Mis à jour le 28.04.2021
Les génomes des bactéries des plantes qui restent inféodées à leur site d’infection diffèrent de ceux des pathogènes qui en colonisent le système vasculaire. Et pourtant. L’ajout d’un seul gène transforme les premières en colonisatrices. Une découverte qui éclaire l’origine de l’appétence de chaque espèce bactérienne pour certains tissus plutôt que d’autres.
Quand un pathogène vasculaire s’attaque à une plante, il s’y propage et provoque des infections généralisées, potentiellement mortelles. Avec un non vasculaire, les symptômes sont localisés.

Cette image obtenue par microscopie électronique à balayage montre la colonisation du système vasculaire de feuilles d’orges par la bactérie Xanthomonas.
© T. Meulia, J. Jacobs, Ohio State
« Or, connaître la manière dont, au cours de l’évolution, ces pathogènes se sont adaptés à un tissu — le système vasculaire de la plante pour les premiers, ou d’autres niches [par exemple le tissu mou (parenchyme) des feuilles, ndlr.] pour les seconds — est important pour comprendre la maladie et son histoire, et améliorer les méthodes de lutte, relate Boris Szurek, directeur de recherche IRD en phytopathologie de l’unité Plant Health Institute Montpellier (PHIM) à Montpellier. D’où l’importance de la découverte de cbsA, un gène majeur de ce processus, par Jonathan Jacobs, au cours de son post-doctorat dans notre équipe. »
Inactiver un gène…
Une découverte qui relève d’un véritable travail d’enquête. « Lorsque les premiers génomes de bactéries ont été disponibles, au cours de mes études à l’université du Wisconsin-Madison (États-Unis), j’ai comparé ceux des vasculaires et des non vasculaires, explique Jonathan Jacobs, qui dirige maintenant sa propre équipe à l’Ohio State University à Columbus aux États-Unis. J’ai alors noté que le gène cbsA était présent dans les premières, et absent dans presque toutes les secondes, mais il fallait que je vérifie s’il y avait un lien avec le mode d’infection. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai rejoint l’équipe de Montpellier — alors dirigée par Ralf Koebnik et Lionel Gagnevin — qui travaille sur les interactions entre les bactéries du genre Xanthomonas et des plantes, notamment le riz et l’orge. »
Dans un premier temps, Alvaro Pérez-Quintero, alors doctorant en bioinformatique dans l’équipe, étudie une soixantaine de génomes et confirme par des approches alternatives que le gène cbsA semble bien être une des différences majeures entre les bactéries vasculaires et les autres. Rassuré sur son hypothèse, Jonathan Jacobs inactive le gène dans des bactéries vasculaires. Chez Xanthomonas translucens pv. translucens (Xtt) qui attaque l’orge, les résultats sont mitigés. La bactérie reste vasculaire, mais elle provoque aussi beaucoup plus de lésions localisées que son homologue sauvage. En revanche, l’inactivation de cbsA dans deux autres bactéries pathogènes du riz et de la vigne et de l’olivier, respectivement Xanthomonas oryzae pv. Oryzae (Xoo) et Xylella fastidiosa, est plus radicale. « Leurs capacités à coloniser les plantes ont été drastiquement réduites, précise Jonathan Jacobs. Bien que son importance soit variable selon les espèces de pathogènes, cbsA joue un rôle primordial dans leur capacité à envahir le système vasculaire. »
…et l’insérer ailleurs
Un premier pas était franchi. Mais pour approfondir l’impact de cbsA, le jeune chercheur décide de l’introduire dans une bactérie non vasculaire, Xanthomonas translucens pv. undulosa (Xtu), qui infecte l’orge. « Nous étions alors très sceptiques car il était difficile d’imaginer qu’un seul gène puisse modifier un système aussi complexe », reconnait Boris Szurek. Et pourtant. En apportant le gène cbsA issu de Xtt ou de Xoo, toutes deux vasculaires, à Xtu qui est non vasculaire, cette dernière a alors réussi à coloniser l’orge comme une bactérie vasculaire, même si elle s’est moins étendue.
Mise en évidence du gain de colonisation vasculaire conféré par l’insertion du gène cbsA chez la bactérie Xanthomonas
© E. Gluck-Thaler, A. Cerutti et al. Science Advances, 13 Nov 2020: Vol. 6, no. 46, eabc4516
L’introduction du gène cbsA dans la bactérie non-vasculaire Xanthomonas Xtu la rend capable de coloniser le système vasculaire (xylème).
- De gauche à droit : Image confoncales des faisceaux vasculaires en aval de lésions foliaires sur l’orge par Xtt , Xtu et Xtu dans lequel le gène cbsA a été introduit.
- La fluorescence verte indique la localisation des bactéries : présence dans les vaisseaux quand la plante est infectée par XTT, une bactérie vasculaire. Absence dans les vaisseaux qd l'orge nfectée par Xtu, une bactérie non vasculaire. Présence dans les vaisseaux quand la plante est infectée par Xtu « boostée » avec cbsA.
« C’est un peu comme si les pathogènes non vasculaires qui ont des génomes pourtant très différents des vasculaires, avaient tout ce qu’il faut pour coloniser les plantes sauf cbsA », explique Boris Szurek. En outre, « les études phylogénétiquesÉtudes des liens entre des espèces apparentées suggèrent que c’est un gène très vieux, complète Jonathan Jacobs. Il semblerait donc qu’en fonction des stratégies d’adaptation, certaines espèces de bactéries l’aient perdu et d’autres l’aient retrouvé, plusieurs fois au cours de l’évolution. » Il n’y a donc pas de doute sur l’importance de ce gène, mais reste à découvrir le rôle précis de l’enzyme, la cellobiohydrolase, qu’il code. Un travail que le groupe montpelliérain va mener dans le cadre du réseau français de recherche sur les Xanthomonas et avec leurs partenaires internationauxUniversity of Pennsylvania, Philadelphie (USA)/Colorado State University, Fort Collins (USA)/CSIR-Centre for Cellular and Molecular Biology, Hyderabad (Inde)/Auburn University, Auburn (USA)/Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve (Belgique)/University of Wisconsin–Madison, Madison (USA)/National Renewable Energy Laboratory, Golden (USA)1 qui comprend maintenant la jeune équipe de Jonathan Jacobs. L’enjeu à terme : comprendre comment les pathogènes explorent de nouvelles niches et de nouvelles stratégies d’attaque, afin d’élaborer des méthodes innovantes de protection des plantes.