Mis à jour le 29.10.2021
Pour Victor David, chercheur en droit de l’environnement et du développement durable dans l’UMR SENS – Savoirs Environnement Sociétés, reconnaître la nature ou les éléments qui la composent comme sujets de droits est une solution pertinente pour assurer une meilleure protection de la biodiversité. Il est intervenu en ce sens lors d’une session du Congrès mondial de la nature organisé par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Que recouvre la notion de Droits de la nature ?
Victor David : Il s’agit de changer de perspective dans la façon dont nous considérons la nature. En effet, héritée du droit romain, il existe de manière schématique une division entre les objets de droit et les sujets de droit. Théoriquement, tout peut être objet de droit. D’un autre côté, seul un sujet de droit dispose de la personnalité juridique qui lui confère des droits qui lui sont propres (droit d’être, de penser, de faire, d’agir en son nom propre…) et des obligations.
Dans cette catégorie de sujets de droit, seuls entraient autrefois les hommes. Les femmes par exemple les ont rejoints bien plus tard (XXe siècle). En dehors des humains, les personnes morales, les associations, les entreprises commerciales bénéficient de ce statut. Pourquoi ne pourrait-il pas en être de même pour la nature ou les éléments qui la composent ?
En effet, le statut actuel de la nature, du point de vue juridique, est celui d’objet. En tant que tel, elle est donc susceptible d’être appropriée. Et son propriétaire, en fonction de la législation de son pays en matière de droit de propriété, peut faire ce qu’il souhaite. En accordant à la nature le statut de sujet de droit, cela entrainerait la reconnaissance de droits qui lui sont propres.
Si les mouvements en faveur de cette reconnaissance se développent depuis une dizaine d’années, c’est dans les années 1970 que l’on peut en trouver les racines, avec Christopher Stone, chercheur américain qui évoquait le droit des arbres à plaider leur propre cause.
Ce que cela change pour la nature d’avoir le statut de personne juridique ? La possibilité justement d’intervenir (par le biais de porte-paroles) dans un procès pour défendre ses droits. Actuellement, lors d’atteinte à la nature, s’il n’y a pas de répercussions sur la propriété d’un sujet de droit, les actions légales sont impossibles sinon compliquées. La reconnaissance du préjudice écologique pur en France a permis de faire un pas dans ce sens.
Est-ce réaliste d’envisager que la nature obtienne le statut de sujet juridique ?

Le 15 mars 2017, ile fleuve Whanganui sur l'île du Nord de la Nouvelle-Zélande est doté du statut de personnalité juridique par le Parlement du pays.
© © James Shook - CC BY 2.5
V. D. : Depuis la fin des années 2000, plusieurs pays ou collectivités infra étatiques se sont engagés dans cette voie. Ainsi, l’Équateur a reconnu dans sa nouvelle Constitution, en 2008, la nature comme sujet de droit ! La Bolivie lui a emboité le pas, à travers l’adoption d’une loi. C’est aussi le cas de l’Ouganda depuis 2019.
De son côté, en Nouvelle-Zélande, le gouvernement a reconnu certains écosystèmes (fleuve, montagne, forêt) comme personnes juridiques. Cette reconnaissance s’appuie sur le système de représentation du monde des Maoris. Mais si les revendications des peuples autochtones sont parfois à la base de ces mouvements, comme c’était le cas également en Équateur et Bolivie, ainsi qu’en Inde où c’est la place du fleuve Gange dans l’hindouisme qui inspiré le juge qui en fait une entité légale, ce n’est pas nécessairement le cas à chaque fois. De plus en plus, partout dans le monde un mouvement se déploie en ce sens, nourri de la réflexion de philosophes et de travaux universitaires.
Sur quoi repose-t-il ?
V. D. :Parmi les éléments qui soutiennent ce mouvement, l’idée que la nature est une, et que les humains en font partie, prédomine. Cette vision holistique s’accorde parfaitement avec la science de la durabilité où populations et environnement sont pris en compte à part égale. Ce statut de sujet juridique accordé à la nature serait une solution pour atteindre les objectifs de développement durable 14 Vie aquatique et 15 Vie terrestre, mais également le 17 qui intègre la notion de partenariat pour la réalisation de tous les ODD. Ainsi, toutes les cibles des ODD 14 et 15 pourraient servir de matrice pour définir les droits de la nature.
Sur quel projet travaillez-vous ?
V. D. :Lorsque l’on travaille sur le droit de l’environnement en Nouvelle-Calédonie on est forcément interpelé par le fait que l'océan Pacifique est menacé par des pollutions de toutes sortes, l’acidification, la pêche excessive/illégale ou encore l’exploitation minière en eaux profondes non réglementée. Or, le droit existant, bien que riche, ne suffit pas à protéger l’océan.
D’autre part, Il existait déjà des précédents à travers le monde, qui concernent souvent des écosystèmes aquatiques. C’est en observant cela, et lors de la première conférence des Nations unies sur les océans, en 2017, que j’ai eu l’idée de prendre l’engagement volontaire, avec l’approbation de l’IRD, de réaliser une étude de faisabilité de considérer l’océan Pacifique comme sujet de droit. Ce statut donnerait des éléments pour lutter autrement contre la pollution plastique, l’acidification…
De plus, dans la cosmogonie polynésienne, l’océan Pacifique est un dieu créateur. Il existe ainsi une base anthropologique pour sa reconnaissance par les pays riverains en tant que sujet de droit. Dans le cadre de cette étude de faisabilité de cette démarche, j’ai choisi de lister les répercussions juridiques qu’elle aurait.
Ainsi, j’ai montré qu’il n’y a pas de règles juridiques qui interdisent cette reconnaissance, il s’agit seulement d’une question de volonté. Cependant, parmi les difficultés, la multiplicité des pays riverains de l’océan Pacifique complique la tâche. Un État peut ainsi acter de ce statut pour l’océan à l’intérieur de ces eaux territoriales, mais pas les autres. Avec l’exploitation des ressources minérales sous-marine, la question de la souveraineté des États entre en jeu.
Comment contourner cet obstacle ? En droit international, il existe un principe pour protéger les populations de génocides : la responsabilité de protéger. Il stipule que, de pair avec la souveraineté, tout État est responsable de la protection de ces ressortissants … On pourrait étendre ce devoir à d’autres éléments de la nature, eux aussi victimes de maltraitance. Le recours à la coopération régionale est aussi une piste sérieuse à explorer.
Du 4 au 11 septembre 2021, les scientifiques de l’IRD participent au Congrès mondial de la nature de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).
Retrouvez des éclairages sur les sujets qu’ils abordent.
Session du Congrès mondial de la nature
Dynamiser les droits de la nature, 5 septembre, 16h-17h30