Mis à jour le 18.09.2024
Dengue, chikungunya, Zika, les moustiques invasifs propagent des maladies virales dans les régions qu’ils ont envahies. Une vaste étude menée par les spécialistes de l’IRD et leurs partenaires a établi les coûts économiques qu’ils font peser sur les individus et les sociétés à l’échelle mondiale. Ce fardeau a considérablement augmenté ces dernières années. Investir sur la prévention doit permettre de limiter ces pertes dans le futur.
Du commerce triangulaire à la globalisation contemporaine, la mondialisation des échanges a contribué à disséminer des insectes hors de leur zone d’origine. Parmi eux, le moustique Aedes aegypti, venu d’Afrique, a conquis l’Amérique, l’Asie et le Pacifique dès le XVIIIe siècle. Accompagnant les cargaisons industrielles chinoises, son cousin issu d’Asie Aedes albopictus - aussi connu comme moustique tigre - a colonisé l’ensemble du monde dans les dernières décennies.
« Ces deux moustiques sont des vecteurs majeurs de virus qui peuvent provoquer des maladies épidémiques dans la population humaine, et notamment la dengue, le chikungunya et le Zika, même dans les régions tempérées depuis que le moustique tigre y est présent, indique Frédéric Simard, entomologiste IRD, directeur de MIVEGEC. Leur dispersion expose toute la planète à ces virus pathogènes. » De fait ces maladies sont en pleine expansion et les flambées épidémiques sont de plus en plus fréquentes. Le Brésil connait ainsi en ce moment une épidémie de dengue qui a touché plus de six millions de personnes.
Pour la première fois, les scientifiques ont établi le coût mondial de leur prise en charge, de leurs conséquences économiques et celui de la mobilisation scientifique et sanitaire pour les connaitre et les prévenir.
Dommages, pertes, prévention
En analysant plus de 2 000 articles, publications scientifiques, documents officiels et rapports sanitaires, ils ont pu caractériser les dépenses engendrées par ces moustiques et les pathologies qui leur sont associées de 1975 à 2020, et ce dans 166 pays et territoires d’outre-mer. « Au total, cumulés sur cette période, les coûts déclarés de ces maladies atteignent 94,7 milliards de dollars », indique Paulina Pontifes, écologue, post-doctorante à MIVEGEC. 79 % de ces dépenses étaient dues à la dengue, 10,7 % au chikungunya et 9,3 % au Zika - ces deux dernières pathologies apparues plus récemment ne pèsent respectivement que depuis 2003 et 2013.
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coûts déclarés
94,7 Mds $
à l'échelle mondiale
coûts déclarés |
94,7 Mds $ |
à l'échelle mondiale |
Plus de 90 % de ces dépenses documentées ont été consacrées aux dommages et aux pertes causés par ces maladies, à savoir les coûts médicaux directs (frais de diagnostic, traitements, hospitalisations, soins ambulatoires, transports, nourriture et hébergement des malades) mais aussi les manque à gagner (pertes de productivité, de production, d’heures de travail et d’étude, ralentissement de l’économie et du tourisme en période d’épidémie).
Et seulement moins de 10 % des dépenses engagées correspondent à la gestion des vecteurs envahissants et des maladies qu’ils transmettent, c’est-à-dire aux coûts liés à la surveillance entomologique et épidémiologique, à la lutte anti-vectorielle, aux actions préventives (campagnes de communication et mesures de protection individuelle) mais aussi à la recherche et à l'innovation (vaccins, tests diagnostiques, nouveaux outils de lutte anti-vectorielle).
Des coûts mésestimés et en pleine explosion
Pour les scientifiques, les coûts déclarés ne représentent qu’une partie du fardeau réel des pathologies transmises par Aedes. Ils ne sont en effet pas encore chiffrés et rapportés dans de nombreux pays et ne sont donc actuellement pas comptabilisés. De plus, certains dommages, comme l’altération de la qualité de vie des patients ou des anciens patients, ne peuvent être exprimés en valeurs monétaires. Mais surtout, les coûts très importants engendrés par les séquelles de ces maladies – incapacités et handicapsAnomalies cérébrales chez les nourrissons nés d’une mère infectée au Zika, maladies neurologiques chez les adultes infectés au Zika, atteintes articulaires et neurologiques longues chez les patients infectés par chikungunya.1 – ne font pas partie des coûts déclarés. Pourtant, pour la seule période 2013-2017, ils sont estimés à 223,5 milliards de dollars. « Si on prend en compte ces conséquences à long terme, en plus des 94,7 milliards des couts déclarés, la facture s’envole d’ores et déjà à 318 milliards ! », estime David Roiz, écologue à MIVEGEC.
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coût estimé des séquelles
223,5 Mds $
pour la période 2013-2017
coût estimé des séquelles |
223,5 Mds $ |
pour la période 2013-2017 |
Mais en plus les coûts explosent : les dépenses annuelles ont été multipliées par 14 au cours de la période qui a suivi l'émergence du Zika et du chikungunya. Pour la seule année 2013, période d’énormes épidémies de dengue et de chikungunya, la facture s’est élevée à 20,3 milliards de dollars ! Et l'impact économique des Aedes et des maladies associées devrait continuer de croitre dans les décennies à venir, parallèlement à l'augmentation des facteurs qui leur sont favorables tels que le changement climatique, l’urbanisation, le tourisme, le commerce…
Les scientifiques appellent à réagir vite à la situation, en investissant davantage dans la recherche et la prévention. D’autant que les coûts liés à la gestion et la prévention sont toujours restés très limités, alors même que ceux engendrés par les dommages explosaient.