Même des îles coralliennes de taille très réduite (quelques dizaines de mètres carrés) peuvent accueillir des oiseaux marins en reposoir ou en reproduction, comme ici plusieurs espèces de sternes sur l’îlot D’Di, en Nouvelle-Calédonie.

© Tristan Berr

Oiseaux marins et îles coralliennes : au cœur de la conservation des récifs

Les oiseaux marins tropicaux ont des rôles clés dans les écosystèmes des récifs coralliens, tout en dépendant des îles associées à ces récifs pour se reproduire. Afin d’améliorer leur conservation, des chercheurs en appellent à la communauté scientifique pour développer des réseaux d’échanges internationaux dédiés à l’étude et à la protection de ces espèces et écosystèmes.

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Les îles coralliennes sont formées par l’accumulation de débris sédimentaires issus de récifs coralliens. De taille et de formes diverses, elles sont présentes dans la plupart des écosystèmes récifaux de la zone intertropicale et abritent des communautés uniques de plantes et d’animaux, dont certaines des plus grandes colonies d’oiseaux marins tropicaux au monde. Récemment, des études effectuées dans les océans Pacifiquemenées par l'IRD en Nouvelle-Calédonie : a).- Lorrain, A., Houlbrèque, F., Benzoni, F., Barjon, L., Tremblay-Boyer, L., Menkes, C., ... & Vidal, E. (2017). Seabirds supply nitrogen to reef-building corals on remote Pacific islets. Scientific Reports, 7(1), 3721. et b).- Thibault, M., Houlbreque, F., Duprey, N. N., Choisnard, N., Gillikin, D. P., Meunier, V., ... & Lorrain, A. (2022). Seabird-derived nutrients supply modulates the trophic strategies of mixotrophic corals. Frontiers in Marine Science, 1927.1 et Indien ont mis en évidence le rôle clé joué par ces populations d’oiseaux dans la bonne santé des récifs. 

De nombreuses espèces de sternes qui fréquentent les îles coralliennes ont des colonies très mobiles. Celles-ci peuvent se reproduire sur des sites différents d’une année à l’autre, ce qui fait de leur suivi et de leur gestion des défis complexes.

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« Lorsque les déjections des oiseaux marins, appelées guano, sont déposées sur les îlots, elles enrichissent en nutriments les écosystèmes coralliens environnants, ce qui contribuent à leur bonne santé », explique Tristan Berr, doctorant au sein des unités mixtes de recherche Entropie à Nouméa et IMBE à Aix-en-Provence.

Un cercle vertueux mais fragile

Sur les îles coralliennes, ces bénéfices sont réciproques : les récifs sont à la base de la formation des îles, lesquelles sont utilisées par les oiseaux marins pour se reproduire. « Dès lors, on comprend bien que le déclin des oiseaux, des récifs ou des îles coralliennes peut fragiliser tous les compartiments de cet écosystème par un effet de cercle vicieux : une colonie d’oiseaux en déclin affectera la santé des récifs avoisinants, ce qui peut accélérer le déclin des coraux et interrompre les mécanismes sédimentaires permettant le maintien des îles… sur lesquelles ne pourront plus se reproduire les oiseaux », poursuit le scientifique. 

La gygis blanche, ici sur l’îlot Nukufeta’u de Wallis-et-Futuna fréquente aussi bien les îles rocheuses que coralliennes. Cette polyvalence est susceptible de protéger la gygis de certains effets du réchauffement climatique.

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Malgré leur importance écologique, les communautés d'oiseaux marins des îles coralliennes n’ont pas encore fait l’objet d’études à grande échelle. « Nous connaissons mal la taille et la répartition géographique de ces populations d’oiseaux et, sans estimation fiable, il est très difficile d’évaluer concrètement leur contribution aux écosystèmes récifaux, que ce soit en matière d’apport de nutriments, de régulation des chaînes alimentaires, etc. Or cette contribution est d’ores et déjà menacée par certaines conséquences du réchauffement climatique, en particulier l’élévation du niveau de la mer couplée au réchauffement et à l’acidification des océans. En résumé : on sait que l’on a quelque chose à perdre si ces espèces et ces milieux viennent à disparaître, mais on ne sait pas exactement ce que cette perte implique sur le plan écologique et socio-économique », constate Tristan Berr. 

Un partage des données insuffisant

Les raisons expliquant ce défaut de connaissances sont multiples : absence de partage des données récoltées par les différentes équipes suivant ces colonies d’oiseaux dans la zone intertropicale ; isolement des îlots rendant leur accès difficile aux missions scientifiques ; faibles infrastructures de recherches et de moyens logistiques dans de nombreux états insulaires tropicaux, qui hébergent nombre de ces îlots, etc. 
 

Cocotiers sur l’îlot Solitaire, Poindimié, Nouvelle-Calédonie. Cet îlot et ses deux voisins ont subi au cours des dix dernières années une forte érosion qui a dégradé leur végétation et diminué leur capacité à accueillir des des colonies d’oiseaux marins.

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En réponse à cette situation, une équipe de scientifiques, coordonnée par des membres de l’IRD à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, vient de publier un plaidoyer appelant la communauté scientifique internationale à travailler de façon plus soutenue et coordonnée sur ces questions. « Il est urgent de combler ce manque d’information afin d’orienter de manière pertinente les futurs efforts et politiques de gestion des oiseaux marins tropicaux », explique Éric Vidal, directeur de recherche IRD au sein de l’UMR Entropie. La gestion actuelle de la mer de Corail, qui comprend les eaux de la côte Est de l’Australie et celles de Nouvelle-Calédonie, appelle à une meilleure collaboration entre gestionnaires alors que beaucoup d’espèces d’oiseaux sont communes aux deux territoires et qu’une connectivité démographique entre certaines colonies est probable.

Vers une base d’information mondiale

Grâce aux projets qu’elles mènent déjà, les UMR Entropie et IMBE sont à même de s’inscrire au cœur de ces enjeux de recherche. Depuis cinq ans, une base de données a été mise en place, rassemblant pour l’instant principalement des informations récoltées lors de missions menées dans les collectivités d’Outre-mer du Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna et Clipperton). Un tel outil pourrait tout à fait centraliser des données mondiales sous une forme homogénéisée et les repartager ensuite, soit pour des analyses scientifiques à large échelle, soit pour éclairer et alimenter les gestionnaires d’aires marines protégées. « Grâce aux différentes collaborations que nous mettons progressivement en place, nous devrions rapidement pouvoir associer des données issues de l’océan Indien mais également des côtes Est et Ouest australiennes. Cette “dynamique”, baptisée CORIS (COral Reef Island Seabirds), est un exemple d’initiative que nous souhaitons promouvoir et faire connaitre dans les mois qui viennent auprès de la communauté scientifique et des gestionnaires d’îles coralliennes. Ce type de base de données n’existe actuellement pas au niveau mondial avec un tel niveau de précision et une telle ambition », s’enthousiasme l’écologue. Un projet ambitieux qui s’inscrit dans le mouvement mondial de partage et d'accès ouvert des données pour un meilleur usage de celles-ci : informer les décideurs et acteurs publics et œuvrer ensemble vers la durabilité des écosystèmes.


 

Quel avenir pour l’atoll de Clipperton (Pacifique Ouest) et la colonie de fous masqués qu’il héberge ? Isolé, il est en partie protégé du dérangement humain, mais il n’est pas à l’abri de la surpêche, de la pollution plastique et des changements globaux.

© Tristan Berr

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Pour une vision prédictive

Les chercheurs envisagent de développer un autre projet : prédire à l’échelle de 30, 50 ou 100 ans le devenir des îles coralliennes et de leur biodiversité. Ces îles, et les colonies d’oiseaux marins qu’elles hébergent, sont-elles vouées à disparaître ? Dans ce cas, cela a-t-il du sens d’essayer de les préserver malgré tout ? Vont-elles au contraire résister au moins en partie au changement climatique et si oui, quelles politiques et stratégies de gestion et de conservation pourraient être mises en œuvre ? « Les oiseaux marins sont des espèces dites longévives, qui ont une longue durée de vie et une maturité sexuelle acquise plusieurs années après la naissance. En conséquence, l’impact d’une mesure de gestion est souvent lent à se manifester : il est donc urgent d'identifier la méthode adéquate ! », conclut Tristan Berr.