Mis à jour le 17.06.2020
Inspiré par la façon dont les pays collaborent pour détecter et enrayer les pandémies humaines, un groupe d’experts en santé végétale propose la mise en place d’un système mondial de surveillance (SMS) des maladies des cultures. Parmi eux, Valérie Verdier, directrice du département ECOBIO, et de l’unité Interactions Plantes Microorganismes Environnement, expose le principe de ce réseau dont l’ambition est de préserver le commerce agricole et la sécurité alimentaire.
IRD le Mag’ : Quel est l’impact des maladies de cultures, à l’échelle mondiale ?
Valérier Verdier : Chaque année, plus de 20% des cinq cultures de base – qui fournissent la moitié de l’apport calorique planétaire – sont détruits par des bioagresseurs ! Dans un contexte où le changement climatique et le commerce mondial entrainent la propagation, l’émergence et la réémergence de maladies des cultures (flétrissement de la banane par Xanthomonas en Afrique de l’Est?Le flétrissement dessèche le bourgeon mâle et provoque une maturation prématurée des fruits du bananier, ce qui rend impossible sa consommation ou sa commercialisation, bactérie Xylella fastidiosa?Transmise et véhiculée par des insectes vecteurs, X. fastidiosa s'attaque à un très large spectre de végétaux en Europe, bactériose du riz en Afrique), les mesures de confinements demeurent souvent inefficaces, en particulier dans les pays à faible revenu. D’ici à 2050, pour satisfaire la demande mondiale en denrées alimentaires, la production agricole pourrait devoir augmenter de 70%. Il est donc vital de réduire les pertes de culture liées aux agents pathogènes.
IRD le Mag’ : Il existe déjà différents réseaux régionaux ou nationaux de protection des plantes. Quel serait le rôle de ce système de surveillance ?
V. V. : Le principe consiste justement à renforcer et interconnecter les systèmes de surveillance des cultures déjà en place pour en tirer le meilleur parti. Et éviter ce qui s’est produit au Cambodge en 2015, par exemple. Des chercheurs avaient identifié la présence de la mosaïque du manioc ?cette maladie transmise par la mouche blanche, et pour laquelle il n’existe pas de traitement, diminue les rendementsdans le pays, mais ils n’ont publié leurs résultats qu’en 2016. Conséquence, en 2018, la maladie s’était étendue à la Thaïlande et au Vietnam. Actuellement, elle touche 10% des surfaces cultivées en Asie du Sud-Est, et menace des millions de petits exploitants qui cultivent le manioc, pour un revenu total d’exportation de quatre milliards de dollars !
IRD le Mag’ : Quels seraient l’organisation et le fonctionnement de ce système de surveillance mondial des maladies des cultures ?
V. V. : Il serait constitué de cinq réseaux mondiaux formels : un réseau de laboratoires de diagnostic, un réseau d’évaluation des risques, un réseau de gestion des données, un réseau de gestion opérationnelle et un réseau de communication. Ce dernier point est essentiel, car nous avons réalisé que même lorsque nous parlions la même langue et utilisions les mêmes technologies, nous pouvions avoir du mal à nous comprendre.
Au-delà de cette structuration, le SMS serait axé sur le renforcement des réseaux de surveillance active et ceux de surveillance passive. Le premier se réfère aux laboratoires des stations d’inspection agricole et aux inspecteurs des douanes et inspecteurs phytosanitaires aux frontières, terrestres et maritimes. Le second concerne les réseaux plus informels de producteurs, de conseillers des organisations agricoles nationales, de scientifiques et d’agronomes travaillant dans des centres de recherche et des universités, ainsi que des spécialistes des industries agricoles. Pour que cette infrastructure soit efficace, les connexions entre les membres de ces deux groupes – en première ligne pour détecter les épidémies - et les intervenants en aval doivent être améliorées et les actions, coordonnées.
IRD le Mag’ : Quelle est la place de l’IRD dans ce système de surveillance de la santé végétale ?
V.V. : La proposition de ce système de surveillance fait suite à un atelier scientifique organisé par le Centre international d’agriculture tropicale, en 2018 et émane d’un groupe d’experts issus du monde universitaire, de centres de recherche, d’agences de financements de la recherche en santé végétale et en santé humaine… Chaque organisme a fait bénéficier le groupe de ses compétences propres. Fort de son expérience à travailler en réseau, et de sa présence dans une cinquantaine de pays, l’IRD apporte son expertise dans la recherche pour le développement durable en général, et la santé végétale en particulier. Surtout, les plateformes et dispositifs structurants mis en place avec nos partenaires, tels que les jeunes équipes associées à l’IRD (JEAI), les laboratoires mixtes internationaux (LMI) et les nouveaux groupements de recherche internationaux-Sud (GDRI-Sud) constituent autant de points d’appui pour ouvrir des collaborations.
IRD le Mag’ : Quelles sont les prochaines étapes pour la mise en place de ce système de surveillance ?
V. V. : Nous enjoignons maintenant les acteurs du G20 agricole, la Banque mondiale et la FAO, entre autres, à travailler à l’unisson dans le cadre d'un plan d'action pluriannuel afin de réduire plus efficacement l'impact des maladies des cultures et d'accroître la sécurité alimentaire mondiale. La temporalité est parfaite puisque 2020 a été désignée année de la santé végétale par les Nations unies – et que les actions pourraient s’inscrire dans le cadre stratégique 2020-2030 de la Convention internationale pour la protection des végétaux (CIPV).
Note :
1. M. Carvajal-Yepes, K. Cardwell, A. Nelson, K. A. Garrett, B. Giovani, D.G.O. Saunders, S. Kamoun, J.P. Legg, V. Verdier, J. Lessel, R.A. Neher, R. Day, P. Pardey, M.L. Gullino, A.R. Records, B. Bextine, J.E. Leach, S. Staiger, J. Tohme, A global surveillance system for crop diseases, Science, 28 juin 2019 ; doi : 10.1126/science.aaw1572
Contact : Valérie Verdier