En Équateur, des pesticides sont utilisés dans les champs de pomme de terre pour lutter contre les insectes ravageurs comme la teigne de la pomme de terre.

© IRD – Olivier Dangles

Pesticides : une enquête participative pour limiter les abus

Mis à jour le 29.06.2022

En Équateur, en Bolivie et au Pérou, des chercheurs se sont associés à des agriculteurs pour mener une enquête sur les recommandations des revendeurs de pesticides. Ils ont découvert que dans 88 % des cas, leurs conseils ne correspondent pas aux recommandations officielles, ce qui entraînerait un mésusage de ces produits et des impacts importants sur l’environnement et la santé humaine.

4,2 millions de tonnes. C’est la quantité de pesticides qui a été utilisée dans le monde en 2019 selon la FAO. Si les pays développés en consomment une grande majorité, de plus en plus d’agriculteurs des pays du Sud y ont recours ces dernières années. Le continent sud-américain a vu notamment se multiplier par six l’utilisation de ces produits entre 1990 et 2019. Cette pratique, souvent abusive, a des impacts environnementaux – contamination des sols et des sources d’eau, mise à mal des pollinisateurs – et humains importants, notamment à travers le développement de cancers et de maladies comme celles d’Alzheimer ou de Parkinson. Lorsque les pesticides sont utilisés de façon erronée ou abusive, les bénéfices liés à leur utilisation sont nuls alors que les coûts pour l’environnement et la santé restent identiques.

 

© OMS - Fernando G. Revilla

En Bolivie, un homme mélange de l’eau avec de l’insecticide.

Enquête innovante

En cause selon la littérature scientifique, un mauvais usage de ces produits par les agriculteurs. Pourtant, une nouvelle étude menée par une équipe de chercheurs internationaux en Équateur, au Pérou et en Bolivie, pointe également la responsabilité des revendeurs de pesticides. « L’idée d’évaluer la qualité des recommandations des revendeurs a émergé suite à des témoignages récoltés auprès des agriculteurs, explique Quentin Struelens, écologue à l’UMR CEFE et premier auteur de l’étude. Il en est ressorti en effet, qu’ils ne savent généralement pas quel produit acheter, ne connaissent pas leur fonctionnement et ont souvent l’impression que les revendeurs profitent de leur méconnaissance pour leur vendre les pesticides les plus onéreux. »

 

Les niveaux de toxicité des produits sont représentés à travers un étiquetage de différentes couleurs sur les pesticides.

© Mery Tuco

Bloc de texte

Les scientifiques, qui font partie du programme de recherche collaborative sur les cultures (CCRP) de la Fondation McKnightCe programme finance des recherches participatives et collaboratives sur l'intensification agroécologique.1 , ont co-construit avec des agriculteurs volontaires, principalement des propriétaires de petites parcelles, une méthodologie d’enquête innovante :  interroger des revendeurs sur un problème fictif de ravageur et leur demander des conseils. Une fois la réponse obtenue de la part du détaillant, l’agriculteur la notait sur une application qui la transmettait ensuite à un serveur. Ces données incluaient des informations concernant le produit et la dose recommandés, qui ont ensuite été comparées avec les recommandations officielles. 1 489 enquêtes ont ainsi été réalisées au sein des trois pays.

 

Mauvaises réponses

 

Les pesticides peuvent être proposés à la vente au milieu d’autres produits de consommation.

© CIEE-UPB

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Résultats de cette enquête participative : 88,2 % des réponses des revendeurs ne correspondent pas aux recommandations officielles. Ils conseillent dans la moitié des cas de mauvaises doses de pesticides et seuls quelques modes d'action de quelques pesticides sont proposés – parmi tous ceux qui existent – , augmentant ainsi les risques d’émergence de résistance des ravageurs. Enfin, les produits hautement toxiques proposés pourraient être remplacés dans 15 % des cas par des produits moins dangereux pour la santé et l’environnement.

 

© Quentin Struelens et al.

Dans les réponses données, 47,9 % des revendeurs proposaient une dose correcte, 33,5 % proposaient des doses jusqu’à sept fois trop élevées, 18,6 % des doses étaient jusqu’à cinq fois inférieures à la dose officiellement recommandée.

Comment expliquer de telles réponses ?  « Il n’existe pas de recommandations nationales pour certaines cultures de petite surface pratiquées dans ces pays, répond Quentin Struelens. Les revendeurs n’ont donc pas de bases officielles et scientifiques sur lesquelles s’appuyer pour proposer des produits dont les bénéfices sont avérés, ni pour réduire les risques de résistance des ravageurs à ces produits. Par ailleurs, en Bolivie par exemple, des revendeurs vendent parfois leurs produits sur le marché, sans être agréés par l’État. Il existe également des conflits d’intérêt lié à la double casquette de conseil et de vente, c’est-à-dire que le revendeur a besoin de vendre ses pesticides en essayant d’augmenter sa marge : il ne propose donc pas toujours le produit le plus adapté. » 

 

Revendeur de pesticides sur un marché en Bolivie.

© Reinaldo Quispe

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Traduire et diffuser

Pour diminuer de tels mésusages, les scientifiques proposent d’élaborer des recommandations légales pour l’ensemble des cultures pratiquées dans la région andine même si elles sont considérées comme mineures. Ils suggèrent également de séparer l’activité de vente de celle du conseil pour diminuer l’impact des conflits d’intérêt.

Ancrée dans la démarche de la science de la durabilité, cette étude participative souhaite ainsi agir au stade de la recommandation par le détaillant, ce qui permettrait d'atténuer les conséquences néfastes de l'utilisation abusive des pesticides. Les résultats de l’étude seront en outre traduits en quechua, parlée par dix millions de personnes dans les trois pays. Les résultats de l’étude pourront également alimenter les connaissances de la société civile au niveau international, au sein par exemple de réseaux comme Pesticide Action Network regroupant plus de 600 ONG dans le monde.