritas Maroc est une institution de l’Église catholique, qui appartient simultanément au réseau international « Caritas Internationalis », créé par le Saint-Siège en 1951 pour servir ses activités sociales et caritatives dans plus de cent-soixante pays. ou le CEIComité d’Entraide Internationale (CEI) créé en 2004 par l’Eglise Evangélique au Maroc (EEAM) qui assure des services d’aide et d’accompagnement auprès des migrants. sont également associés à des projets de l’Office international des migrations (OIM) autour de l’aide au retour des migrants. » Là encore, la position du roi qui se présente comme « Commandant de tous les croyants » est majeure. En 2019, il a invité le pape François au Maroc pour réfléchir notamment à la question des migrations. « L’arrivée des migrants chrétiens au Maroc a ainsi poussé les autorités du pays à repenser le rapport aux christianisme dans la société marocaine, un christianisme venu des pays du Sud », souligne la chercheuse.
Ces langues qui s’enrichissent… et qui disparaissent
Les trajectoires migratoires influent sur le répertoire linguistique des individus. D’une part, en se déplaçant d’une région, d’un pays à l’autre, les migrants apprennent de nouvelles langues. D’autre part, la structure des langues évolue en fonction de leur maîtrise par les locuteurs. « Un migrant parlant wolof va par exemple utiliser les mêmes structures que celles de sa langue, dans un discours en italien, explique Joseph Jean François Nunez, linguiste à l’UMR SEDyL. Les puristes vont percevoir négativement cette évolution, mais les personnes qui parlent de cette façon le font pour répondre à leurs besoins de communication. Certains éléments, perçus comme étrangers, s’intègrent au fur et à mesure dans le répertoire linguistique des locuteurs, enrichissant ainsi les langues. »
En se déplaçant, les individus cessent parfois de parler leur langue natale. À Dakar, par exemple, ceux qui parlent sérèreLangue parlée au Sénégal ainsi qu'en Gambie qui appartient à la branche atlantique des langues nigéro-congolaises. préfèreront s’exprimer en wolof de peur d’être jugés comme des
« campagnards ». Certaines langues se raréfient ainsi, voire disparaissent par crainte des préjugés liés aux groupes ethniques auxquelles elles se rattachent.
Enfin, la transmission de la langue des parents à leurs enfants est primordiale dans la sauvegarde du patrimoine linguistique. Dans certaines familles, la langue du pays d’accueil est privilégiée afin que les enfants s’insèrent plus facilement dans la société où ils vivent. Ils vivent alors une rupture intergénérationnelle et devront par eux-mêmes apprendre la langue de leurs parents lorsqu’ils grandiront. « Dans d’autres, la transmission de la langue maternelle est au cœur de la politique familiale et essentielle aux yeux des parents pour faire perdurer leur culture. Les familles se positionnent en fonction des questions économiques, d’intégration et de revitalisation de leur langue. Les mobilités peuvent ainsi enrichir les langues mais également les mettre en danger lorsqu’elles ne sont plus parlées ou transmises », conclut Joseph Jean François Nunez.
Transformations urbaines
Les mobilités constituent ainsi un vecteur de changement social. Sur le continent africain, cela se vérifie dans les grandes villes qui s’étendent en absorbant divers flux de population qu’ils soient locaux, régionaux ou internationaux.
Si les migrants s’orientent d’abord vers les maisons de ressortissants des même lieux d’origine, ils se redistribuent ensuite vers les périphéries urbaines dès qu’ils peuvent prétendre à une location autonome ou à accéder à la propriété.
« Ce mouvement centrifuge, qui tend à s’éloigner du centre, s’aligne sur celui des natifs de la ville et contribue à la constitution d’agglomérations élargies, explique Monique Bertrand, géographe au sein de l’UMR CESSMA. Avec le temps, ces migrants se définissent de moins en moins comme tels, et mettent en avant leur identité de citadins. »
Les périphéries de Bamako, par exemple, voient s’installer de nombreux ménages venant de la capitale. Il s’agit d’un flux transrégional que le recensement définit comme migratoire au même titre que les mouvements, y compris internationaux et de retour, qui affectent de nombreux actifs originaires des villages phagocytés par cette expansion urbaine.
Celle-ci maintient un volant non négligeable de migrantes et migrants saisonniers, qui se font l’écho de son boom immobilier et de la crise sécuritaire qui secoue le Mali. Les nouvelles banlieues dortoirs font donc cohabiter des trajectoires résidentielles très diverses. Leur dynamique contribue à déconstruire la migration représentée comme un flux centripèteQui tend à se rapprocher du centre. et irréversible. D’autant que d’autres hommes et femmes ne transitent par les capitales que pour y travailler ponctuellement, et explorer ensuite d’autres routes migratoires.
Étudier et transmettre
Dernier aspect des transformations sociales opérées par la mobilité : celui des études. L’Afrique est en effet le continent où les étudiants s’expatrient le plus : ils sont ainsi 4 à 5 % de la masse étudiante globale – soit 300 000 – à quitter leur pays contre 2 à 3 % en moyenne dans le reste du monde. Ils se déplacent sur leur continent, principalement en Afrique du Sud – troisième pays le plus attractif avec 35 000 étudiants étrangers africains – et au Maghreb – le Maroc accueille 15 à 20 000 étudiants subsahariens –, mais aussi en Europe, aux États-Unis ou en Chine.
Ces étudiants émigrés agissent pour leur pays d’origine, et pas seulement à travers des transferts de fonds. Ils créent des associations dans leur pays d’accueil pour transmettre leurs connaissances et leur savoir. Certaines associations expriment des objectifs humanitaires comme celle des Médecins béninois de France qui propose des services médicaux indisponibles au Bénin. « Les médecins locaux font appel à la diaspora pour soigner des patients, explique Jean-Baptiste Meyer, socio-économiste au CEPED. Les médecins émigrés leur apportent ainsi un supplément de compétences pour les communautés médicales sur place. Un nombre important d’individus partis à l’étranger souhaitent en effet s’investir pour leur pays d’origine. »
Pour autant, pour que ces diasporas soient efficaces, certains éléments se révèlent essentiels.
« Pour que les diasporas soient fertiles, les pays d’accueil et d’origine doivent investir dedans et créer des liens entre les communautés, à travers des interlocuteurs stables. Ainsi, l’Afrique du Sud a tenté d’institutionnaliser ces communautés scientifiques qui apparaissent comme vectrices de développement. Concernant l'Asie, la présence massive de ses jeunes ingénieurs et chercheurs en sciences de l'information dans la Silicon Valley ces dernières décennies a fait décoller, en retour, la technologie indienne », souligne le chercheur.
En Afrique, huit États se sont mobilisés autour du projet ACE PartnerSoutenu par l‘IRD, l’Agence française de développement (AFD), la Banque mondiale, l’Association des universités africaines (AUA) et l’Inria.1 afin de constituer des centres d’excellence et offrir des conditions d’études satisfaisantes aux étudiants talentueux.
« Ces centres ont été créés pour retenir les étudiants sur le continent. Mais les occasions d’échange entre eux avec d’autres intellectuels leur donnent envie d’aller voir ailleurs pour obtenir de meilleures conditions de vie. On observe finalement des dynamiques paradoxales où ces centres accroissent les ambitions des étudiants et les incitent éventuellement au départ », ajoute Jean-Baptiste Meyer.
De manière générale, deux tiers des étudiants émigrés retournent dans leur pays d’origine après avoir terminé leurs études. Selon le chercheur, ce sont les aspects social et familial qui entrent en compte dans ces retours. « Développer les perspectives de développement professionnel dans les pays d’origine pour accroître les retours et améliorer les échanges avec les diasporas scientifiques permettrait de créer des dynamiques internes/externes, fécondes pour les transferts de connaissances issus des mobilités », conclut-il.
Les migrations africaines transforment ainsi de manière globale les sociétés, qu’elles soient d’accueil ou de départ. Que ce soit d’un point de vue économique, religieux, linguistique ou intellectuel, elles participent à l’évolution générale du continent africain.
Kayes, une manne migratoire essentielle qui creuse les inégalités
Près de 10 % des Maliens reçoivent des transferts d’argent de l’étranger, soit 1,8 million d’habitants sur 18 millions. Ces données montrent l’importance du poids des migrants dans l’économie de leur pays d’origine. Les migrants maliens qui habitent dans un pays membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) rapatrient ainsi un mois de salaire (équivalent au SMIC) par an dans leur famille. « La région de Kayes, au sud-ouest du Mali, reçoit la moitié de ces transferts, précise l’économiste Sandrine Mesplé-Somps. Et pour cause, 44 % des familles de Kayes ont un de leur membre qui est parti : c’est la région la plus touchée par l’émigration. » Grâce aux revenus de la migration, environ 300 000 Maliens sortiraient de la pauvreté, ce qui représente une réduction de 2,4 % du taux de pauvreté national. Cependant, l’essentiel de ces revenus ne sont pas ciblés vers les plus nécessiteux. Au contraire, ce sont les ménages les plus riches qui en bénéficient le plus. Cela est valable en moyenne pour le Mali mais particulièrement dans la région de Kayes : les transferts de fonds représentent presque 40 % de la consommation moyenne des 20 % les plus riches habitants de cette région, contre seulement 10 % pour le restant. Les transferts de fonds ont donc tendance à augmenter les inégalités, une des explications étant que les migrants ne proviennent pas des familles les plus démunies du pays mais plutôt des classes moyennes voire hautes.