Mis à jour le 21.01.2022
Les travaux de scientifiques français et béninois révèlent les fortes variations naturelles que connait la salinité de la lagune Nokoué au Bénin. Le déséquilibre de ces mécanismes pourrait menacer la pérennité de ce vaste écosystème qui est le garde-manger des populations alentour.

La lagune Nokoué – souvent appelée lac Nokoué – accueille les plus grandes cités lacustres d’Afrique de l’Ouest, dont le célèbre village de Ganvié . Des embarcaLtions sont utilsées pour les déplacement et la plupart des activités.
© IRD - Alexis Chaigneau
La teneur en sel est un paramètre clé des écosystèmes aquatiques : selon qu’elle soit basse ou élevée, elle peut menacer la survie de certaines espèces animales et végétales ou, au contraire, favoriser leur prolifération au détriment d’autres. Et une étude, menée par des chercheurs français et béninois, vient de révéler que la salinité de la lagune Nokoué, varie fortement selon les saisons et les années... « Nos résultats pourraient aider à préserver cet écosystème aux enjeux socio-économiques importants pour le Bénin », estime Alexis Chaigneau, océanographe-physicien au LEGOS.

Pêche traditionnelle à l’épervier (un petit filet lancé à la surface des flots). La lagune Nokoué mobilise 15 000 pêcheurs et fournit 70 % de la production halieutique béninoise.
© IRD - Alexis Chaigneau
Localisée au sud du Bénin, aux portes de Cotonou la capitale économique, et couvrant une superficie de 150 km² en saison sèche, la lagune Nokoué est un plan d’eau majeur d’Afrique de l’Ouest. Dotée d’une biodiversité unique et biologiquement très productive, cette lagune est alimentée en eau douce au nord par les rivières Ouémé et Sô, et en eau salée au sud par l’océan Atlantique, auquel elle est reliée par un canal artificiel, le chenal de Cotonou. Patrimoine naturel exceptionnel, elle héberge les plus grands villages lacustres d’Afrique de l’Ouest. Et les 15 000 pêcheurs vivants dans ces villages extraient de cet écosystème environ 70% de la production halieutique du Bénin.
Un suivi « à fine échelle » inédit

Comme dans de nombreux autres plans d’eau tropicaux, la pullulation de la jacinthe d’eau, une plante invasive, menace l’équilibre écologique du lac Nokoué.
© IRD - Alexis Chaigneau
Problème : la lagune de Nokoué est menacée par plusieurs facteurs comme la surpêche, la pollution, l’expansion urbaine, ou la prolifération de plantes invasives telle la jacinthe d’eau. Sans compter les effets du changement climatique qui modifie le cycle hydrologique et favorise l’érosion côtière et la montée du niveau marin.
Afin de préserver cette lagune et mettre en place un plan de gestion durable, il est crucial de comprendre et de surveiller son évolution, et en particulier sa salinité. « Jusqu’ici, la teneur en sel de la lagune Nokoué n’avait jamais été mesurée à fine échelle, de manière répétitive et sur le long terme avec une couverture globale de ce plan d’eau », explique Alexis Chaigneau.
Grâce au suivi mensuel de paramètres physico-chimiques de la lagune pendant trois ans, les scientifiques ont mis en lumière les variations saisonnières et interannuelles de sa salinité.
© IRD - Alexis Chaigneau
C’est désormais chose faite ! « Tous les mois pendant trois ans, de décembre 2017 à décembre 2020, nous avons réalisé des campagnes de terrain de deux jours afin de mesurer la salinité de l’eau et d’autres paramètres physico-chimiques, en 31 points de la lagune. De plus, entre février et décembre 2018, nous avons intensifié le nombre d’analyses – en effectuant des relevés en 24 points supplémentaires – et mesuré de manière régulière les flux d’eau entrants et sortants de la lagune. Cela, afin de mieux documenter l'évolution mensuelle du front salin », décrit Victor Okpeitcha, ingénieur océanographe et doctorant à l’Institut de recherches halieutiques et océanologiques du Bénin (IRHOB)L’ IRHOB est le partenaire principal de ces travaux qui impliquaient aussi l'Institut national de l’eau du Bénin (INE) et le Centre européen de recherche et d'enseignement en géosciences de l'environnement (CEREGE).1.
Saison sèche et saison des crues
Les activités humaines, comme l’extraction de sable pour la construction, exercent une forte pression sur la stabilité de l’écosystème lagunaire.
© IRD - Alexis Chaigneau
Les données recueillies ont révélé que pendant la saison des crues (septembre-novembre), les forts apports d'eau douce par les rivières dessalent complètement la lagune. À l’inverse, lors de la saison sèche (décembre-avril), elle se resale progressivement sous l'effet de la marée océanique qui pénètre par le chenal de Cotonou, jusqu’à atteindre 25 g de sel par litre d’eau en avril. Cette salinité en saison sèche varie fortement d’une année à l’autre : par exemple, elle est passée de 25g/L en avril 2018 et 2020, à 16 g/L en avril 2019. Cela, en raison de l’hypersensibilité de la lagune à des variations de flux d’eau douce. En effet, les chercheurs ont montré que de faibles augmentations du débit des rivières (de 10-15 m3 par seconde) suffisent à faire chuter la salinité moyenne de 30% et des apports fluviaux supérieurs à 50-60 m3/s peuvent dessaler totalement la lagune.

Située dans une région très urbanisée, la lagune Nokoué subit une forte pollution aux déchets domestiques.
© IRD - Alexis Chaigneau
Dans l’ensemble, ces résultats indiquent que la gestion de la ressource en eau a des conséquences importantes sur la lagune Nokoué. « Nos résultats sont déjà dans les mains des autorités locales chargées de mettre en place des mesures de sauvegarde de ce plan d’eau, souligne Alexis Chaigneau

Située dans la région urbaine très dense du littoral béninois, la lagune Nokoué voit sa population croître rapidement et s’accentuer la pression anthropique sur le milieu naturel.
© IRD - Alexis Chaigneau
Ils ont aussi servi à calibrer un modèle hydrodynamique qui permettra de comprendre le rôle de différents processus (marée, vents, apports fluviaux…) sur les fluctuations de la salinité de la lagune et d’anticiper des changements futurs. »
Les données servent maintenant à étudier la réponse du plancton et des poissons à ces changements de salinité. Ces compléments de recherche devraient être déterminants pour préserver au mieux ce précieux écosystème.