Photomontage : cellules cancéreuses en fin de division et silhouette de moustique

© Flickr Sam Levin - montage Sabrina Toscano-IRD

Moustiques et cancers : des liaisons dangereuses ?

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Le sujet

Dans les pays du Sud, on dénombre de plus en plus de cancers. En cause : l’allongement de la durée de vie. En parallèle, ces pays abritent de nombreux moustiques à l’origine de diverses maladies infectieuses. Trois chercheurs de l’unité Maladies Infectieuses et Vecteurs : Écologie, Génétique, Évolution et Contrôle (MIVEGEC) de l’IRD et du CNRS présentent les interactions possibles entre cancers et moustiques, identifiées grâce à une revue de la littérature scientifique. L’objectif : déterminer et stimuler les recherches qu’il va falloir mener pour répondre à ces deux enjeux de santé publique.

Les intervenants

  • © Thierry Lefèvre

    '' La capacité des moustiques à favoriser directement ou indirectement les cancers est plausible mais des études plus poussées doivent être menées. ''

    Thierry Lefèvre

    Chargé de recherche à l’IRD et au CNRS, basé à MIVEGEC, membre actif du Centre de recherche en écologie et évolution de la santé

  • © Frédéric Thomas

    '' Si les moustiques piquent différemment les gens qui ont un cancer et ceux qui n’en n’ont pas, cela pourrait avoir un impact sur la dynamique des maladies qu’ils transmettent. ''

    Frédéric Thomas

    Directeur de recherche CNRS et chercheur à l’IRD basé a MIVEGEC, co-directeur du Centre de recherches écologiques et évolutives sur le cancer, membre actif du Centre de recherche en écologie et évolution de la santé

  • © Benjamin Roche

    '' Si les moustiques cancéreux pondent avant et/ou beaucoup plus que les sains, cela pourrait avoir des conséquences sur la transmission de parasites pathogènes aux êtres humains. ''

    Audrey Arnal

    Postoctorante à UMMISCO et MIVEGEC

La réponse de Thierry Lefèvre

Nous avons étudié l’impact des moustiques, des parasites qu’ils transmettent et des maladies qu’ils induisent, sur la cancérogenèse. Premier constat, il est difficile d’établir un lien entre une infection dont les symptômes peuvent être quasi immédiats et un cancer qui va mettre plusieurs mois, voire des années à se manifester. Cependant, de récents travaux indiquent que 20 % des cancers seraient d’origine infectieuse. Ainsi, certains parasites sont connus pour avoir un impact direct sur le risque de survenue d’un cancer. C’est le cas du papillomavirus responsable de tumeurs des appareils génitaux, du virus d’Epstein Barr à l’origine du lymphome de Burkitt, un cancer de la moelle osseuse, ou encore des hépatites B et C. Tous circulent dans le sang, il existe donc un risque que les moustiques les transmettent en piquant un individu porteur d’un parasite puis un autre. 
Autre hypothèse : la transmission d’un agent pathogène provoque des changements — inflammation, modifications des réponses immunitaires, de l’environnement des gènes et de leur expression — qui pourraient faciliter indirectement le développement de cancers. Cela pourrait être le cas par exemple du paludisme. Quand une personne est infectée par Plasmodium, le parasite responsable de cette maladie, son système immunitaire s’active contre lui, et pourrait alors se détourner du contrôle des cellules cancéreuses. Par ailleurs, le paludisme est associé à d‘autres virus potentiellement oncogènes. Ainsi, on soupçonne le Plasmodium de renforcer la capacité du virus d’Epstein Barr à provoquer des cancers. Le lymphome de Burkitt est d’ailleurs plus fréquent dans les régions où le paludisme est endémique. Enfin, deux études menées aux États-Unis ont établi un lien entre les cas de paludisme et la mortalité causée par tous types de cancers d’une part, et des tumeurs cérébrales d’autre part. Cependant, il faut rester prudents car il y a très peu de paludisme aux États-Unis, et d’autres études menées en laboratoire montrent qu’en stimulant le système immunitaire, le paludisme aurait un effet protecteur vis à vis de cancers pulmonaires. 
Enfin, en 1960, des chercheurs ont démontré en laboratoire qu’Aedes aegyptiMoustique vecteur de la dengue, de Zika, de chikungunya, de la fièvre jaune était capable de transmettre des cellules cancéreuses d’un hamster malade à un autre sain.
La capacité des moustiques à favoriser directement ou indirectement les cancers est donc plausible. Mais pour confirmer ou infirmer les hypothèses que nous avons faites, des études plus poussées doivent être menées tant au niveau épidémiologique que biologique, dans les régions du monde où il y a beaucoup de moustiques.

La réponse de Frédéric Thomas

Des travaux montrent que les maladies s’accompagnent de modification d’odeur corporelle. Le cancer n’échappe pas à cette règle. Or les insectes sont connus pour être particulièrement sensibles aux composés volatiles. Par exemple, en laboratoire, les drosophiles, les mouches à vinaigre, font la différence entre des cultures de cellules cancéreuses et des saines. Ce phénomène n’a jamais été étudié avec les moustiques. Pourtant s’ils piquent différemment les gens qui ont un cancer et ceux qui n’en n’ont pas, et qu’il y a de plus en plus de cancers dans les pays du Sud, cela pourrait avoir un impact sur la dynamique des maladies qu’ils transmettent. Par ailleurs, les cancers débutent longtemps avant l’apparition des premiers symptômes. Il serait aussi intéressant de déterminer à partir de quel moment, les moustiques sont sensibles à un changement du profil d’odeurs. 

La réponse de Audrey Arnal

Aucune étude n’a encore détecté de cancer naturel chez le moustique, mais d’autres insectes développent des tumeurs naturelles ou provoquées en laboratoire. Il s’avère que pour compenser les effets négatifs de ces cancers, comme cela a été montré pour les pathogènes qui les infectent, les insectes peuvent adapter leurs caractéristiques physiologiques. Ainsi, au cours de mon post-doctorat, j’ai observé que les femelles drosophiles ayant un cancer de l’intestin atteignent le pic de ponte deux jours plus tôt que les autres. Donc si des moustiques cancéreux pondaient avant et/ou beaucoup plus que les sains, cela pourrait avoir des conséquences sur l’ensemble de leur communauté, sur le nombre de piqûres et sur la transmission de parasites pathogènes aux humains. À l’avenir, il faudrait rechercher s’il existe des cancers chez les moustiques dans la nature et en parallèle étudier en laboratoire leur impact sur la physiologie de ces insectes. 

 


  • CONTACTS : 

Thierry Lefèvre,MIVEGEC (CNRS/IRD/Université de Montpellier)
Frédéric Thomas, MIVEGEC (CNRS/IRD/Université de Montpellier)
Audrey Arnal, MIVEGEC (CNRS/IRD/Université de Montpellier) et UMMISCO (IRD / Sorbonne Université / Université Cadi Ayyad de Marrakech / Université Cheikh Anta Diop de Dakar / Université Gaston Berger de Saint-Louis / Université de Yaoundé I / University of Science and Technology of Hanoi)
Frédéric Simard, MIVEGEC (CNRS/IRD/Université de Montpellier)

  • PUBLICATIONS

Revue : Cancer et moustiques – Un lien étroit insoupçonné
A. Arnal, B. Roche, L.C. Gouagna, A. Dujon, B. Ujvari, V. Corbel, F. Remoue, A. Poinsignon, J. Pompon, M. Giraudeau, F. Simard, D. Missé, T. Lefèvre, F. Thomas, Review : Cancer and mosquitoes – An unsuspected close connection, Science of The Total Environnement, 30 juin 2020 

Le cancer avance la ponte chez la mouche Drosophila melanogaster
A. Arnal, C. Jacqueline, B. Ujvari, L. Leger, C. Moreno, D. Faugere, A. Tasiemski, C. Boidin-Wichlacz, D. Misse, F. Renaud, J. Montagne, A. Casali, B. Roche, F. Mery, F. Thomas, Cancer brings forward oviposition in the fly Drosophila melanogaster, Ecology and Evolution, 20 décembre 2016 

  • Pour en savoir plus

L’abominable secret du cancer, de Frédéric Thomas, Éditions HumenSciences, publié en mars 2019, a reçu le prix du livre scientifique Le goût des sciences 2020

  • JOURNALISTE

Françoise Dupuy Maury