Mis à jour le 31.05.2021
Une étude scientifique ouest-africaine démontre l’intérêt de la prophylaxie préexposition chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, pour réduire le risque d’infection par le VIH. Certains pays de la région ont d’ores et déjà intégré ces résultats dans leur politique nationale de lutte contre le sida, d’autres ne sauraient tarder à le faire.
Faute de savoir guérir le sida, il faut le prévenir, et le prévenir aussi bien que possible ! Dans l’arsenal de prévention, l’Afrique de l’Ouest, une des régions les plus frappées par l’épidémie, pourrait bénéficier dès cette année d’un nouvel outil biomédical, dont une étude vient de prouver la performance in situ. « Nos travaux, menés au Togo, au Mali, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, démontrent l’intérêt de proposer une prophylaxie préexpositionMéthode de prévention basée sur la prise d'antirétroviraux - médicament utilisé contre l’infection par le virus du VIH/sida - pour prémunir de l'infection une personne potentiellement exposée au virus, plus simplement appelée PrEP, pour réduire significativement l’incidence de l’infection chez les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH), explique Christian Laurent, épidémiologiste à TransVIHMI et co-responsable scientifique de l’étude. Ces résultats confirment, dans le contexte africain, ceux obtenus lors d’études menées auprès d’un public comparable dans des pays du NordÉtats-Unis, Australie, Angleterre, France, Belgique et Pays-Bas notamment1. Mais en plus, compte tenu de comportements spécifiques aux HSH africains, la mise à disposition de la PrEP auprès de ce groupe à risque pourrait aussi contribuer à protéger plus largement l’ensemble de la population. » Depuis quatre décennies, l’Afrique doit en effet faire face à une épidémie de sida, qui y a déjà emporté 25 millions de personnes et fait d’innombrables orphelins, avec un terrible coût économique et social.

L’Afrique fait face depuis une quarantaine d'années à une épidémie de sida, qui y a déjà emporté 25 millions de personnes et fait d’innombrables orphelins.
© IRD - rançois Tremege
Réduire les nouvelles infections
D’abord menée tant bien que mal à l’échelle nationale, la lutte contre l’épidémie devient en 1995 une affaire mondiale, avec la création de l’ONUSIDA pour coordonner l’action contre la maladie. Depuis lors, les progrès obtenus dans la prise en charge des patients ont été significatifs grâce notamment à l’amélioration de l’accès aux traitements antirétroviraux. Mais on ne sait toujours pas guérir du sida, tout au plus parvient-on à en ralentir l’évolution, à en faire une maladie chronique. Pour en venir à bout, l’objectif est donc de limiter autant que possible le nombre de nouvelles infections. C’est même devenu l’une des cibles affichées de l’ODD 3Objectif de développement durable « Bonne santé et bien-être », qui vise entre autres à enrayer l’épidémie avant 2030, en réduisant le nombre de nouvelles contaminations annuelles à moins de 500 000 d’ici 2020, et moins de 200 000 d’ici 2030. « Mais les derniers chiffres connus, ceux de 2019, sont encore bien éloignés du compte, puisque 1,7 million de personnes ont été infectées cette année-là, indique le scientifique. Il faut donc intensifier les efforts de prévention, en particulier auprès des groupes les plus vulnérables, définis comme des populations clés, chez qui la prévalence de l’infection est beaucoup plus élevée que dans la population générale : les HSH, les travailleuses du sexe, les usagers de drogues injectables et les prisonniers. » Dans ce cadre, les spécialistes ont voulu évaluer l’utilisation de la PrEP auprès de HSH africains, stratégie qui a déjà fait ses preuves dans les pays du Nord.

© CohMSM-PrEP
Dans un film d'animation promouvant l'usage de la PrEP auprès des HSH, la figure du soignant vient confirmer le sérieux de la méthode.
Cliniques « clandestines »
« Améliorer la prévention chez les HSH africains présente un double intérêt : les protéger eux-mêmes, bien sûr, mais aussi limiter la contamination de leurs partenaires féminines - et à travers elles celle du reste de la population - car ils sont 60 à 70 % à avoir également des relations hétérosexuelles », explique Bintou Dembélé Keita, médecin co-responsable scientifique de l’étude et coordinatrice de son volet malien. Mais la mise en œuvre d’une telle recherche n’a pas été chose aisée : dans la plupart des pays africains, les rapports sexuels entre partenaires du même sexe sont prohibés, susceptibles de poursuites pénales, et pour le moins extrêmement stigmatisants d’un point de vue social.

Très investi dans sa mission en faveur de la prévention du sida chez les HSH, le personnel d'une clinique associative porte des T-shirts vantant l'intérêt de la PrEP.
© IRD- Christian Laurent
Dans ce contexte hostile, les HSH ont peu accès à des services de santé adaptés, sinon à travers quelques rares cliniques associatives, quasi clandestines, qui mènent en toute discrétion des activités dédiées à leur communauté ou plus largement tournées vers les groupes à risque. « Par l’intermédiaires de ces structures, nous avons pu intégrer 598 candidats dans les quatre pays, souvent informés par les réseaux sociaux, indique Camille Anoma, médecin, directeur de l'association Espace Confiance à Abidjan et coordinateur de l'étude en Côte d'Ivoire. Nous leur avons proposé de la PrEP continue ou à la demande, sous forme d’antirétroviraux à prendre quotidiennement ou dans les jours précédant et suivant les rapports à risque. » Et la démarche s’est révélée fructueuse...

La PrEP repose sur la prise de médicaments antirétroviraux avant l'éventuelle exposition au virus, quotidienne ou dans les jours précédant et suivant les rapports à risque.
© IRD - Christian Laurent
Résultats spectaculaires
« Habituellement, l’incidence des infections par le VIH est dix fois plus élevée chez les HSH que dans la population générale, du fait de pratiques sexuelles plus agressives pour les muqueuses, explique Bintou Dembélé Keita. Ainsi, une étude menée en amont montrait que 10 % des sujets HSH suivis dans nos structures associatives étaient infectés chaque année avec les mesures de prévention conventionnellesUsage des préservatifs, limitation du nombre des partenaires1. La mise à disposition de la PrEP a permis de réduire l’incidence de près de 80 % parmi les sujets participants à l’étude, dont “seuls” 2,3 % ont été infectés sur un an ! »

60 à 70 % des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes en Afrique ont également des rapports hétérosexuels.
© Wikipedia- Creatives commons,SSmiling
Ces résultats spectaculaires ne s’accompagnent pas pour autant d’un relâchement dans les autres méthodes de préventionUsage des préservatifs, limitation du nombre des partenaires1 - qui restent très recommandées - puisque les autres ISTInfections sexuellement transmissiblesSyphilis, infections gonococciques et chlamydioses1, non ciblées par la PrEP, n’ont pas augmenté parmi les sujets de l’étude. « Ces recherches plaident en faveur de la mise à disposition systématique de ce type de prophylaxie biomédicale pour les HSH en Afrique, conclut Christian Laurent. L’offre de PrEP pourrait d’ailleurs être systématiquement proposée aux HSH sous peu : plusieurs pays du continent l’ont en effet déjà prévue dans leur demande au Fonds mondial de lutte contre le sida pour l’année à venir. »
Les scientifiques et praticiens associés à cette étude veulent désormais évaluer l’intérêt d’une nouvelle PrEP beaucoup plus souple d’usage, administrée tous les deux mois sous forme injectable, auprès des HSH ouest-africains.