Mis à jour le 29.10.2021
À l’occasion de la parution de l’ouvrage collectif Vers une couverture sanitaire universelle en 2030 ? Réformes en Afrique subsaharienne, son coordinateur scientifique, Valéry Ridde, spécialiste des politiques de santé publique au CEPEDEn affectation à l’ISED/UCAD à Dakar1 et co-coordonnateur du programme UNISAHEL UNISAHEL est piloté par le CEPED pour l’IRD, financé par l’Agence française de développement (AFD)1, répond aux questions d’IRD le Mag’.
L’accès à la santé pour tous en Afrique peut-il être considéré comme un enjeu sanitaire global ?

Valéry Ridde, coordinateur scientifique de l’ouvrage
© DR
Valéry Ridde : « Il faut distinguer la santé de l’accès aux soins car les déterminants de la santé vont bien au-delà des systèmes sanitaires. Par exemple, l’accès à l’école, à un travail ou à un revenu décent sera déterminant pour la santé des populations bien plus que l’accès aux systèmes de soins. D’où l’importance de penser des politiques de promotion de la santé et de santé publique qui ne sont pas centrées sur l’unique vision médicale et biomédicale, trop souvent présente dans le monde, comme la crise due au Covid-19 l’a bien montré.
En ce qui concerne l’accès aux soins, même si les analyses historiques sont rares, on peut facilement dire qu’il est un enjeu permanent, depuis toujours. En Afrique de l’Ouest francophone, les réformes des systèmes de santé peinent encore à donner plus de place aux soins de santé primaires, proches des communautés, malgré les déclarations de principes et les engagements internationaux des années 1970. Comme en France, les hôpitaux et les médecins spécialistes sont encore au cœur des systèmes de santé tant au plan du pouvoir symbolique que du pouvoir réel dans les prises de décision et le partage des budgets.
Aujourd’hui, l’accès aux soins est inscrit au sein de la volonté des États de se diriger vers la couverture sanitaire universelle (CSU) en 2030. Depuis 2015, elle est un des objectifs de développement durable (ODD). Mais la situation est très variable d’un pays à l’autre et aussi, au sein de chaque pays, d’un groupe de population à l’autre et d’un service de santé à l’autre. Parmi les exemples vertueux, plusieurs chapitres du livre montrent comment le Burkina Faso a été en mesure d’améliorer de manière incroyable l’accès aux soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et pour les femmes enceintes, par l’intermédiaire d’une politique de suppression du paiement des soins presque entièrement financée par l’État. Non seulement cette politique s’est avérée efficace mais aussi efficiente : son rapport coût-bénéfice est impressionnant. »
Quels sont les principaux obstacles à l’instauration d’une couverture sanitaire universelle en Afrique ?

L’accès à l’école, à un travail ou à un revenu décent est bien plus déterminant pour la santé des populations que l’accès aux systèmes de soins.
© IRD - Alexandra Rossi
V. R. : « Malgré les progrès remarquables de nombreux pays, il reste encore beaucoup de défis et obstacles pour la CSU et ses deux objectifs principaux : améliorer l’accès aux soins de santé de qualité et réduire le fardeau financier pour les familles.
Le principal obstacle, souvent peu abordé, est celui du manque de financement public accordé au secteur de la santé. Rares sont les pays en Afrique à s’approcher de leur objectif de consacrer 15 % de leur budgetSelon les termes définis dans la Déclaration d'Abuja de 2001 de l'Union africaine sur le financement des budgets de santé1 à ce dernier. Par exemple, le Sénégal accorde autant (soit 5 %) de son budget annuel au ministère de la Santé qu’à celui de la Défense où à celui de l’Ordre et de la Sécurité publique. Ainsi, selon l’OMS, un seul pays – le Rwanda - a atteint cet objectif aujourd’hui. De fait, ils restent tous très dépendants de l’aide internationale pour financer leur système de santé et les familles se retrouvent à supporter un très large fardeau financier lorsqu’elles doivent se soigner. Là encore, les situations sont variées. Au Rwanda, par exemple, 49 % des dépenses de santé sont payées par l’aide internationale, contre 27 % en Guinée et 15 % au Burkina Faso. Ainsi, dans ce pays, 40 % des dépenses de santé sont supportées par les familles qui payent lorsqu’elles consultent.
La suppression de ces paiements à l’acte de soin, qui sont particulièrement injustes, et leur remplacement par un mode de financement équitable et solidaire à une échelle nationale, est le principal défi des prochaines décennies pour les pays.

Le remplacement du paiement à l’acte par les usagers, plutôt injuste car ne tenant pas compte des moyens de chacun, par un mode de financement plus solidaire, est une piste pour améliorer l’accès aux soins.
© IRD - Vaméroe Broa,d
Un autre obstacle tient à l’influence des experts de l’aide internationale sur le choix des instruments pour atteindre la CSU. Faut-il prélever une partie du salaire ou taxer les populations pour financer un système de santé, faut-il demander un paiement au point de service ou le supprimer, faut-il payer une prime de performance au personnel de santé… Ces choix techniques sont souvent enchâssés dans des idéologies et des perspectives propres aux personnes et aux organisations d’aide internationale. L’ouvrage montre les débats autour de ces différents instruments mais aussi la permanence et l’échec des outils issus de l’approche du New Public Management (par exemple le financement basé sur les résultats, le paiement direct des soins, etc.). »
Des initiatives sur le continent africain préfigurent-elles ce que pourrait être une prise en charge de la santé pour tous vertueuse ?

Une politique de suppression du paiement des soins pour les enfants de moins cinq ans et les femmes enceintes, au Burkina Faso, a démontré son coût-bénéfice impressionnant.
© IRD - Christelle Duos
V.R. : « En Afrique de l’Ouest francophone, une innovation semble particulièrement intéressante : des mutuelles de santé à grande échelle avec une gestion professionnelle. Ainsi, des pays comme le Mali et le Sénégal se sont engagés depuis quelques années dans le développement de mutuelles de santé à l’échelle d’un département, où la cotisation reste cependant volontaire.
Si les instances de gouvernance de ces mutuelles continuent d’impliquer les communautés et leurs représentants, leur gestion a été confiée à des professionnels de l’assurance, du contrôle médical et de la gestion. En effet, après plus de 20 ans d’expériences en la matière, les recherches ont montré que les mutuelles communautaires et villageoises gérées par des bénévoles ne fonctionnent pas bien : elles couvrent trop peu de personnes et leur stabilité financière est très précaire.
Au Sénégal, par exemple, deux départements disposent aujourd’hui d’une mutuelle de santé qui couvre plus de la moitié de la population, ce qui est un record historique à ma connaissance. Ce modèle commence à essaimer dans d’autres départements du pays et, preuve de son attractivité, des délégations du Niger, de la Guinée, de la Mauritanie ont fait le déplacement pour étudier cette initiative innovante. Cependant, les défis sont encore immenses, notamment concernant le besoin de rendre l’adhésion obligatoire, de maintenir la qualité des soins en dialogue avec les prestataires et de ne pas mettre de côté la société civile et les communautés au profit des seuls professionnels. Mais ce modèle est certainement prometteur, comme une des solutions possibles pour la CSU. »
Quels sont les enjeux scientifiques autour de la question de la CSU en Afrique ?

Vers une couverture sanitaire universelle en 2030 ? Réformes en Afrique subsaharienne, Editions Science et Bien Commun
© DR
V.R. : « Plutôt que des enjeux scientifiques, j’aimerais ici souligner l’enjeu central de l’utilisation de la science : celui de produire des connaissances sur la manière dont il est possible de favoriser l’utilisation des données probantes par les acteurs de terrain et les décisionnaires. Cet objet de recherche est encore rarement abordé en Afrique de l’Ouest. Un chapitre du livre est consacré à ces défis au Burkina Faso et montre comme la science éclaire peu les responsables du ministère de la Santé. Pour favoriser cette réflexion sur la science de l’utilisation de la science, nous avons développé, avec un co-financement de l’IRD, des cours en ligne (MOOC) en français. L’un des défis de l’utilisation de la recherche est que cette dernière est la plupart du temps, dans le domaine de la santé, publiée en anglais, ce qui n’en facilite pas son recours par les décisionnaires francophones de l’Afrique de l’Ouest. C’est pour cela que nous avions publié ce livre en français et en accès libre et gratuit. De plus, il y a encore beaucoup d’équipes de recherche qui rechignent à s’engager dans un soutien aux politiques publiques et à adapter leurs résultats de recherche pour qu’ils puissent nourrir les réflexions des décisionnaires. Certaines équipes préfèrent par exemple attendre que leurs résultats soient publiés dans des revues scientifiques, ce qui peut prendre de nombreux mois et parfois des années, avant de les partager aux responsables des systèmes de santé concernés. Il nous reste donc collectivement encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les résultats de nos travaux puissent soutenir le développement et les décisions en faveur de la couverture sanitaire universelle. »