Mis à jour le 31.01.2023
Les abeilles sont les actrices clés de la pollinisation des cultures. Néanmoins, cette dernière dépend également de bien d’autres insectes et animaux chez qui cette activité est beaucoup moins connue. Or, ces « seconds rôles » gagneraient à être mieux étudiés car ils sont tout aussi importants pour la sécurité alimentaire, en particulier sous les tropiques.
Les abeilles sont les reines des pollinisateurs. Deux raisons principales à cette hégémonie : elles sont présentes partout dans le monde, et elles font l’objet de nombreuses études contrairement à d’autres pollinisateurs.
Et c’est bien là où le bât blesse. « 5 à 8 % de notre production agricole mondiale dépend de la pollinisation animale. En la matière, le rôle des abeilles [notamment l’espèce mellifère, ndlr.] est populaire, mais ce ne sont ni les seuls insectes, ni les seuls animaux d’ailleurs, à rendre ce service, explique Fabrice Requier, agro-écologue IRD, spécialiste des pollinisateurs, dans l’unité Évolution, génome, comportement, écologie (EGCE). Quand on parle de pollinisateurs, il faudrait élargir notre vision et inclure mouches, papillons, guêpes, mais aussi oiseaux, chauves-souris, qui ont un rôle primordial et qui sont aussi menacés par les pesticides, le changement climatique, les modifications de leur habitat, etc.». Une démarche que le chercheur a initiée avec notamment Lucas Garibaldi, directeur de l’Institut de recherche en ressources naturelles, agroécologie et développement rural de l’Université nationale de Rio Negro en Argentine.
Polliniser de concert
Les chercheurs ont pour cela étudié 156 articles scientifiques et recensé quels animaux pollinisent 83 cultures importantes à l’échelle mondiale, mais aussi locale.
« Notre premier constat est que même quand l’abeille mellifère est présente en abondance, d’autres pollinisateurs interviennent et agissent en synergie avec elle, indique Fabrice Requier. Ainsi, on observe que pour certaines cultures, cette complémentarité permet d’obtenir plus de graines et des fruits plus gros ». C’est le cas par exemple des pommiers en Argentine pour lesquels abeilles et bourdons doivent travailler de concert. Dans cet esprit, Lucas Garibaldi a montré très récemment que « les abeilles mellifères seules ne suffisent pas à obtenir de bons rendements. Elles ont besoin de leurs homologues sauvages » .
Il arrive également que l’abeille soit détrônée par d’autres pollinisateurs. « C’est le cas pour le cacao qui est essentiellement pollinisé par des micro-mouches, illustre Fabrice Requier. Par ailleurs, de nombreuses cultures, notamment tropicales, qui ne sont consommées que localement, ne sont jamais visitées par les abeilles. On peut citer le pitaya jaune [ou fruit du dragon, ndlr.] très courant au Pérou, le langsat [un fruit qui ressemble au litchi, ndlr] en Thaïlande ou encore le petaï [une sorte de haricot, ndlr.] d’Indonésie. »
Le travail de nuit oublié
Pourquoi certaines plantes nécessitent-elles préférentiellement des pollinisateurs non abeilles ? Les raisons ne sont pas toutes élucidées
Néanmoins, le chercheur en voit deux. « D’une part, certains de ces pollinisateurs sont morphologiquement mieux adaptés à ces fleurs, explique-t-il. D’autre part, il existe une face cachée de la pollinisation : certaines fleurs s’ouvrent la nuit et de nombreuses espèces animales ont une activité nocturne. C’est le cas des chauves-souris sous les tropiques, mais aussi des papillons de nuit et des coléoptères qui visitent très fréquemment le colza et le tournesol en zone tempérée. Or, la majorité des études se focalisant sur les observations des cultures de jour, la pollinisation nocturne est largement négligée à ce jour. »
« Cette revue suggère que nous devons donc élargir notre vision de la diversité des pollinisateurs des cultures, au-delà des abeilles, de jour comme de nuit, souligne le chercheur. En effet, dans certaines zones, renforcer la présence des abeilles mellifères pourrait nuire à d’autres pollinisateurs pourtant plus efficaces. De même, tous les pollinisateurs sont en déclin et font face à des pressions similaires, mais il existe sans doute des différences de sensibilité qu’il faut évaluer afin de les préserver efficacement. » Dans cette optique, Fabrice Requier va rejoindre le Kenya d’ici un an : « Je m’intéresserai en particulier au lien entre le service de pollinisation et la santé humaine. Une part importante des cultures qui dépendent des insectes pour la pollinisation font partie des plantes les plus riches en micronutriments comme la vitamine A ou le fer, éléments essentiels à notre santé. La pollinisation par les insectes est donc soupçonnée d’agir directement sur la qualité nutritionnelle des fruits produits, un enjeu prioritaire de recherche dans les pays en développement dans le cadre de l’approche OneHealth.» Un sujet qui l’occupera jour et nuit !