Mis à jour le 05.04.2019
Fin connaisseur de l'Afrique, le politiste Marc-Antoine Pérouse de Montclos s'intéresse tout particulièrement aux conflits armés qui éclatent sur ce continent et à leurs conséquences pour les populations. Rencontre avec un passionné qui n'hésite pas à aller sur le terrain.
Du delta du Niger au Sahel, des townships sud-africains aux camps de réfugiés au Kenya, Marc-Antoine Pérouse de Montclos a parcouru l'Afrique de long en large. Politiste, auteur de nombreux ouvrages, directeur de recherche à l'IRD, ce spécialiste des luttes armées en Afrique et des déplacements forcés de population jongle quotidiennement avec plusieurs casquettes. Aussi à l'aise sur les plateaux de télévision, que dans un amphithéâtre ou sur les pistes africaines, Marc-Antoine Pérouse de Montclos aime transmettre sa passion pour l'Afrique.

© IRD/Carole Filiu-Mouhali
Cette histoire d'amour avec le continent africain commence en 1989, dans le delta du Niger. " Après mes études à l'Institut d'études politiques de Paris, j'ai effectué mon service national comme volontaire à Port Harcourt dans le sud du Nigeria où j'ai enseigné le français pendant deux ans ", raconte le politiste. De retour en France, Marc-Antoine Pérouse de Montclos se sert de cette expérience pour commencer une thèse en sciences politiques, toujours à Sciences Po Paris. Son objectif : comparer la violence urbaine au Nigeria à celle d'un autre grand pays africain anglophone. Il part alors six mois en Afrique du Sud, à l'Université du Natal de Durban. Déjà adepte du terrain, il n'hésitera pas à conduire des entretiens au cœur même de townships, ces ghettos où s'entassent les Sud-Africains noirs. En 1994, le doctorant reviendra d'ailleurs en Afrique du Sud en tant qu'observateur des Nations Unies pour les premières élections multiraciales au suffrage universel. " Avec le sentiment de vivre un moment historique ce 10 mai 1994, jour de l'investiture de Nelson Mandela à la présidence. "
Une fois sa thèse soutenue, en 1995, Marc-Antoine Pérouse de Montclos est séduit par l'approche de terrain de l'ORSTOM qui deviendra plus tard l'IRD. Recruté à un des premiers postes de politiste en Afrique anglophone, il est affecté à Nairobi, au Kenya, avec pour mission d'étudier les rapports de pouvoir dans les camps de réfugiés somaliens et soudanais de l'est et du nord du pays. Fin 1998, le chercheur rentre en France et rejoint le Centre Population et Développement (CEPED) où il continue ses recherches sur l'Afrique anglophone. " Des pays encore très peu étudiés en France ", regrette Marc-Antoine Pérouse de Montclos qui s'intéresse tout particulièrement au Nigeria. Un de ses projets phares, Nigeria Watch, "est une base de données qui dénombre depuis 2006 les homicides et les morts violentes accidentelles dans le pays", explique-t-il Consultables en accès libre sur Internet, les données recueillies permettent de localiser les zones les plus dangereuses. " Des informations utiles pour les ONG et les diplomates. " Ces chiffres aident aussi à dégager des tendances sur plusieurs années, tendances qui mettent à mal certains mythes ancrés dans la population. Ainsi Lagos, cette mégalopole de dix millions d'habitants à la mauvaise réputation, n'est pas la ville la plus dangereuse du pays si on rapporte les chiffres à la taille de sa population.

© IRD/Carole Filiu-Mouhali
Tous les travaux du chercheur ont de fait un objectif : confronter les chiffres et les approches théoriques à la réalité du terrain. Pour autant, Marc-Antoine Pérouse de Montclos concède que cette démarche est très difficile, tout particulièrement en zone de conflits. " Le défi est d'instaurer la confiance car il y a une réticence évidente des populations à évoquer les sujets sensibles. Et il faut faire profil bas, ne pas rester trop longtemps au même endroit, ne jamais prendre le même chemin pour se rendre du point A au point B ", conseille le politiste. Néanmoins le chercheur regrette qu'aujourd'hui, les missions en zone dangereuse soient plus rarement accordées. " C'est un paradoxe actuel, comment mener des travaux sur les conflits armés sans aller sur le terrain ? ", se demande Marc-Antoine Pérouse de Montclos. De son expérience de terrain, il a ainsi rapporté de nombreux témoignages qui ont servi de base à plus d'une quinzaine d'ouvrages. Ceux-ci éclairent l'actualité d'un nouveau jour en luttant contre certaines idées reçues. Dans L’Afrique, nouvelle frontière du djihad ?, il démonte ainsi certains clichés sur les mouvements "djihadistes" africains. Loin de faire partie intégrante d'une nébuleuse terroriste internationale, ces groupes armés, comme Boko Haram au Nigeria, sont avant tout issus de spécificités locales. Quant à son dernier livre, Déconstruire la guerre, paru en novembre 2018, il s'attaque à notre représentation des conflits armés qui ne sont pas forcément de plus en plus violents.
Outre ses activités d'écrivain et de chercheur, Marc-Antoine Pérouse de Montclos est aussi rédacteur en chef de la revue Afrique Contemporaine, conseiller au Ministère des Affaires étrangères et également membre de l'Institut de recherche pour la paix d'Oslo (PRIO). Le temps se fait donc plus rare pour aller sur le terrain mais cela n'empêche pas le politiste de continuer d'œuvrer pour faire découvrir la réalité africaine au plus grand nombre.

© IRD/Carole Filiu-Mouhali
A lire :
L’Afrique, nouvelle frontière du djihad ?
Editions La Découverte, 2017
Déconstruire la guerre
Acteurs, discours, controverses
Éditions de la Maison des sciences de l'homme, Paris, 2018
Contact : Marc-Antoine Pérouse de Montclos