Mis à jour le 17.01.2020
Le volcanologue Yves Moussallam vient de recevoir un prix Rolex 2019 en tant que lauréat associé. À la clé : une contribution financière qui va lui permettre de monter une nouvelle expédition pour mesurer les gaz émis par les volcans de la ceinture de feu du Pacifique. L’objectif : proposer des données précises qui pourront être incluses dans les modèles climatiques.
Originaire de banlieue parisienne, près de Créteil, Yves Moussallam s’évade très tôt de cet univers urbain grâce « à mon grand frère qui organisait des randonnées dans les Alpes en été », raconte-t-il. Et en 2005, à 17 ans, son baccalauréat en poche, il file encore plus loin. « Après avoir vu une photo de l’été indien dans la revue National Geographic, j’ai choisi d’aller au Canada, à l’université d’Ottawa, complète-t-il. J’étais inscrit en licence de physique avec une mineure [une option, ndlr.] en géologie. Or, cette matière était dispensée par un professeur exceptionnel, André Lalonde, qui m’a donné envie de me réorienter ». Il passe alors une licence puis une maîtrise en géologie. Il étudie notamment les mécanismes de formation des montagnes. « Nous concevions des modèles et des théories de processus qui se passaient à l’échelle de millions d’années. Ils ne pourraient donc jamais être vérifiés, et ils n’apportaient rien d’utile à la société, estime-t-il. C’est pourquoi, pour ma thèse, j’ai décidé de me tourner vers la volcanologie. Cela me permettait de rester proche de ma passion, la montagne, tout en menant des recherches plus vivantes et susceptibles d’avoir un impact social ».
Volcanologie : de la science… et du sport
En 2010, il rejoint donc l’équipe de volcanologie à Cambridge (Angleterre) dirigée par Clive Oppenheimer. Son sujet: l’étude de la chimie des gaz volcaniques et du magma du mont Erebus en Antarctique qu’il part sonder durant deux mois dès fin novembre 2010. L’avantage de ce volcan réside en son lac de lave à ciel ouvert. « Nous avons ainsi accès à l’interface entre le magma et les gaz émis quand il remonte en surface », précise le chercheur. Cette première expérience de terrain confirme à Yves Moussallam qu’il a bien trouvé sa voie.
Dès 2013, il enchaine les post-doctorats au CNRS à Orléans, à l’université de San Diego et de nouveau à Cambridge, avant d’obtenir un poste de chercheur à l’IRD en 2017. Au fil de ces contrats, il multiplie les ascensions de volcans : cordillère des Andes, Indonésie, Costa Rica, Éthiopie, etc. Il arpente la planète avec une équipe de « volcanologues atypiques dont le point commun est de voir la volcanologie à la fois comme un sport et une science faite de physique et de chimie, mais aussi d’ingénierie… et de bricolage », explique-t-il. Et pour cause. Certains volcans culminent à 6 000 mètres d’altitude. Il faut donc être un alpiniste chevronné, mais aussi un fin bricoleur car les outils de mesure ultra-pointus — spectromètres, radars portables, instruments d’imagerie thermique, etc. — peuvent souffrir des conditions extrêmes.
L’impact des volcans sur le climat
Mais pourquoi tant d’efforts ? Pour mieux connaître les volcans, bien sûr, mais surtout pour évaluer l’impact sur le climat de ce qu’ils dégazent. « Leurs gaz renferment des particules microscopiques, des aérosols, dont certaines contribuent à la formation des nuages et donc au refroidissement du climat, souligne le chercheur.
Ainsi, au CernOrganisation européenne pour la recherche nucléaire, le projet CloudCosmics Leaving Outdoor Droplets/Rayons cosmiques produisant des gouttelettes extérieures ; https://home.cern/fr/science/experiments/cloud1 (Nuage, en anglais, ndlr.) étudie l’influence des aérosols sur les nuages, afin que les climatologues puissent affiner leurs modèles. En faisant la différence entre l’impact des aérosols “naturels” émis par les forêts, les océans ou les volcans – que nous sommes en train de quantifier –, et ceux émis par les humains, il sera possible d’évaluer plus précisément l’effet des politiques visant à limiter les changements climatiques. Par exemple, si en 2030, malgré une diminution des émissions de CO2 d’origine humaine, il n’y a pas d’effet sur le climat, il sera important de savoir si dans le même temps les émissions d’aérosols volcaniques ont baissé [ce qui pourrait expliquer que la température n’ait pas diminué, ndlr.] ».
Aujourd’hui, il existe environ 150 volcans émetteurs d’aérosols dont une cinquantaine reste à caractériser. « Le prix Rolex va justement me permettre d’organiser de nouvelles expéditions le long de la ceinture de feu du Pacifique, des zones volcaniques qui ont jusqu'ici échappé à un examen scientifique approfondi », conclut le volcanologue globe-trotter qui vient en outre d’intégrer l’université Columbia à New York, comme maître de conférence (assistant professor).
Le prix Rolex pour l’entreprise soutient, tous les deux ans, cinq projets novateurs dans les domaines de la science et la santé, les techniques appliquées, l'exploration, le patrimoine culturel et l'environnement. Lors de la sélection, chaque candidat défend son projet auprès d’experts du domaine. Pour la première fois cette année, le public a eu l’opportunité de voter. Et devant l’engouement pour les finalistes, cinq projets supplémentaires ont été retenus, dont celui d’Yves Moussallam. Chaque lauréat reçoit 200 000 francs suisses (environ 182 000 euros). D’ores et déjà, il est possible de candidater pour les prix 2021https://extranet.rolexawards.com/1.