Balises de positionnement de DCP (dispositifs de concentration de poissons) hors d'usage, entreposées au port de Victoria (Mahé) aux Seychelles

© IRD - Thibaut Vergoz

Pêche au thon : comment réduire la pollution ?

Mis à jour le 02.06.2022

Les navires thoniers utilisent des dispositifs de concentration de poissons (DCP), jusqu’à 100 000 par an, pour accroître leurs volumes de pêche. Près de la moitié de ces DCP, des radeaux constitués de bois et de plastique, se perdent dans les océans, sombrant dans l’eau ou s’échouant sur les côtes. Pour réduire la pollution qu’ils génèrent, les chercheurs proposent une stratégie alliant prévention et récupération de ces dispositifs.

Des DCP dérivants sont entreposés sur un port des Seychelles puis hissés à bord des navires thoniers-senneurs.

© IRD - Thibaut Vergoz

Bloc de texte

Les pêcheurs des océans Indien, Pacifique et Atlantique utilisent depuis plusieurs centaines d’années des dispositifs de concentration de poisson (DCP) pour pêcher. Il s’agit de radeaux formés d’assemblage d’objets flottants sous lesquels les poissons viennent naturellement s’agréger. Les pêcheurs les immergent pendant quelques jours puis viennent ensuite jeter leurs filets autour du dispositif pour espérer pêcher une quantité importante de poissons. Dans les années 1990, les thoniers senneursNavire conçu pour pratiquer la pêche à la senne qui consiste à capturer les poissons à la surface en pleine eau en les encerclant à l'aide d'un filet de pêche appelé senne. tropicaux adjoignent des balises radio à ces DCP, puis dans les années 2000, des balises communiquant par satellite. Ils peuvent ainsi désormais suivre en direct leur position dans l’océan. De manière générale, les dispositifs dérivent à la surface de deux semaines à un mois puis les navires se rendent là où se situe le DCP pour pêcher en masse l’ensemble des poissons positionnés en-dessous. Aujourd’hui, chaque bateau peut avoir jusqu’à 300 balises immergées en même temps.


Perdus en mer

Problème : près de 40 % de ces DCP se perdent en dehors des zones de pêche. Tel est le résultat d’une étude récemment menée par des chercheurs de l’UMR MARBEC. « Nous avons étudié plus de 100 000 trajectoires de DCP utilisés dans les océans Indien et Atlantique par les bateaux français entre 2012 et 2018, explique Taha Imzilen, ingénieur de recherche spécialiste en analyse de données spatiales à l’UMR MARBEC et premier auteur de l’étude. Les pertes les plus élevées se situent aux frontières des zones de pêche, dans le nord-est et le sud-ouest de l'océan Indien et le nord-ouest et le sud de l'océan Atlantique. Les courant océaniques, des côtes de la Somalie dans l'océan Indien et du golfe de Guinée et du nord-ouest de l’Afrique dans l'océan Atlantique, sont à l’origine de ces pertes. Le nombre et la localisation de DCP “perdus” varie également en fonction de la stratégie des pêcheurs qui déploient des dispositifs selon les saisons et leurs besoins. »

 

Figure présentant la position des DCP perdus

Trajectoires typiques des DCP perdus en dehors des zones de pêche. Les flèches indiquent la direction généralement suivie par les DCP une fois qu’ils sortent de la zone de pêche (en marron).
Leurs dernières positions enregistrées sont indiquées en bleu
.
Crédit : Taha Imzilen, Christophe Lett, Emmanuel Chassot, David M. Kaplan

 


Une pollution  diminuable

La perte de ces DCP constitue un enjeu écologique majeur. Les thoniers senneurs déploient en effet plus de 100 000 de ces dispositifs par an. Or, en dessous du radeau constitué de bambou ou de métal équipé de flotteurs en plastique ou en bois de balsa, la structure immergée se compose généralement de cordes ou de vieux filets de senne enroulés pouvant s'étendre jusqu'à 100 mètres sous la surface, et d'une bouée de suivi GPS transmettant par satellite. Constitués de plastiques et de métaux, ces matériaux se dégradent lentement. « Les DCP peuvent s’échouer sur les rivages et polluer les côtes, ajoute David Kaplan, écologue à l’UMR MARBEC. En mer, des coquillages peuvent s’accumuler sur leur partie immergée et les DCP peuvent couler, ce qui peut causer des dégâts au fond de l’océan. Nous avons ainsi proposé une stratégie pour éviter une telle perte de ces dispositifs et faire diminuer une pollution importante. »

 

© IRD / IFREMER - Marc Taquet

Sous le DCP, des cordes, des morceaux de filet auxquels s’accrochent des coquillages peuvent faire sombrer le dispositif au fond de l’océan.

Les scientifiques proposent ainsi dans un premier temps de récupérer les DCP risquant d’échouer près des côtes. L’étude montre en effet que 20 % des dispositifs « perdus » transitent à moins de 50 kilomètres d’un port : il serait ainsi possible de les récupérer pour éviter leur perte ou leur échouage. En 2016, l'autorité de la pêche des Seychelles, l’association des pêcheurs à la senne espagnols et la Société de protection des îles Seychelles avait mis en place le programme FAD Watch visant à réduire les échouages de DCP dans certaines zones côtières des Seychelles. Un système de détection alertait les participants lorsque des DCP arrivaient à moins de 5 milles nautiques (soit 9,3 kilomètres) de la côte. 109 de ces dispositifs avaient ainsi été collectés au cours de la période 2016-2017. « C’était un programme intéressant et il serait prometteur de l’étendre à d’autres zones, estime le chercheur. Mais il a été réalisé à petite échelle et il sera difficile de l’appliquer partout. Par exemple, la récupération des DCP aux Maldives qui comptent plus d’un millier d’îles sur une zone très étendue serait très compliquée. Un bateau ne pourra pas naviguer pendant 500 kilomètres pour aller chercher un DCP. »

 

Le déploiement de DCP dans des zones moins propices à l’échouage pourrait diminuer leur perte.

© Marie-Lepoittevin, TAAF

Bloc de texte


Les chercheurs souhaitent de ce fait mettre en œuvre une action plus préventive : interdire les déploiements de DCP dans des zones précises. Le fait d’immerger ces dispositifs dans certaines régions génère en effet des risques importants d’échouage du fait des courants océaniques. « Nous avons établi dans une précédente publication que l’interdiction de ces déploiements à des régions précises fait diminuer le taux d’échouage de 20 à 40 %, assure Taha Imzilen. Les activités de pêche sont relativement faibles sur ces zones et leur fermeture devrait avoir un impact peu important sur les captures. »

Cette stratégie, alliant prévention à travers la fermeture des zones de déploiement et récupération des DCP, pourrait constituer un moyen de réduire la pollution générée par ces dispositifs. Elle entre de manière plus générale dans la volonté de l’industrie thonière et des autorités locales concernées de réduire l’impact environnemental de ces pratiques de pêche.