Mis à jour le 18.05.2020
Pour lutter contre le paludisme gestationnel, deux cohortes au recrutement original ont été menées au Bénin. Les connaissances acquises sur la maladie lors du premier trimestre de la grossesse appuient encore plus la nécessité des mesures de prévention avant la conception. Un candidat-vaccin montre ainsi qu’il est bien toléré et déclenche la réponse immunitaire souhaitée.
Que se passe-t-il chez les femmes enceintes qui développent une infection paludéenne lors du premier trimestre de leur grossesse ? Quelles sont les conséquences de ce paludisme précoce sur la santé de la mère et celle de l’enfant ? Si le paludisme gestationnel réduit le poids de naissance du nouveau-né - ce qui est un déterminant majeur de la santé de l’enfant, « on sait peu de choses sur le premier trimestre, commence Valérie Briand, médecin épidémiologiste. En effet, en Afrique, les femmes consultent rarement à la maternité avant le quatrième ou le cinquième mois de grossesse. Pour lutter contre le paludisme gestationnel, l’OMS recommande aux femmes de dormir sous moustiquaire imprégnée d’insecticide ainsi que d’avoir recours à un traitement préventif intermittent (TPI) (voir encadré), à raison d’une prise de médicament à chaque consultation prénatale, soit une fois par mois. Mais, le TPI n’est recommandé qu’à partir du deuxième trimestre de la grossesse. » Pour pallier le manque d’informations sur les trois premiers mois, deux cohortes ?Ensemble de personnes qui répondent à une situation donnée suivies dans le temps. originales ont été mises en place au Bénin. Originales car elles réunissent des femmes en âge de procréer et souhaitant avoir un enfant. « Pour recruter les futures mères, nous avons sensibilisé la population de 35 villages autour du lac Nokoué, dans le sud du Bénin, raconte la chercheuse. Au total, dans le cadre du projet RECIPAL, 1214 femmes ont intégré la cohorte entre juin 2014 et août 2017, parmi lesquelles 411 sont parvenues à être enceintes et ont ainsi pu être suivies dès les premières semaines de la grossesse. »
RECIPAL, un projet franco-béninois
RECIPAL, pour REtard de Croissance Intra-utérin et PALudisme, est un projet de recherche multidisciplinaire (épidémiologie, nutrition, parasitologie et obstétrique) impliquant des chercheurs français et béninois. Il est coordonné par Valérie Briand et mené en collaboration entre l’UMR MERIT (IRD/université Paris Descartes), l’UMR Nutripass (IRD/université de Montpellier/SupAgro), l’unité 1153 de l’Inserm, l’École des hautes études en santé publique, la Faculté des sciences de la santé et la Faculté des sciences agronomiques au Bénin.
Une forte exposition
Tous les mois, les femmes en âge de procréer étaient suivies à domicile, et bénéficiaient d’un test urinaire de grossesse. Celles enceintes étaient ensuite suivies à la maternité jusqu’à l’accouchement, avec un dépistage du paludisme tous les mois (1). « Les résultats témoignent d’une exposition importante des femmes au paludisme au cours du premier trimestre de la grossesse : 20 % des femmes sont infectées !, souligne Valérie Briand. Ils font également le lien entre une infection précoce et d’une part, un plus fort risque d’anémie chez la mère, et d’autre part, un risque augmenté de retard de croissance in utero, se manifestant par la survenue d’un petit poids de naissance des nouveau-nés ». Or, dans les pays où la mortalité infantile est forte, comme c’est le cas dans de nombreux pays d’Afrique, un faible poids de naissance est un facteur de risque supplémentaire. Les résultats de la cohorte menée par Valérie Briand permettent également de faire l’hypothèse que ces infections précoces sont présentes chez la femme avant la grossesse ! C’est ce que l’étude menée par Nicaise Tuikue Ndam, dans la même région du Bénin confirme (2). Responsable de l’axe Interaction Hôte-Pathogène dans l’unité MERIT, le parasitologue a lui aussi réuni au sein d’une cohorte pré-conceptionnelle 275 femmes en désir de grossesse, qui n’avaient pas encore d’enfants. Parmi elles, 68 sont tombées enceintes pour la première fois et ont pu être suivies jusqu’à l’accouchement.
Une infection latente réveillée par la grossesse
« Nos travaux vont dans le même sens que ceux de Valérie Briand, explique-t-il, et font de fait le lien biologique et formel entre le portage asymptomatique des parasites avant la conception et l’émergence des infections précoces de la grossesse. » En effet, l’équipe a caractérisé les différentes souches de Plasmodium falciparum, le parasite responsable du paludisme, présentes avant et après la conception. Cette identification, fondée sur leur caractérisation génétique, a permis de montrer que les infections qui se développent en début de grossesse étaient déjà présentes auparavant, mais en sourdine. « On parle alors d’infection à bas bruit, précise Nicaise Ndam. Dans la plupart des cas, les parasites ne sont pas décelables dans le sang par une simple observation microscopique et la personne infectée ne ressent pas de symptômes ». Le développement de l’infection pendant le premier trimestre de la grossesse est certainement imputable à l’immunomodulation qui accompagne ce processus physiologique : les réponses immunitaires sont abaissées afin de permettre au corps de la femme d’accueillir le fœtus. De plus, l’apparition du placenta offre une nouvelle opportunité pour le parasite de s’y abriter du système immunitaire.
Prévention : l’intermittence pour s’adapter
Jusqu’en 2004, il était conseillé aux femmes enceintes en Afrique de prendre tous les jours de la chloroquine pour éviter l’infection palustre. « Mais cette recommandation était peu suivie », déclare Valérie Briand. L’OMS a alors mis en place le traitement préventif intermittent (TPI) dans une optique pragmatique : il s’agissait de traiter les femmes seulement deux fois au cours de leur grossesse, lors des consultations prénatales. La dose de sulfadoxine-pyriméthamine (SP) avait tout à la fois un effet curatif, en cas d’infection, et préventif, contre une éventuelle future infection, grâce à sa longue demi-vie. En 2012, les recommandations sont passées de deux à trois prises. Depuis 2016, en raison de la diffusion des résistances parasitaires à la SP, les sages-femmes ont désormais comme consigne de délivrer le médicament à chaque visite mensuelle à partir du deuxième trimestre, toujours dans l’idée de simplifier le message et améliorer la couverture du TPI.
Un vaccin à l’étude
« Nos résultats soulignent d’autant plus la nécessité de protéger les futures mères avant la conception », s’accordent les deux chercheurs. Au-delà de l’usage des moustiquaires imprégnées d’insecticides, Nicaise Ndam s’intéresse au développement d’un vaccin anti-paludique qui offrirait une meilleure protection pendant la grossesse. Pour ce cas particulier du paludisme gestationnel, l’important est d’empêcher la fixation du parasite dans le placenta, le candidat-vaccin est donc différent de celui testé pour la population générale (vaccin RTS,S). De précédents travaux avaient montré l’intérêt de cibler l’interaction avec la chondroïtine sulfate A (CSA), un sucre particulier présent dans le placenta, auquel les globules rouges infectés se fixent. Le candidat-vaccin, PAMVAC, vise donc à empêcher cette adhésion. « Pour tester la tolérabilité et l’innocuité de la molécule antigénique ?Antigène : molécule qui déclenche une réponse immunitaire, nous l’avons administrée à 36 personnes à Tübingen, en Allemagne, déclare Nicaise Ndam. C’est le protocole classique pour les vaccins : tester son innocuité dans une région du monde exempte de la maladie en question. Administré avec différents adjuvants, le complexe vaccinal a été bien toléré et a permis de développer des anticorps dirigés contre le ligand ?Molécule qui se lie spécifiquement à une autre de la CSA exprimé par les parasites placentaires (3). Après un prochain test, à Cotonou, dans les mêmes conditions, l’efficacité du vaccin sera évaluée chez des femmes avant leur première grossesse, en zone endémique.
Dans un même but - protéger les femmes contre le paludisme dans la période pré-conceptionnelle afin de réduire la survenue d’infections délétères au début de la grossesse, Valérie Briand souhaite évaluer l’efficacité d’un TPI pré-conceptionnel. Alors que 30 millions de femmes enceintes sont exposées au paludisme chaque année en Afrique, l’option médicamenteuse, complémentaire du vaccin, viendrait renforcer l’arsenal préventif.
Notes :
1. Accrombessi M, Yovo E, Fievet N, Cottrell G, Agbota G, Gartner A, Martin-Prevel Y, Vianou B, Sossou D, Fanou-Fogny N, Djossinou D, Massougbodji A, Cot M, Briand V., Effects of Malaria in the First Trimester of Pregnancy on Poor Maternal and Birth Outcomes in Benin. Clin Infect Dis. 18 décembre 2018 ; doi:10.1093/cid/ciy1073.
2. Tuikue Ndam N, Tornyigah B, Dossou AY, Escriou G, Nielsen MA, Salanti A, Issifou S, Massougbodji A, Chippaux JP, Deloron P. Persistent Plasmodium falciparum Infection in Women With an Intent to Become Pregnant as a Risk Factor for Pregnancy-associated Malaria. Clin Infect Dis. 28 novembre 2018 ; doi : 10.1093/cid/ciy380.
3. Mordmüller B, Sulyok M, Egger-Adam D, Resende M, de Jongh WA, Jensen MH, Smedegaard HH, Ditlev SB, Soegaard M, Poulsen L, Dyring C, Calle CL, Knoblich A, Ibáñez J, Esen M, Deloron P, Ndam N, Issifou S, Houard S, Howard RF, Reed SG, Leroy O, Luty AJF, Theander TG, Kremsner PG, Salanti A, Nielsen MA, First-in-human, randomized, double-blind clinical trial of differentially adjuvanted PAMVAC, a vaccine candidate to prevent pregnancy-associated malaria, Clin Infect Dis. 10 janvier 2019 ; doi: 10.1093/cid/ciy1140.
Contacts :
Valérie Briand, chercheuse IRD en détachement au BPH : Bordeaux Population Health Research Center (Inserm/Univ. Bordeaux/Ifsttar/Inria)
Nicaise Tuikue Ndam, UMR MERIT