Le navire océanographique Alis en Polynésie française

© IRD/Jean-Michel Boré

Océans, des labos géants

Mis à jour le 12.10.2020

De l’échantillon moléculaire au balayage satellite, les spécialistes du milieu marin déploient un arsenal multi-échelles pour observer et caractériser mers et océans. Avec l’aide des populations et usagers de la mer, ils scrutent en permanence ces étendues salées qui couvrent les deux tiers de la planète. Les données qui en résultent bénéficient à la compréhension et la gestion de nombreuses questions : variation du climat, fonctionnement des écosystèmes, préservation de la biodiversité, gestion des ressources vivantes, lutte contre les facteurs de dégradation…


 

© FRB

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La campagne « La science pour un monde durable » a pour objectif de mettre en avant la recherche française sur la biodiversité en valorisant ses résultats, identifiés comme étant des exemples de solutions, de leviers d’actions en lien avec les recommandations proposées par l’Ipbes afin d’atteindre les objectifs du développement durable (ODD) des Nations Unies et de nourrir les réflexions en vue de la définition du cadre d’action post 2020 de la CDB.


 

Banc carangues mer

Banc de carangues, un poisson tropical

© IRD/Marc Taquet

Inventorier la biodiversité marine

« Appréhender l’état de la biodiversité des océans et comprendre les écosystèmes marins est devenu un défi d’une ampleur inédite », estime l’écologue marin Philippe Cury. Pour les scientifiques, il s’agit en effet de recueillir des connaissances sur des milieux qui évoluent très vite, avant même d’avoir été caractérisés, mais aussi de trouver des approches pour gérer durablement et équitablement des ressources désormais soumises à un total bouleversement.

Plongée de bioprospection dans l'archipel des Tuamotu.

© IRD/Dominique Fleurisson

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Course contre la montre

La connaissance des milieux vivants marins s’apparente à une course contre la montre. Leur compréhension est singulièrement compliquée et ralentie par la difficulté d’observer le monde sous-marin, d’établir des suivis de populations ou d’écosystèmes in situ, de conduire des expérimentations en milieu contrôlé et de modéliser l’évolution de ces systèmes complexes. D’autant que ces milieux et leurs occupants sont soumis à des pressions intenses, liées directement aux activités anthropiques ou au changement global : ils évoluent avant même d’être totalement percés à jour. De récents travaux de l’IRD montrent ainsi l’impact de ces facteurs de forçage sur la production primaire, sur les communautés de poissons(1) et même sur la migration des ressources marines hors des eaux territoriales(2)

Pour tenir l’allure face aux événements, les scientifiques sont sur tous les fronts, explorant les milieux littoraux (lagunes, mangroves et estuaires), côtiers (sur le plateau continental), et hauturiers. Ils s’attachent tout à la fois à décrire la biodiversité, à comprendre sa dynamique en relation avec le changement climatique et à décrypter le fonctionnement de ces écosystèmes et leurs nombreuses connexions. Ce branle-bas n’est pas seulement motivé par la soif de savoir…

Préserver et gérer

La mobilisation scientifique vise à estimer l’impact des changements à l’œuvre sur les écosystèmes marins et à évaluer leur capacité de résilience. « L’enjeu est de taille, il faut trouver les moyens pour concilier conservation et exploitation des ressources marines », indique le spécialiste. L’océan est en effet le dernier milieu exploité à grande échelle sur le mode de la cueillette, et sa production est indispensable à la subsistance et la sécurité alimentaire de nombreuses communautés humaines, tout particulièrement au Sud.

Mais le rythme des changements environnementaux et leur impact sur le vivant dépassent toutes les prévisions et les préoccupations se font plus pressantes. « Jusqu’à présent nous étions dans un monde de variations, avec des petits changements d’une année sur l’autre, mais nous sommes entrés dans une ère de transformation profonde des milieux marins comme nous nous n’en avons jamais vécue. Ainsi, les zones intertropicales se réchauffent tant que la biodiversité les déserte pour migrer vers les pôles. Et des pays se trouvent privés de leurs ressources halieutiques », précise Philippe Cury.

Les pêcheries industrielles affectent l’activité des pêcheries traditionnelles par leur impact important sur l’abondance et la distribution spatiale des ressources halieutiques, ici aux Seychelles.

© IRD – Thibaut Vergoz

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À cela s’ajoute la surexploitation des poissons qui compromet encore plus la sécurité alimentaire au Sud. Au Sénégal, par exemple : depuis la baisse d’abondance des poissons de fonds dans les années 1990, les pêcheurs se focalisent presqu’exclusivement sur les sardinelles. Ces espèces pélagiques?Relatif à la pleine mer, par opposition aux côtes et aux fonds marins sont aujourd’hui transformées en farine pour alimenter l’aquaculture chinoise au détriment de la consommation locale. De fait, en Afrique, la ration de poisson par habitant a déjà baissé et ne cessera de chuter jusqu’en 2030, d’après la FAO.  « La recherche se trouve dès lors investie de questions socio-économiques majeures, comme celle de l’équité dans le partage des ressources entre pays du Nord et du Sud, entre pêcheries artisanales et industrielles, ou de choix stratégiques entre l’utilisation du poisson sauvage pour nourrir les populations locales ou développer une aquaculture expansionniste, estime-t-il. Il reste énormément de travail pour que les Objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 des Nations Unies deviennent une réalité tangible mais ce dernier fournit un cadre incontournable pour notre futur commun. »

Fructueuses campagnes à la mer

Pour connaitre les organismes marins non-exploités par la pêche, les scientifiques organisent des campagnes océanographiques. Celles, menées en 2015 et 2017 au large des côtes du Nordeste brésilien sous le nom de ABRACOS (pour Acoustics along the Brazilian coast 1 ) ont ainsi été particulièrement fructueuses. Grâce au suivi acoustique, les biologistes ont découvert la place bien plus importante que prévue occupée par les méduses et autres organismes gélatineux. Ils ont aussi pu prélever plus de 300 espèces mésopélagiques dont dix nouvelles. Non exploités et donc mal connus, ces poissons intéressent néanmoins beaucoup la recherche. Ils représentent en effet la plus importante biomasse marine, et concourent au stockage océanique du carbone atmosphérique, à la faveur d’aller-retours entre surface et profondeur des eaux. L’instrumentation de la macrofauneOiseaux et mammifères marins marine permet en parallèle d’établir ses comportements et sa place dans les écosystèmes.


Note :
1. Menée par l’IRD avec les universités Fédérale et Fédérale Rurale du Pernambouco, à bord du navire océanographique Antea de l’IRD.


Contacts : Arnaud Bertrand / Sophie Bertrand

© IRD/Arnaud Bertrand

Déploiement du chalut pélagique, sur le navire Antea, durant la campagne océanographique ABRACOS 2


Notes :
1.
Caihong Fu, Morgane  Travers-Trolet, Laure Velez, Arnaud Grüss, Alida Bundy, Lynne  J. Shannon, Elizabeth A. Fulton, Ekin Akoglu, Jennifer E. Houle, Marta Coll, Philippe Verley, Johanna  J. Heymans,  Emma John, Yunne-Jai Shin. Risky business : the combined effects of fishing and changes in primary productivity on fish communities, Ecological Modeling, 24 janvier 2018 

2. Abdoulaye Sarré, Jens-Otto Krakstad, Patrice Brehmer & Ebou Mass Mbye. Spatial distribution of main clupeid species in relation to acoustic assessment surveys in the continental shelves of Senegal and The Gambia, Aquatic Living Ressources, 2018 


Contact : philippe.cury@ird.fr

Ciel d'orage sur l'Atlantique

© IRD/Sandrine Ruitton

Comprendre le climat

 « Comprendre le climat, c’est d’abord observer et décrypter les liens complexes entre l’océan et l’atmosphère », explique l’océanographe et climatologue Jérôme Vialard. Les interactions entre ces deux gigantesques compartiments sont en effet à l’origine de variations naturelles récurrentes du climat, de diverses ampleurs et aux impacts significatifs, sur terre comme sur mer – cyclones, sécheresses, inondations, saisons de pêche bonnes ou médiocres... « Désormais, il faut intégrer en plus les effets du changement climatique lié aux activités humaines, sur l’équilibre du système océan-atmosphère », précise le spécialiste.  Et cela complique singulièrement la donne quand il s’agit d’anticiper l’occurrence et les impacts des événements climatiques majeurs, comme les cyclones, sécheresses, inondations…

Des anomalies naturelles

Les phénomènes climatiques et marins liés aux échanges entre océan et atmosphère commencent à être bien connus des scientifiques. Les hautes formations nuageuses au-dessus de la région indonésienne contribuent par exemple à engendrer des vents d’est sur l’océan Pacifique. Ceux-ci génèrent des courants océaniques, qui font à leur tour remonter des eaux riches et favorisant l’abondance de la vie aquatique sur les côtes d’Amérique du sud.  Ces courants maintiennent des eaux plus chaudes dans le Pacifique Ouest, elles-mêmes propices au développement de nuages sur cette zone. L’océan et l’atmosphère s’influencent donc mutuellement. Mais cette belle mécanique s’enraye épisodiquement et, tous les quatre, cinq ou six ans surviennent des anomalies naturelles appelées El Niño. Le réchauffement inhabituel du Pacifique Est perturbe alors à la fois les courants, la productivité océanique et le climat régional (pluviométrie, cyclones tropicaux), voire planétaire pour les El Niños les plus intenses. « Grâce aux connaissances acquises depuis plus de 30 ans, nous parvenons maintenant à prévoir les épisodes El Niño et leurs impacts sur le climat global plusieurs saisons à l’avance, indique le scientifique. Et c’est aussi le cas s’agissant de formes comparables d’anomalies climatiques naturelles dans les autres océans tropicaux, comme par exemple le "dipôle de l’océan Indien". » Enfin, tant que le réchauffement ne vient pas tout bousculer…

El Niño fait la pluie et le beau temps

Le phénomène El Niño correspond à une anomalie épisodique affectant le climat du Pacifique et des régions alentours. En temps normal, les eaux les plus chaudes restent concentrées dans l’ouest de l’océan Pacifique et autour de la région indonésienne. Elles sont maintenues dans cette position par les alizés, des vents tropicaux réguliers, soufflant d’est en ouest. Les années où survient El Niño, cet équilibre est rompu. Les alizés faiblissent et l’eau chaude gagne le centre de l’océan Pacifique, voire parfois sa bordure est. S’en suivent différentes conséquences peu favorables aux activités humaines, notamment un déplacement des précipitations saisonnières vers l’est, laissant l’Asie et l’Océanie dans la sécheresse et submergeant l’Amérique du sud sous des pluies diluviennes.

Le réchauffement s’en mêle

« Le réchauffement de l’atmosphère par les gaz à effet de serre et son impact global sur l’océan ne font plus question, estime le chercheur. L’océan est un modérateur essentiel du changement climatique : il absorbe une grande partie de l’excès de chaleur accumulé et une part des émissions anthropiques de carbone. » Mais cela se fait au prix d’une élévation de la température de la mer, d’une hausse de son niveau et de son acidification.

« Une des grandes questions qui se posent aux scientifiques est celle d’une possible influence du changement climatique sur les modes de variabilité naturelle comme El Niño, indique-t-il. Dans un monde plus chaud, El Niño va-t-il devenir plus intense, plus fréquent ? » Des études de l’IRD suggèrent que les El Niños les plus forts pourraient devenir plus fréquents, et leurs effets plus dévastateurs(1).

Se pose aussi la question de distinguer les subtils effets du changement climatique, s’installant progressivement depuis un siècle, des variations naturelles de plus grande amplitude associées à El Niño. « C’est d’autant plus délicat que le changement climatique implique des interactions océan-atmosphère un peu similaires à celles qui sont liées à El Niño », précise Jérôme Vialard. Enfin, le phénomène El Niño a lui-même un effet sur la température annuelle moyenne de la planète, qui se superpose au changement climatique. Un grand nombre d’études a par exemple démontré que le ralentissement du réchauffement de la surface de notre planète lors des deux dernières décennies n’était qu’un effet temporaire associé à un stockage de chaleur dans l’océan Indien lié à une succession de La Niña?L'anomalie froide symétrique à El Niño(2).

« Le nouvel enjeu pour la recherche climatique consiste à anticiper les conséquences de ce bouleversement à l’échelle régionale : comment vont être impactés les vents, les courants, les upwellings?Remontées d’eaux froides azotées et productives le long des côtes, estime Jérôme Vialard. C’est un préalable pour estimer comment ces manifestations régionales risquent en retour d’affecter le climat global.


Notes :
1. Cai, W., Borlace, S., Lengaigne, M., Van Rensch, P., Collins, M., Vecchi, G., ... & England, M. H. (2014). Increasing frequency of extreme El Niño events due to greenhouse warming. Nature climate change, 4(2), 111.

2. Vialard, J., 2015: Hiatus heat in the Indian Ocean, Nature Geoscience, doi:10.1038/ngeo2442.


Contact : Jérôme Vialard

Navire Antea et bouée fixe PIIRATA

Une bouée fixe du réseau PIRATA et le navire océanographique Antea dans l'Atlantique

© IRD/Jacques Servain

Observer, de l’espace aux abysses

Bien qu’il couvre 72 % de la surface de la planète, le milieu océanique est beaucoup moins bien connu des scientifiques que le milieu terrestre ou même que l’espace. Difficile d’accès et lointain, il nécessite un véritable arsenal d’instruments spécialisés pour aller l’observer, y faire des mesures, prélever des échantillons… « Les données acquises sur l’océan servent à alimenter son monitoring – une surveillance permanente -, à fournir des informations tangibles aux modèles numériques de prévision, et à mener des recherches spécifiques pour comprendre son fonctionnement et son évolution », explique l’océanographe Bernard Bourlès, responsable en France de l’observatoire?Dispositif scientifique et institutionnel visant à organiser et pérenniser l’observation d’un type de données  PIRATA.

Les satellites d’observation des océans, comme SWOT, survolent toutes les quelques heures presque toute la surface océanique.

© CNES – octobre 2012 / Illust. D. Ducros

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Sous l’œil des satellites

Longtemps circonscrite au pont de rares navires, et donc assez éparse, l’observation océanique a connu un véritable changement d’échelle il y a une trentaine d’années avec le lancement de satellites dédiés. Grâce à cette flotte spatiale, qui n’a cessé de s’étoffer depuis, l’océan est suivi par des passages réguliers – toutes les quelques heures – sur presque toute sa surface. Les capteurs embarqués permettent d’acquérir des informations sur la température et la salinité de surface, sur le couvert nuageux – et donc les quantités des précipitations à venir –, sur la richesse des eaux en éléments nutritifs, sur les vents, sur le niveau de la mer… Aussi précieuses et abondantes?Elles fournissent plus de 80 % des données des modèles numériques soient-elles, les observations satellitaires ne peuvent cependant suffire. Elles doivent être validées, calibrées et contrôlées par des mesures in situ. Pour cela a été développé tout un arsenal d’instruments d’observation mis en œuvre dans l’océan lui-même.

 

Instruments autonomes et navires océanographiques

Mise à l’eau d’une sonde avec bouteilles à renversement pour effectuer des prélèvements à des profondeurs données, et d’autres capteurs électroniques, au large des îles Salomon

© IRD/Sophie Clavette

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Ainsi, de véritables stations météorologiques et océaniques sont installées sur des bouées fixes ancrées dans les zones tropicales des océans?70 dans le Pacifique, 39 dans l’Océan Indien et 18 en Atlantique. Elles mesurent et transmettent en permanence les principaux paramètres de l’atmosphère et de la mer – de la surface à 500 mètres de profondeur. Des mesures comparables sont effectuées par des capteurs automatiques installés sur les navires de commerce. De même, des sismographes sont installés sur le plancher océaniques pour surveiller l’activité tectonique et volcanique sous-marine, tandis que des marégraphes positionnés sur les côtes suivent le niveau de la mer. 

D’autres instruments, comme les flotteurs de l’observatoire ARGO, effectuent leurs mesures en dérivant au gré des courants. Ils permettent de caractériser la circulation océanique, et pour certaines bouées qui alternent plongée et immersion, de faire des profils sur la colonne d’eau – température salinité, oxygène dissous, carbone… - de la surface à 2 000 mètres, voire désormais 4 000 mètres, de profondeur.

« Mais pour la mise à l’eau et la maintenance de ces dispositifs autonomes, comme pour certaines manipulations nécessitant la main de l’Homme, il faut aller sur place », précise-t-il. Pour cela, les chercheurs mènent des campagnes océanographiques à bord de navires scientifiques plusieurs mois par an. Elles permettent de faire toutes sortes de mesures physiques, d’observations in situ et de prélèvements : caractérisation acoustique des organismes vivants, échantillonnage le long de la colonne d’eau, chalutage, capture de planctons…

 

Consulter le calendrier des campagnes de la Flotte océanographiques française.

PIRATA : 20 ans d’observation !

Mis en place en 1997 sous l’égide du programme international CLIVAR (Climate Variability and predictability), PIRATA (« Prediction and Research Moored Array in the Tropical Atlantic ») est un programme d'océanographie opérationnelle, dédié à l’étude des interactions océan-atmosphère dans l’Atlantique tropical et de leur rôle dans la variabilité climatique régionale à des échelles saisonnières, interannuelles ou plus longues.

Mené grâce à une coopération multinationale entre la France, le Brésil et les États-Unis, PIRATA maintient un réseau de 18 bouées météo-océaniques dans la zone océanographique et constitue un réseau d’observations de base pour la prévision climatique et la recherche.

En 2017, à l’occasion des 20 ans du programme, les partenaires ont décidé de rédiger un article (1)faisant la synthèse des travaux et succès scientifiques obtenus à partir des 10 dernières années d’observation. Paru en avril 2019, il relate également les résultats permis par la coopération avec d’autres programmes nationaux ou internationaux. Les auteurs soulignent que PIRATA continuera à jouer un rôle majeur dans le futur système d’observation de l’Atlantique tropical en cours de réflexion. Le projet sera discuté lors de la grande conférence internationale OceanObs19, en septembre 2019.


1. B. Bourles et al. PIRATA: A Sustained Observing System for Tropical Atlantic Climate Research and Forecasting, Earth and Space Science, 19 mars 2019 ; doi : 10.1029/2018EA000428

Bernard Bourlès et Moacyr Araujo, coordinateurs respectifs pour la France et le Brésil, reviennent sur les origines et apports du programme.

Aux origines de PIRATA

Propos recueillis en octobre 2018 par Tatiana Vincent.
Montage : Tatiana Vincent/Carole Filiu Mouhali pour l'IRD


 

Différents types de plastiques mêlés aux sargasses

© IRD/Sandrine Ruitton

Affronter les pollutions

Plastiques - en microparticules ou en véritables continents -, métaux lourds, hydrocarbures, composés chimiques, ordures ou organismes envahissants, l’océan est le réceptacle d’une pollution extrêmement abondante. Ces apports massifs d’éléments artificiels, ou la prolifération anormale d’éléments naturels – algues, méduses, étoiles de mer… -, perturbent le fonctionnement et la productivité des écosystèmes et menacent la santé humaine.« La pollution marine doit être abordée de façon intégrée par la recherche, en caractérisant les produits incriminés, leur transport, leur transformation et leur transfert dans la chaine trophique, explique l’écologue marin Olivier Pringault. C’est la condition pour comprendre son origine, ses mécanismes d’action, évaluer des stratégies pour en limiter l’impact, mais aussi réguler les émissions des sources prépondérantes comme l’industrie. »

Visible ou invisible, la pollution des océans affecte la plupart des écosystèmes, ici en Martinique.

© IRD/Hubert Bataille

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Polluants et eutrophisation

Les activités industrielles et minières sont à l’origine de contaminations océaniques importantes, notamment par les métaux. Le mercure lié à l’utilisation de combustibles fossiles, par exemple, dont la concentration atmosphérique a quadruplé depuis la révolution industrielle, finit par rejoindre le compartiment océanique. Sa bioaccumulation et sa bioconcentration dans les ressources halieutiques, comme le thon, peuvent s’avérer critiques en zone intertropicale. De la même manière, le carbone suie, issu des centrales thermiques et de l’écobuage?Débroussaillement par le feu, menace les milieux et les organismes marins, en absorbant et drainant les polluants atmosphériques. « La campagne océanographique HIPPOCAMPE(1), en préparation en Méditerranée, vise ainsi à caractériser l’état de santé des écosystèmes marins, en particulier des réseaux trophiques planctoniques. Car en intégrant les chaines alimentaires, les contaminants – éléments traces métalliques, polluants chimiques ou plastiques - menacent directement la sécurité sanitaire des populations dépendantes de la consommation des produits de la mer », précise le spécialiste. 

Du fait de leur climat chaud, les régions tropicales sont aussi très touchées par une autre forme de pollution, l’eutrophisation. Liée à l’enrichissement des milieux aquatiques en nutriments venus de l’urbanisation (eaux usées) et de l’agriculture (fertilisants), elle entraine des déséquilibres voire des mortalités massives dans les écosystèmes marins privés d’oxygène. Un tel amendement pourrait d’ailleurs être à l’origine de la prolifération des sargasses, sur laquelle planchent actuellement les scientifiques de l’IRD…

 

La prolifération d’algues sargasses sur les côtes des Antilles menace la santé des écosystèmes marins et, après échouages sur les côtes, celle des habitants.

© IRD/Sandrine Ruitton

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Climat ou déforestation

« Ces algues, qui envahissent les plages des Antilles depuis 2011, illustrent la complexité des mécanismes à l’œuvre dans les pollutions marines, tant il est difficile de savoir si leur afflux est lié au changement climatique ou directement à des actions anthropiques sur les continents riverains », explique l’océanographe-physicienne Cristele Chevalier.

En combinant imagerie satellite et modèle numérique des courants, les scientifiques suivent le déplacement des amas de sargasses dans l’Atlantique et émettent plusieurs hypothèses sur le phénomène : l’évolution des circulations océaniques liée au changement climatique pourrait déplacer les algues plus longtemps ou vers des zones plus riches comme les upwellings?Remontées d’eaux froides riches en nutriments le long des côtes de la côte ouest-africaine, leur permettant de croître davantage, avant de les rabattre sur les Antilles. Leur croissance pourrait aussi être dopée par les fertilisants agricoles drainé dans l’océan par les fleuves sud-américains, en raison de l’érosion engendrée par la déforestation…

« Au-delà de la caractérisation des causes et des mécanismes des pollutions, nos travaux visent aussi à développer des approches de bioremédiation?Décontamination d’environnements pollués par l’action d’organismes vivants . L’enjeu est de réduire les impacts négatifs du phénomène, voire de valoriser les déchets en utilisant les microorganismes marins. Outre la régulation des émissions de polluants divers, c’est une des approches les plus prometteuses pour préserver l’environnement », conclut Olivier Pringault. 


Notes :

1. Du 14 avril au 14 mai 2019, entre la France et la Tunisie, dans le cadre du Laboratoire mixte international "COSYS-Med" de l’IRD et du programme national "MISTRALS" du CNRS, impliquant les navires Antea de l’IRD et Hannibal de l’Institut tunisien des Sciences et Technologies de la Mer.


Contacts : Olivier Pringault / Cristele Chevalier

Paysage corallien

© IRD/Serge Andrefouet

Surveiller les coraux

Réchauffement et acidification des eaux, mais aussi pollutions minière ou organique des lagons, pression d’espèces invasives et multiplication des évènements climatiques destructeurs lié au changement global… les récifs coralliens sont mis à rude épreuve. De fait, 20 % de ces écosystèmes, qui abritent le quart de la biodiversité marine mondiale, ont d’ores et déjà disparu. Les scientifiques de l’IRD sont très mobilisés pour comprendre les phénomènes à l’œuvre, découvrir les capacités des coraux à s’adapter aux nouvelles conditions naturelles et identifier d’éventuels moyens pour les y aider. Ils sont sur la brèche, menant leurs travaux dans les aquariums, dans les lagons et même dans un site naturel préfigurant les conditions d’acidité attendues pour la fin du siècle

Sources sous-marines de CO2 permettant d'étudier in situ l'adaptation des coraux à l'acidification des eaux.

© IRD/Jean-Michel Boré

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Laboratoire naturel 

« Grâce à des sources sous-marines de CO2 pur, générées par des sites volcaniques à faible profondeur et formant un véritable laboratoire naturel, nous avons pu développer en Papouasie-Nouvelle-Guinée l’étude in situ de récifs coralliens soumis à un milieu acide », explique le biologiste Riccardo Rodolfo-Metalpa. L’acidification de l’océan, liée à l’augmentation du taux de gaz carbonique atmosphérique dissout dans les eaux, est vraisemblablement nocive pour les coraux. Elle pourrait en effet altérer la capacité à minéraliser tous les organismes calcifiants et menacer ainsi le développement de leur squelette calcaire… Les scientifiques ont installé différents coraux prélevés dans des zones au pH?Plus le potentiel hydrogène, pH, est faible, plus un milieu est acide normal dans ce site aux eaux acides et sont revenus les observer quatre mois plus tard. « De façon surprenante, ils ont tous résisté et ont même connu une forte croissance, indique le spécialiste. Leur acclimatation rapide à ces conditions inhabituelles est de bon aloi pour la survie des récifs face à l’acidification attendue. Elle suggère la mobilisation de ressources génétiques ancestrales, remontant aux époques anciennes où les coraux ont connu des conditions océaniques bien différentes de celles qui prévalent aujourd’hui. »

Sur le front du réchauffement des eaux, l’autre facteur de vulnérabilité des coraux lié au changement climatique, il pourrait aussi y avoir de l’espoir…

Le réchauffement des eaux provoque un blanchissement des coraux.

© IRD/Jean-Michel Boré

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Dopés aux métaux

« Nos travaux visent à établir si des coraux soumis à un apport régulier en métaux sont plus sensibles ou plus résistants au changement climatique », explique la biologiste Fanny Houlbrèque. Les métaux comme le cobalt, le nickel et le manganèse sont présents dans la mer à des concentrations le plus souvent faibles mais parfois plus élevées en fonction de l’environnement géologique. Jusqu’ici, les recherches semblaient démontrer leur influence néfaste sur les coraux. Mais toutes les expériences utilisaient des concentrations 100 à 1 000 fois plus importantes que celles rencontrées sur le terrain, et s’intéressaient seulement aux impacts sur la reproduction et sur les jeunes stades de vie des coraux. « Pour la première fois, nous avons étudié leur photosynthèse et leur calcification en utilisant des concentrations métalliques réalistes, comparables aux milieux enrichis par le contexte géologique en Mer Rouge, au Costa Rica, en Thaïlande ou en Nouvelle Calédonie, explique la chercheuse. Et nous avons découvert que certains métaux sont des éléments essentiels au fonctionnement des coraux ! (1) », précise la biologiste. Ainsi, le nickel dope leur croissance car c’est un cofacteur d’un enzyme qui stimule leur processus de calcification. « Mais surtout, nous avons démontré que l’apport en manganèse, permettait aux coraux de résister au blanchissement lié au réchauffement de l’eau. Cela ouvre des pistes prometteuses pour doper aux métaux les récifs les plus menacés », estime la spécialiste.

« Grâce à leur résilience naturelle et aux recherches menées pour les sauver, les coraux ne sont pas irrémédiablement condamnés à disparaitre. Ils pourraient survivre au changement des conditions océaniques qui se profile, mais leur caractéristique génétique et leur composition spécifique vont elles aussi évoluer, et les récifs de demain ne seront plus les mêmes écosystèmes qu’ils sont aujourd’hui », conclut Ricardo Rodolfo-Métalpa.   

Les coraux, sentinelles des océans

Mehdi Adjeroud, biologiste marin, apporte son éclairage quant au rôle des coraux comme marqueurs de l’état de santé des océans.


Note :

1. Tom Biscéré, Christine Ferrier-Pagès, Antoine Gilbert, Thomas Pichler & Fanny Houlbrèque ; Evidence for mitigation of coral bleaching by manganese, Scientific Reports, 14 novembre 2018  


Contacts : Riccardo Rodolfo-Metalpa / Fanny Houlbrèque

 


Contact général du dossier : Département Océans, climat et ressources