Mis à jour le 03.06.2024
Après sept décennies d’engagement et des résultats très significatifs obtenus depuis le début du XXIe siècle, la lutte contre le paludisme est à la croisée des chemins. Les progrès marquent le pas depuis quelques années, mais de nouveaux outils, stratégies et voies de recherche ont vu le jour. Et les acteurs mondiaux de la santé se mobilisent aujourd'hui autour de l’objectif de réduire de 90 % la mortalité liée à la maladie à l’horizon 2030Stratégie technique mondiale de lutte contre le paludisme, adoptée par l'Assemblée mondiale de la Santé en 20151. Les spécialistes de l’IRD et leurs partenaires sont engagés sur tous les fronts pour vaincre le paludisme : dépistage et traitement des malades, protection des populations exposées, réduction de la transmission et prise en compte des différents changements susceptibles d’infléchir la dynamique de la maladie.
Le paludisme est une maladie infectieuse causée par un parasite appelé Plasmodium (voir encadré Un Plasmodium, des Plasmodium). Celui-ci est transmis par la piqûre d’un moustique vecteur, l’anophèle femelle. Naguère largement réparti sur le globe, il sévit aujourd’hui essentiellement dans les régions tropicales : les conditions environnementales lui sont favorables, et ainsi à la transmission de la maladie.
En 2020, l'OMS estime à 241 millions le nombre de cas de paludisme – dont 90% en Afrique – et à 627 000 le nombre de décès. Logiquement, une bonne part de la recherche et des efforts de lutte portent sur le parasite Plasmodium falciparum, très majoritaire sur le continent africain et responsable de quasiment tous les cas mortels.
Le paludisme, aussi appelé malaria, provoque de multiples symptômes comparables à ceux d’une grippe, souvent accompagnés de signes digestifs. Mais il peut aussi prendre une forme sévère, apparaissant d’emblée ou faisant suite à un défaut de traitement de la maladie, caractérisée par la défaillance d’organes vitaux pouvant conduire à la mort. Les populations vivant dans les zones d’endémie du paludisme peuvent contracter la maladie à plusieurs reprises et elles développent au fil du temps une immunité partielle qui limite les symptômes. Les jeunes enfants, dont le système immunitaire est encore naïf,qui n'a jamais été en contact avec un antigène étranger et les femmes enceintes dont les défenses sont transitoirement modifiées, paient le plus lourd tribut en matière de morbidité et de mortalité. 96 % des victimes du paludisme sont âgées de moins de cinq ans.
Le paludisme est un problème multifactoriel, lié au niveau de développement des pays concernés et mettant en jeu tout à la fois des difficultés d’accès au diagnostic et au soin, la faible connaissance de la maladie par les populations exposées, les obstacles de natures diverses à la mise en œuvre de mesures de prévention, de traitement et de lutte contre les vecteurs.
Dépister et traiter les malades
Sans surprise, un des premiers niveaux d’intervention pour faire reculer le paludisme consiste à le diagnostiquer et à traiter les infections dès qu’elles sont avérées. C’est une condition préalable pour limiter le nombre de malades, pour éviter les formes graves et les cas mortels. Et, s’agissant du paludisme gestationnel, le diagnostic précoce est essentiel pour prévenir l’anémie sévère de la grossesse, voire le décès, chez les mères ainsi qu'un déficit pondéral chez les enfants à naitre. Ce déficit de poids constitue l’une des causes majeures de mortalité infantile en Afrique. Le dépistage de l’infection palustre dès l’apparition des premiers signes cliniques est essentiel car cette maladie partage des symptômes avec de nombreuses autres. Enfin pour être réellement utilisés, les tests de dépistage et les traitements doivent être facilement disponibles et accessibles gratuitement au plus près des populations exposées. Les scientifiques travaillent avec les programmes nationaux de lutte contre le paludisme pour évaluer les stratégies mises en œuvre dans ce sens. Ils contribuent aussi à veiller à l’efficacité des traitements, à les améliorer et à les diversifier.
Test de diagnostic rapide
« Le développement et la diffusion des tests de diagnostic rapide du paludisme, il y a quelques années, représentent une avancée considérable dans la lutte contre la maladie, estime Jean Gaudart, médecin de santé publique et statisticien dans l’UMR Sciences économiques & sociales de la santé & traitement de l’information médicale (SESSTIM). Ces petits tests, avec juste une goutte de sang à poser sur une bandelette garnie d’un réactif ad hoc, qu’à peu près n’importe qui peut faire et lire, ont permis de démocratiser le diagnostic et d’instaurer le traitement précoce. » Comme les autotests du Covid-19, ces dispositifs faciles à interpréter disposent d’une barre qui indique si le sujet est infecté ou pas. Avant ces tests, le diagnostic était réalisé à partir de prélèvements sanguins qui devaient être examinés au microscope par un laborantin, installé dans une structure de santé, disposant de l’équipement nécessaire, un processus nettement plus lourd…
Concrètement, ces tests constituent la première étape des stratégies de lutte intégréeMise à disposition de tests de diagnostic rapide et de traitement des formes simples à le l’échelon local, visant à toucher au plus vite les patients. Ainsi, des agents de santé communautaire peuvent être formés en quelques heures pour les mettre en œuvre. Plusieurs essais ont fait la preuve de l’efficacité de cette stratégie, au Mali et au Sénégal notamment où des agents de santé communautaires passaient régulièrement dans les foyers de leur village pour tester les personnes symptomatiques et, si l’infection palustre était établie, délivrer dans la foulée les médicaments nécessaires. Cette approche est particulièrement efficace pour lutter contre les formes simples de la maladie, et transférer les patients atteints de forme plus sévères vers les services spécialisés. Elle avait fait ses preuves en Asie du Sud-Est, et elle permet maintenant d’éliminer presque tous les cas dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest (voir encadré Le fabuleux destin de Dielmo-Ndiop).
« Accessoirement, en écartant parfois le paludisme qu’on soupçonnait à chaque épisode de fièvre ou de troubles digestifs dans les zones d’endémies, ces tests ont rendu visibles, puis permis de soigner et de prévenir, d’autres maladies endémiques, comme les borrélioses », raconte Cheikh Sokhna, biologiste de l’UMR Vecteurs – Infections tropicales et méditerranéennes (VITROME).
Combiner les traitements
La plupart des traitements du paludisme visent à neutraliser le parasite lorsqu’il produit des symptômes, donc au stade sanguin de son cycle chez l’humain (voir encadré Le cycle très complexe de Plasmodium). Pour éviter les formes sévères de la maladie, qui sont souvent associées à un défaut ou un retard de prise en charge, il faut administrer les remèdes au plus tôt. Depuis les années 2000, et suite à l’apparition de résistance du parasite aux précédents traitements, les molécules principales sont les dérivés de l’artémisinine, elle-même issue d'une plante chinoise dont les effets étaient connus de longue date. Ces principes actifs sont faciles à utiliser, par voie injectable ou orale, et éliminent rapidement les parasites présents dans le sang. Peu chers et largement diffusés grâce au soutien du Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, les dérivés d’artémisinine sont principalement employés en association avec d’autres molécules dites partenaires, telles que l’amodiaquine, la luméfantrine, la pipéraquine, et la pyronaridine. Ces bithérapies, appelées « combinaisons thérapeutiques à base d’artémisinine » (CTA), visent à compléter l’activité des dérivés d’artémisinine et à réduire le risque de résistance.
Et pour déceler l’apparition de résistances, les scientifiques étudient régulièrement l’efficacité des traitements recommandés. « Les données cliniques de patients traités sont analysées, mais aussi des échantillons sanguins, en séquençant tout ou partie du génome du parasite pour déceler d’éventuels gènes de résistance déjà identifiés ou encore méconnus », explique Jérôme Clain, biologiste de l’UMR Mère et enfant en milieu tropical : pathogènes, système de santé et transition épidémiologique (MERIT).
Enfin certaines espèces de parasites, Plasmodium vivax et Plasmodium ovale (voir encadré Un Plasmodium, des Plasmodium), peuvent persister très longtemps sous forme dormante dans le foie. Un traitement spécifique, à base de primaquine, est nécessaire pour prévenir une rechute, possible même des années après le premier accès palustre.
Améliorer la prise en charge
Au-delà de suivre l’efficacité des remèdes existants, les scientifiques s’emploient à améliorer les thérapies. « Au Bénin, nous avons établi qu’il existe un profil immunitaire particulier associé au neuropaludisme et au décèsProjet NeuroCM (ANR 2017-2021) : Identification des facteurs parasitaires et de l’hôte à l’origine de la neuroinflammation et sa résolution lors du neuropaludisme https://www.unilim.fr/ient/blog/anr-neurocm/ 1, indique Agnès Aubouy, biologiste dans l’UMR Pharmacochimie et biologie pour le développement (PHARMA-DEV). Cette forme clinique grave de la maladie se manifeste par un coma profond et touche particulièrement les enfants, avec ici une mortalité de 30 % des jeunes malades de deux à six ans. Le but de nos travaux, in fine, est de proposer un traitement adjuvantUn produit ajouté au traitement de base pour améliorer ou renforcer son action à l’artésunate Médicament dérivé de l’artémisinineutilisée pour traiter ces cas, visant à orienter la réponse immune innée vers la résolution de l’inflammation cérébrale. »
Les scientifiques de PHARMA-DEV travaillent également à étoffer l’arsenal contre le paludisme en cherchant de nouveaux traitements. Des enquêtes ethno-pharmacologiques menées auprès des populations et des tradipraticiens visent ainsi à identifier les plantes utilisées comme antipaludiques. Ils ont par exemple identifié les plantes Terminalia albida en Guinée et Terminalia macroptera au Mali dont les extraits d’écorce, de feuilles ou de racines, ont montré des activités antipaludiques très intéressantes à la fois in vitro et in vivo sur des modèles d’infection chez la souris. « Ce type d’approche peut aboutir soit à l’identification de nouvelles molécules antipaludiques, qui pourraient donner les médicaments de demain, soit à la validation de l’utilisation traditionnelle de la plante, explique la spécialiste (voir encadré Artemisia, la plante de tous les débats). L’utilisation de plantes antipaludiques sous forme de tisane est particulièrement intéressante car elle est déjà adoptée par les populations vivant en zone d’endémie palustre. » Ce type de produits préparés à base de plante présente cependant l’inconvénient de la variabilité de leurs constituants, liée aux conditions de culture (composition du sol, climat, etc.), de récolte (âge de la plante, parties collectées), de séchage, de préparation, toutes données susceptibles d’en moduler l’efficacité et pouvant en altérer la fiabilité.
Repositionner des médicaments
Contrairement à la phase sanguine symptomatique de la maladie, pour le traitement de laquelle il existe de nombreuses molécules, les stades hépatiques et transmissibles (voir encadré Le cycle très complexe de Plasmodium) ont jusqu’ici peu de remèdes. Pourtant, il est primordial de pouvoir cibler le parasite à ces étapes de son cycle, pour prévenir la survenue de la maladie dès le stade hépatique, et pour entraver la transmission à un moustique sain s’agissant des stades gamétocytes. Pour cela, les scientifiques s’emploient à chercher parmi les nombreux médicaments utilisés dans toutes sortes d’indications, ceux qui ont des squelettes chimiques apparentés aux rares traitements efficaces contre ces deux stades. C’est ce que l’on appelle du repositionnement de médicament. « Nous cherchons des médicaments qui ont des motifs structuraux proches des antipaludiques de référence ou qui peuvent être transformés in situ par le foie humain, qui est un agent important de métabolisation des molécules antipaludiques, explique Romain Duval, chimiste à MERIT. Et nous avons déjà obtenu des résultats très encourageants in vitro, en établissant par exemple l’activité d’un antitussif et d’un antidépresseur contre les stades hépatique ou gamétocyte du parasite, respectivement. » La prochaine étape vers un éventuel repositionnement thérapeutique de ces médicaments contre le paludisme, sera de confirmer leur efficacité sur des modèles murins infectés avec un parasite de rongeur.
Affiner les stratégies
« Nous suivons de près la dynamique épidémique de la maladie, en nous appuyant sur les systèmes d’information dont se sont dotés de plus en plus de pays en zone d’endémie, indique Jean Gaudart. Où ont lieu les pics de transmission, à quelle période de l’année, dans quelles conditions environnementales et sociétales ? La réponse à ces questions permet d’affiner les stratégies de lutte employées par les programmes nationaux de lutte contre le paludisme pour contextualiser les interventions, et de chercher s’il y a des facteurs sur lesquels on peut jouer dans une action de santé publique. »
Ainsi, ces travaux ont mis en évidence l’apparition d’un point chaud de transmission à la suite de forts investissements économiques pour le développement agricole, dans le district de Diré au nord du Mali. Dans cette région sahélienne où la transmission du paludisme est saisonnière, impliquant une lutte essentiellement centrée sur la saison des pluies, la mise en place de l’irrigation a entrainé une pullulation des anophèles. Ce n’est plus la pluie qui guide l’épidémie de paludisme mais l’eau dans le périmètre irrigué, et la stratégie de lutte a dû être adaptée. De même, les recherches ont montré qu’en Afrique du Sud, où le paludisme est quasiment éliminé avec l’utilisation encore aujourd’hui de l’insecticide DDT, la dernière étape achoppe sur les cas importés du Zimbabwe voisin réalimentant le réservoir humain. « Pour aboutir, la stratégie de lutte devra donc prendre en compte les conditions économiques et sociales de travailleurs pauvres, migrants, qui franchissent le Limpopo pour se faire embaucher et ne se traitent pas ou ont peur d’aller se soigner parce qu’ils ne sont pas forcément en situation régulière », explique le médecin de santé publique et statisticien Jean Gaudart.
Pour vaincre le paludisme, les chercheurs impliqués sur ces questions de diagnostic, de traitement et de stratégie s’accordent sur l’importance de veiller à l’efficacité des traitements et des tests de dépistage dans chaque région – en renforçant les connaissances sur les parasites présents – et d’améliorer l’accès au soin et le niveau d’éducation sur cette maladie des populations exposées.
Artemisia, la plante de tous les débats
Artemisia annua et Artemisia afra, deux espèces de la plante dont est tirée l’artémisininePrincipe actif à la base des médicaments de première ligne contre le paludisme, obtenue par extraction ou par hémisynthèse, sont massivement utilisées en médecine populaire et tradithérapies contre le paludisme dans les régions d’endémie. Selon leurs promoteurs, parmi lesquels des ONG très actives, elles sont efficaces pour prévenir autant que soigner la maladie, sont bien tolérées, permettent de s’affranchir des nombreuses contrefaçons des médicaments antipaludiques et du monopole des laboratoires pharmaceutiques, et peuvent être cultivées et utilisées dans les régions rurales excentrées privées d’accès aux traitements de référence. Pour leurs détracteurs, leur utilisation présente de nombreux risques : leur éventuelle toxicité est mal connue, l’emploi de plantes insuffisamment dosées en artémisinine expose le patient à de potentiels échecs thérapeutiques et pourrait induire des résistances à l’artémisinine.
« Nos études in vitro ont montré que les infusions de ces deux plantes inhibent puissamment les parasites du paludisme, en particulier leurs stades hépatiques et sanguins, ce qui pourrait expliquer leurs effets prophylactiques et curatifs revendiqués chez les populations, indique Romain Duval, chimiste à MERIT. Plus surprenant encore, l’efficacité d’Artemisia afra, l’espèce africaine qui ne contient pas ou extrêmement peu d’artémisinine, semble indiquer la présence dans cette espèce de composés ou combinaison de composés actifs encore méconnus, et dignes d’intérêt thérapeutique. » L’étude des usages et la prospection phytochimique de ces plantes pourrait ainsi être une voie prometteuse vers de nouveaux traitements contre le paludisme.
Le fabuleux destin de Dielmo-Ndiop
Naguère décimés par le paludisme, les deux villages de Dielmo et Ndiop au Sénégal en sont aujourd’hui quasi exempts. « Nul besoin de prophylaxie quand on se rend là-bas, estime Cheikh Sokhna, biologiste de l’UMR VITROME. Le risque d’être infecté est maintenant inexistant. » C’est un véritable retournement de situation pour ces deux bourgades rurales, où pullulaient les moustiques – notamment en raison de la proximité immédiate d’une rivière s’agissant de Dielmo : avec un millier d’accès palustres par an, les villages payaient un lourd tribut au paludisme en matière de mortalité des jeunes enfants avant les années 1990. Choisis par les scientifiques de l’IRD, de l’Institut Pasteur de Dakar et de Paris pour étudier la maladie et expérimenter les stratégies de lutte, ils ne connaissent aujourd’hui plus de décès liés à la maladie. Les spécialistes y ont déployé les moyens nécessaires pour diagnostiquer et traiter rapidement, et promu l’usage de la moustiquaire imprégnée d’insecticide pour protéger les dormeurs des piqûres nocturnes. Et, bien sûr, ils suivent depuis l’impact de ces mesures sur la santé des populations. Tout à la fois laboratoire des stratégies de lutte et observatoire de leurs effets sanitaires et sociaux, les deux villages sont la preuve dynamique et pleine de vie de l’efficacité de la lutte intégrée et locale contre le paludisme.
Protéger les populations exposées
Mieux vaut prévenir que guérir, l’adage a tout son sens s’agissant du paludisme. Et l’arsenal pour empêcher la survenue de la maladie est varié. Il vise tout à la fois à éliminer le parasite dans l’organisme des sujets exposés avant l’apparition des symptômes, à limiter les contacts entre humains et vecteurs, à préparer le système immunitaire pour mieux résister aux formes simples et sévères de la maladie. Ces différents volets de prévention peuvent être utilisés seuls ou combinés, selon les conditions. Ils visent en premier lieu les plus vulnérables au paludisme, les jeunes enfants et les femmes enceintes dans les régions où la maladie est endémique.
Chimioprévention saisonnière ou intermittente
L’administration de traitements médicamenteux avant même l’infection palustre, à base de molécules toxiques pour le Plasmodium dans son stade sanguin chez l’humain, permet de protéger efficacement contre les formes simples et sévères de la maladie. Ces stratégies de chimioprévention ciblent les jeunes enfants, qui n’ont pas encore acquis d’immunité contre le parasite, et les femmes enceintes dont le système immunitaire connait des vulnérabilités transitoires pour tolérer le fœtus. Chez ces dernières, la prophylaxie repose sur un traitement préventif intermittent pendant la grossesse (TPIg), soit l’administration d’un médicament (la sulfadoxine/pyriméthamine) à au moins trois reprises durant la gestation, délivré à l’occasion des visites prénatales à la maternité. « Mais cette stratégie dont l’efficacité a été scientifiquement établie, reste très insuffisamment utilisée en Afrique subsaharienne, où moins de 40 % des femmes reçoivent effectivement les trois doses, explique Valérie Briand, médecin-épidémiologiste dans l’équipe mixte de recherche Global Health in the Global South (GHiGS), au sein de l’UMR Bordeaux Population Health. Pour augmenter la couverture du TPI, nous évaluons, au Mali et au Burkina Faso, un système de délivrance à domicile du traitement, en complément de sa délivrance à la maternité. Il s’agit d’une stratégie intégrée puisque le TPIg est administré par un agent de santé communautaire à l’occasion de la chimioprévention contre le paludisme saisonnier (CPS) destinée à protéger les enfants de moins de cinq ansProjet INTEGRATION, coordonné par l’USTTB, Mali1. »
Dans ces régions sahéliennes, où la transmission du paludisme n’a lieu que pendant la saison des pluies, la prophylaxie pour les petits – une association sulfadoxine/pyriméthamine et amodiaquine – est délivrée sur trois jours consécutifs pendant la période critique par un agent de santé communautaire qui passe dans les foyers. Dans les zones humides équatoriales et subéquatoriales d’Afrique où la transmission dure tout au long de l’année, la protection des enfants repose sur un traitement préventif intermittent.
Pour les nourrissons, l’OMS recommande en effet l’administration d’un TPIn – trois doses de sulfadoxine/pyriméthamine durant la première année de vie, délivrées lors des séances de vaccination du Programme élargi de vaccination (PEV) – mais sans être entendue dans aucun pays en dehors de la Sierra Leone. « Nous évaluons la mise en œuvre, l’efficacité et l’acceptabilité/faisabilité du TPIn ainsi que son extension à la deuxième année de vie de l’enfant au Togo, en Sierra Léone et au MozambiqueProjet MULTIPLY, coordonné par ISGlobal, Espagne https://multiplyipti.net/1, indique la spécialiste. Si l’efficacité et l’acceptabilité de ces interventions sont également établies pour la deuxième année de vie, comme nous l’espérons, elles pourraient prochainement intégrer les recommandations de l’OMS. »
Pour les personnes se déplaçant vers les zones d’endémie palustre, n’ayant donc pas d’immunisation acquise, un schéma prophylactique couvrant le temps du séjour puis la fin du cycle d’un potentiel parasite dans l’organisme, est nécessaire.
Moustiquaires imprégnées, aspersion domiciliaire
Réduire le nombre de piqûres de moustiques est une idée simple et efficace pour éviter l’infection liée à la transmission du parasite d’un hôte infecté vers un sujet sain. En ce sens, la lutte antivectorielle permet tout à la fois de limiter les contacts directs entre humains et vecteurs, la densité de la population de moustiques et la longévité de ces derniers, car les plus dangereux en termes de contamination sont les femelles âgées. En effet, une dizaine de jours après qu’elles aient été infectées en piquant un sujet porteur du Plasmodium, le parasite s’est développé dans leur système digestif et peut contaminer un nouvel hôte (voir encadré Longévité, transmission et technos high-tech). La première méthode de prévention antivectorielle actuellement recommandée est l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticide pour protéger le couchage. Car Anopheles gambiae, le principal vecteur de Plasmodium falciparum, pique préférentiellement la nuit et à l’intérieur des maisons. Développés par une équipe de l’IRD au Burkina Faso en 1983, adoptés par l’OMS et massivement diffusés dans le monde avec l’appui du Fonds mondial de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme, ces dispositifs de protection domestiques ont prouvé leur grande efficacité. Une étude a ainsi établi qu’on leur devait 68 % de la baisse des infections palustres, ce qui a conduit à un recul significatif de la mortalité associée à la maladie, passée de 1,8 millions de morts par an au tournant du siècle à 400 000 pour remonter à plus de 600 000 de nos jours.
« Comme l’aspersion intra-domiciliaire – la deuxième méthode de protection antivectorielle recommandée par l’OMS –, les insecticides utilisés sont des pyréthrinoïdes, qui présentent l’avantage de ne pas s’accumuler dans l’environnement », explique Fabrice Chandre, entomologiste médical dans l’UMR Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle (MIVEGEC). Cette intervention consiste à déposer de l’insecticide sur les murs intérieurs des maisons afin que les moustiques qui s’y posent, avant ou après leur repas de sang, soient empoisonnés. La méthode a très bien fonctionné et contribué à l’éradication du paludisme dans certains pays, mais pas en Afrique.
D’autres méthodes existent ou sont en cours de développement pour restreindre la pression vectorielle à proximité des lieux de vie et protéger les populations exposées : l’assainissement des gites larvaires, l’usage de produits répulsifs ou à l’inverse le piégeage en utilisant des attractants comme le dioxyde de carbone (CO2) ou l’acide lactique.
« Enfin, nous menons des travaux d’ethnobotanique en Côte d’Ivoire, pour évaluer l’intérêt de substances d’origine végétale utilisées localement pour éloigner les moustiques, indique le scientifique. Il y a peut-être dans ces savoirs-là un moyen de prendre le dessus sur le vecteur ! »
Pistes immunologiques
Puisque la plupart des sujets vivant en zone d’endémie palustre acquièrent une certaine immunité avant l’âge adulte – qui les protège contre de fréquents épisodes et contre la forme sévère de la maladie –, l’idée de stimuler les processus immunitaires pour protéger enfants est femmes enceintes parait intéressante. « Il s’agit de comprendre les interactions entre l’hôte humain et le parasite pour développer un vaccin. Mais la problématique est très complexe, prévient Adrian Luty, parasitologue, spécialiste en immunologie des maladies infectieuses dans l’UMR Mère et enfant en milieu tropical : pathogènes, système de santé et transition épidémiologique (MERIT). Car contrairement à un virus ou une bactérie qui n’ont que quelques gènes et donc autant de cibles vaccinales, Plasmodium est un eucaryote, unicellulaire, avec un noyau qui contient toute l’information génétique sous forme d’ADN. Et celui-ci va coder pour plus de 5 000 protéines, qui peuvent être impliquées dans l’infection des êtres humains. Donc il y a potentiellement plus de 5 000 cibles, sans compter le fait que le parasite passe par quatre stades (voir encadré Le cycle complexe de Plasmodium) dans l’organisme de l’hôte humain, avec différentes protéines exprimées à chaque stade. »
Et pour complexifier plus encore le problème, il existe des polymorphismes, c’est-à-dire des souches variées du parasite, lesquelles n’expriment pas toujours les mêmes variants de différentes molécules. Et c’est justement cette variété qui est en majeure partie responsable du faible taux de protection des vaccins développés jusqu’ici, y compris le fameux RTS,S récemment recommandé par l’OMS et qui ne parvient à protéger que 30 à 40 % des enfants vaccinés pour une durée relativement courte.
Des antigènes prometteurs
Pour parvenir à développer des vaccins, les scientifiques se sont lancés dans un travail de longue haleine visant à identifier, parmi les 5 000 protéines exprimées par Plasmodium, des antigènes cibles. Ces molécules produites par le parasite sont susceptibles d’engendrer une réponse du système immunitaire notamment sous forme d’anticorps qui peuvent bloquer l'invasion des cellules hôtes (hépatocytes ou érythrocytes) par les parasites. Les anticorps produits contre les antigènes candidats vaccins peuvent également participer au contrôle du Plasmodium en interagissant avec des cellules immunitaires tels que les monocytes ou les neutrophiles.
La mise en place de cohortes groupe constitué pour une étude épidémiologiqued’individus exposés naturellement au paludisme permet d’observer au fil du temps l'apparition des infections palustres chez les participants et d’étudier les facteurs de risque ou de protection du paludisme. Les cohortes mises en place par MERIT au Sénégal et au Bénin intégrant des suivis parasitologique et clinique très précis des enfants constituent un outil de choix pour étudier le rôle protecteur des anticorps spécifiques d’antigènes plasmodiaux et identifier les antigènes candidats vaccins les plus prometteurs dans des conditions naturelles d’exposition. « Les protéines GLURP (pour glutamate-rich protein), MSP (merozoite surface protein)1, MSP2, MSP3 ou AMA(Apical Membrane Antigen) 1, qui interviennent dans le stade sanguin du cycle humain du parasite, sont des cibles prometteuses, indique David Courtin, biologiste moléculaire à MERIT. Elles ont déjà prouvé leur efficacité in vitro, ont passé les étapes précliniques et certaines sont en phase d’essai clinique. ». Malgré les obstacles, la quête de vaccin pour protéger les jeunes continue. En outre, à la faveur de leur étude de cohorte, les scientifiques ont établi l’impact négatif des coïnfections par d’autres parasites tropicaux – aux schistosomes de la bilharziose Deuxième endémie parasitaire tropicale après le paludisme, responsable annuellement de 280 000 décèsnotamment –, qui réduisent les réponses anticorps spécifiques d’antigènes candidats vaccins, ce qui pourrait accroitre la vulnérabilité des enfants au paludisme. Des recommandations pourraient être émises pour un déparasitage contre les infections helminthiques avant l’administration d’un vaccin antipaludique pour en améliorer l’efficacité.
Vacciner contre la forme gestationnelle
Si la forme gestationnelle de la maladie représente déjà un danger pour les femmes enceintes, elle est aussi un véritable défi sanitaire en matière de néonatologie et de pédiatrie. Cette forme de la maladie est liée aux interactions entre les globules rouges infectées par le Plasmodium et une protéine spécifique du placenta. Elle passe souvent inaperçue parce qu’asymptomatique, mais l’infection du placenta par le parasite provoque un retard du développement du fœtus, en restreignant les échanges avec la mère durant la vie intra-utérine, et aboutit à un déficit pondéral du nourrisson. Le faible poids à la naissance constitue, en Afrique subsaharienne, le principal facteur de risque de mortalité au cours de la première année de vie. En outre, l’exposition in utero au paludisme pourrait affecter les futures capacités immunitaires de l’enfant à naitre contre cette maladie. « Après avoir décrypté les mécanismes moléculaires à l’œuvre et isolé une protéine induisant une réponse immunitaire, nous avons développé un vaccin spécifique à la forme gestationnelle du paludisme, raconte Adrian Luty, qui participe à l’aventure au sein d’un consortium scientifique regroupant des équipes béninoises, françaises, allemandes et danoise. Administrée aux jeunes filles nullipares, il protégera, le moment venu, leur première grossesse. »
Car le paludisme gestationnel affecte essentiellement les primipares, les femmes acquérant une immunité spécifique au fil des grossesses suivantes. Le vaccin, dont les essais cliniques ont débuté en Allemagne et au Bénin, donne des résultats prometteurs. «Mais là aussi, comme pour le vaccin RTS,S, il faudra sûrement songer à développer une deuxième version multivalente, intégrant les polymorphismes de la protéine cible, induits par la variabilité du parasite », estime le spécialiste. Une fois au point et diffusé, ce vaccin pourrait annuellement prévenir 50 millions de cas de paludisme gestationnel et sauver beaucoup de nourrissons.
Les scientifiques s’accordent sur l’importance qu’il y aura à développer des vaccins efficaces, intégrant les nombreux polymorphismes du parasite, ainsi qu’à améliorer les connaissances, stratégie et outils de lutte contre le vecteur, et affiner les moyens de chimioprévention pour vaincre le paludisme.
Le cycle très complexe de Plasmodium
Deux hôtes successifs sont nécessaires au cycle de vie du parasite responsable du paludisme : un être humain et un moustique de la famille des Culicidés, sous-famille des Anophélinés.
L’humain contracte le paludisme à l’occasion de la piqûre d’un anophèle femelle infecté, venu faire un repas de sangLes anophèles femelles ont besoin de sang pour nourrir leurs œufs.1. Le moustique injecte avec sa salive les parasites qui sont alors sous forme de sporozoïtes. Ceux-ci restent environ une demi-heure dans la circulation sanguine avant de gagner le foie et de pénétrer dans les hépatocytes. Là, les sporozoïtes croissent et se divisent par mitose pour constituer un schizonte, contenant plusieurs milliers de noyaux. Au bout d’une semaine, le schizonte éclate, libérant plusieurs milliers de mérozoïtes dans la circulation sanguine. Ceux-ci investissent les hématies, évoluent en trophozoïtes, qui croissent et se divisent pour conduire à un schizonte, dont l’éclatement va à nouveau libérer des mérozoïtes qui effectueront de nouveaux cycles érythrocytairesà l’intérieur des globules rouges durant de 24 à 72 heures selon l’espèce de Plasmodium. L’éclatement des schizontes correspond aux accès fébriles caractéristiques de la maladie.
Après plusieurs cycles érythrocytaires, les schizontes donnent naissance aux gamétocytes mâles et femelles, amorçant le cycle sexué. Dès lors, l’anophèle femelle qui pique notre humain absorbe des gamétocytes. Ceux-ci se transforment en gamètes dans l’estomac du moustique. La fécondation entre gamètes donne alors naissance à un œuf mobile qui se transforme en oocyste. Son noyau se divise et, en éclatant, libère de nombreux sporozoïtes qui gagnent les glandes salivaires, prêts à infecter un humain. Ce cycle sexué dure de 10 à 40 jours selon la température et l’espèce de Plasmodium, soit 12 jours pour Plasmodium falciparum en Afrique tropicaleLe cycle de P. falciparum est interrompu si la température moyenne est inférieure à 18°C.1.
Enfin, Plasmodium vivax et Plasmodium ovale sont capables de rester sous une forme dormante dans les hépatocytes, et de provoquer des regains de la maladie des mois ou des années plus tard.
Un Plasmodium, des Plasmodium
Plasmodium, le parasite responsable du paludisme n’est pas qu’un… Dans ce genre de protozoaires, cinq espèces différentes, se distinguant par leur aire géographique et par leur tableau symptomatique, sont capables d’infecter l’humain :
Plasmodium falciparum, est à la fois le plus répandu et le plus dangereux. Il est responsable de la plupart des cas mortels. Il est prépondérant en Afrique, où il représente l’immense majorité des affections. Toutefois, cette place importante pourrait justement minorer, ou masquer, celle d’autres espèces moins spectaculairement pathogène. En Asie, il représente moins de la moitié des cas de paludisme.
Plasmodium vivax est très présent en Amérique centrale et du sud où il cause les trois quarts des cas de paludisme. Moins virulent que P. falciparum, il peut néanmoins entrainer la mort. Il peut rester des années dans le foie après le premier accès palustre, sous forme dormante, avant de ressurgir en provoquant à nouveau des symptômes.
Plasmodium ovale sévit en Afrique de l’Ouest. Il provoque des formes modérées de paludisme et possède, comme P vivax, une forme dormante.
Plasmodium malariae est réparti sur tout le globe, mais il ne provoque que des accès palustres bénins.
Plasmodium knowlesi se trouve assez couramment en Asie du Sud-Est chez les macaques. Il infecte l’humain depuis quelques décennies. Également transmis par l’anophèle, il provoque un paludisme potentiellement grave et cause jusqu’à 70 % des cas dans certaines zones.
Interrompre la transmission
Faute de disposer d’un vaccin efficaceLe vaccin RTS,S, recommandé par l’OMS, est efficace à 30 % seulement. Au-delà de cette faible performance, il peut en outre susciter un effet de compensation de risques, c’est-à-dire faire considérer les enfants vaccinés comme protégés, alors que seuls trois sur dix le sont effectivement.1, qui permettrait d’empêcher l’infection palustre, et en complément de celui-ci quand il verra enfin le jour, deux voies existent pour bloquer la transmission du paludisme et éliminer la maladie : se débarrasser du vecteur et purger les réservoirs humains de parasites. Des recherches entomologiques, des stratégies antivectorielles et des campagnes locales de traitement antipaludique, massives ou ciblées, ouvrent des perspectives prometteuses en la matière. Combinées aux actions visant à protéger et soigner les populations exposées, certaines de ces interventions ont d’ores et déjà permis d’éliminer le paludisme dans des régions du globe où il faisait des victimes il y a quelques années encore. L’Argentine, le Paraguay, la Chine ou l’Algérie, par exemple, en sont récemment venus à bout. Des initiatives menées en ce sens en Afrique obtiennent des résultats encourageants, au Sénégal et en Ouganda notamment.
Traquer le moustique
« La lutte antivectorielle est un moyen efficace pour restreindre, voire interrompre le nombre de piqûres infectantes, et donc la transmission du paludisme d’un sujet infecté à une personne saine, indique Fabrice Chandre, entomologiste à MIVEGEC. Il s’agit de réduire la densité de vecteurs, le contact entre humains et vecteurs mais aussi d’abréger la longévité de ces derniers. » En effet, les femelles anophèles les plus dangereuses sont les plus âgées, car le parasite doit se développer une dizaine de jours dans le moustique avant de pouvoir être transmis à la faveur d’un repas de sang (voir encadré Le cycle très complexe de Plasmodium).
Les techniques visant à éliminer les vecteurs du paludisme sont nombreuses. Certains pays du Nord y sont ainsi parvenus il y a plus d’un siècle par des mesures d’assainissement des zones marécageuses propices au développement des moustiques. L’élimination s’est aussi appuyée sur le déploiement de mesures de protection, des campagnes de démoustication chimique, ou de lutte biologique en utilisant des poissons larvivores dans les gites larvaires permanents ou semi-permanents. Très récemment, de la lutte génétique, visant à relâcher des anophèles mâles modifiés avec un gène entrainant une descendance stérile, est envisagée, mais elle se heurte encore à des obstacles éthiques.
Dans les zones d’endémie du paludisme, la généralisation de l’usage des moustiquaires imprégnées depuis une vingtaine d’années devrait avoir une forte influence sur la population des moustiques vecteurs. En leur empêchant l’accès aux repas de sang – indispensable aux femelles pour fabriquer leurs œufs –, ces dispositifs pourraient suffisamment restreindre leur densité pour les mettre en péril. Mais il n’en est rien. Disposant d’une formidable capacité d’adaptation, les moustiques se maintiennent malgré la pression exercée par la lutte antivectorielle autour des hôtes humains en modifiant leurs comportements.
La promesse des endectocides
« Les espèces vectrices majeures montrent une plasticité importante en matière de choix d’hôte pour leurs repas sanguins, en ce sens qu’elles sont capables d’aller se gorger de sang sur les animaux quand l’humain, à l’abri sous sa moustiquaire, n’est pas accessible à la piqûre », explique Karine Mouline, entomologiste à MIVEGEC. Ainsi, dans certaines zones, par exemple au sud-ouest du Burkina Faso, plus de 50 % des vecteurs du paludisme capturés dans les maisons se sont aussi gorgés sur du bétail, porcs, moutons ou chèvres, mais surtout sur des bovins. Pour cibler ces moustiques ubiquistes, les spécialistes de la lutte antivectorielle ont eu l’idée de traiter le bétail avec de l’ivermectine.
Cette molécule est massivement utilisée en santé vétérinaire pour détruire toute sorte de parasites, nématodes gastro-intestinaux notamment. Elle est également employée en médecine humaine depuis plus de trente ans pour soigner les populations affectées par les filarioses lymphatiques et l’onchocercose, des maladies parasitaires présentes dans les régions tropicales. Et elle a prouvé son efficacité endectocide Qualité d’un traitement antiparasitaire actif à la fois sur les parasites internes et sur les parasites externescontre le vecteur du paludisme. « En l’administrant aux bovins, nous avons montré que le repas de sang pris par les anophèles sur les bovins affecte significativement leur survie pendant trois semaines, précise-t-elle. Sur le terrain, cela pourrait entraîner une diminution des populations de vecteurs. Cependant, cette diminution ne serait que temporaire, ce qui n’aurait pas d’impact épidémiologiquement parlant. » En association avec une entreprise spécialisée, les scientifiques ont alors développé une formulation d’ivermectine injectable à longue durée d’action basée sur des bio-polymères. La concentration d’ivermectine libérée et la durée d’action peuvent être modulées. Ainsi, des expériences ont été réalisées en utilisant des formulations durant six mois ou plus. Et, même si le paludisme n’affecte pas les bovins, les éleveurs y trouvent leur compte, car les animaux durablement déparasités grossissent mieux et se reproduisent plus.
Logiquement, les scientifiques travaillent maintenant à développer une formulation humaine d’endectocide à longue durée d’action, basée aussi sur les biopolymères et l’ivermectine. Les premiers sont déjà utilisés pour d’autres médicaments actuellement en essai de phase 3Réalisés sur un un grand nombre de malades volontaires, les essais cliniques de phase 3 ont pour objectif de prouver l'efficacité thérapeutique d’un nouveau traitement, d'identifier les effets indésirables et d'évaluer le rapport bénéfice/risque à court et moyen termes et l’ivermectine a fait l’objet, et aujourd’hui encore, de nombreuses campagnes de distribution à grande échelle en santé humaine. Les essais de phase 1, établissant l’innocuité de la formulation auront lieu sous peu en Europe. Les essais ultérieurs visant à confirmer son efficacité face au vecteur sauvage du paludisme seront menés en zone d’endémie en Afrique.
« Avec cette formulation, l’espoir est grand de pouvoir diminuer drastiquement les densités d’anophèles, et donc la transmission du Plasmodium. Plusieurs campagnes de traitements successives pourront être réalisées là où le profil épidémiologique le nécessite », estime Karine Mouline.
L’éradication du vecteur du paludisme, objectif à atteindre pour interrompre la transmission de la maladie, n’entrainerait pas une catastrophe écologique, selon les spécialistes : « Il y a 3 600 espèces de moustiques, parmi lesquelles 100 à 200 seulement sont capables de transmettre des agents pathogènes à l’être humain – parasites ou virus, indique Fabrice Chandre. Ce n’est qu’une fraction de la diversité des moustiques, et la place laissée vacante dans les écosystèmes par les espèces vectrices éliminées avec la lutte antivectorielle pourrait dans certains cas être rapidement investie par des espèces non-vectrices. »
Débusquer le parasite
Une autre alternative, pour interrompre la transmission, est d’assécher les réservoirs de parasites. Ça pourrait même être une nécessité pour aller plus loin dans la maitrise de la maladie. « Depuis quatre ou cinq ans, les rapports de l’OMS montrent que les résultats obtenus contre le paludisme ne progressent plus. Cette stagnation, sinon régression, prouve que la lutte par les moyens actuels ne suffit pas, affirme Gilles Cottrell, épidémiologiste à MERIT. Les méthodes essentiellement basées sur le traitement des cas, le diagnostic et la prévention avec la moustiquaire imprégnée et les insecticides intra-domiciliaires ont porté leurs fruits, mais elles butent maintenant sur l’existence d’un réservoir de porteurs asymptomatiques. »
Les nouveaux outils de détection du Plasmodium par PCR ont en effet montré qu’une partie de la population dans les régions endémiques est infectée par le parasite sans avoir de signes cliniques. Non affectés par la maladie, ces porteurs sains ne se présentent logiquement pas pour se faire dépister et traiter. Mais, en dépit de leur faible charge parasitaire, ils peuvent infecter les moustiques qui les piquent et contribuer ainsi à propager le paludisme malgré la mise en œuvre des stratégies de lutte. « On sait même maintenant que la partie diagnostiquée à travers les cas symptomatiques était la partie émergée de l’iceberg, indique-t-il. Selon les profils épidémiologiques – paludisme saisonnier ou non, région de forte ou faible transmission –, les recherches ont montré que 60 à 90 % des personnes infectées développent des formes asymptomatiques. »
Porteurs asymptomatiques
Pour autant, le rôle de ces porteurs sains dans la transmission de la maladie est encore à l’étude. Au Bénin, une cohorte de sujets infectés asymptomatiques est suivie tous les mois. En mesurant leur charge parasitaire et en contrôlant la souche des parasites qui les infectent, les scientifiques de MERIT, de l’Institut de recherche clinique du Bénin, de l’université d’Abomey-Calavi et du Centre de recherche en entomologie de Cotonou s’emploient à comprendre la durée de leur infection asymptomatique. « Les études menées jusqu’à maintenant montrent que même si les porteurs sains sont moins contagieux du fait de leur faible parasitémie, ils ont un poids important dans la transmission globale du fait de leur grand nombre », estime Gilles Cottrell. Cela pourrait être le cas au Sénégal oriental, dans le triangle situé entre les villes de Tambacounda, Kédougou et Kolda. « Malgré un intense recours à des stratégies de lutte à efficacité prouvée dans la région, il y a une forte persistance du paludisme, indique Elhadji Bâ, épidémiologiste à VITROME. Nos travaux de suivi de la population visent à évaluer la place et le rôle des porteurs asymptomatiques dans la dynamique épidémiologique de cette zone rouge de la transmission. »
La mise en évidence de ce « réservoir humain invisible » dans les populations soulève à la fois des questions techniques et de mobilisation des individus. Il faut parvenir à déployer des tests moléculaires très sensibles pour déceler des niveaux parasitaires parfois infimes. Et il faudra aussi convaincre des sujets bien portants de se faire dépister et traiter dans l’intérêt de tous.
Cibler le réservoir invisible
Pour réduire la proportion de porteurs asymptomatiques dans la population – en espérant que ça aura un impact significatif sur la transmission, les scientifiques tentent des interventions médicamenteuses visant à détruire le parasite. « Deux stratégies sont envisageables, soit dépister en masse la population avec des tests suffisamment sensibles pour détecter les porteurs asymptomatiques et les traiter spécifiquement, soit traiter en masse toute la population exposée », explique Jordi Landier, épidémiologiste à SESSTIM. Un essai pilote est en cours actuellement sur ce second modèle dans la région de Tambacounda, au Sénégal avec l’université de Thiès et le programme national de lutte contre le paludisme au Sénégal.
« En juin, août et septembre 2018, nous avons administré à toute la population de 30 villages un traitement curatif qui les protège du paludisme, raconte Elhadji Bâ, de VITROME, investigateur de cet essai. C’est l’extension à tous les habitants d’une forme de chimioprévention saisonnière (CPS) normalement réservée aux enfants. On parle alors d’administration de masse de médicaments (AMM). D’autres localités témoins n’ont reçu que la chimioprophylaxie habituelle, à savoir la CPS ciblée sur les enfants. » L’objectif de cet essai qui a été mis en œuvre avant la reprise de la transmission (fin de saison sèche) est de diminuer le nombre de porteurs et surtout éliminer les gamétocytes – la forme du parasite transmissible au moustique – pour empêcher la transmission lors de la saison des pluies, quand les vecteurs pulluleront à la faveur des flaques propices à la ponte.
Fenêtre d’opportunité saisonnière
Au-delà de réduire la transmission à la saison des pluies dans les régions où l’épidémiologie répond à un schéma saisonnierC’est le cas en Afrique sahélienne ou en Asie du Sud-Est, mais ni dans le golfe de Guinée ni en Afrique centrale 1 comme le fait cet essai, les scientifiques planchent aussi sur une autre approche. « Pendant la saison sèche, le parasite est à l’abri chez les porteurs humains asymptomatiques, en attendant la saison où les vecteurs lui permettront d’investir d’autres hôtes, indique Jordi Landier. Il y a là un goulet d’étranglement, un moment de vulnérabilité dans le cycle parasitaire : le Plasmodium est en faible quantité chez beaucoup moins d’hôtes qu’aux autres saisons et sa circulation est limitée par le faible nombre de moustiques. » Cette fenêtre d’opportunité pourrait permettre de l’éradiquer dans une zone, soit en traitant tout le monde soit en dépistant et traitant les porteurs sains, au bon moment.
Enfin, il existe un traitement qui bloque la transmission du parasite d’un sujet infecté vers le moustique vecteur. Cette molécule, la primaquine, ne soigne pas les symptômes du paludisme. Mais sa prescription est recommandée par l’OMS en association avec les autres traitements, pour entraver autant que possible la transmission de la maladie.
Il y a donc des outils et des stratégies très concrètes visant à s’attaquer au vecteur et au parasite. Les avancées en la matière permettent d’espérer raisonnablement prendre le contrôle de la transmission de la maladie à moyen terme, si toutefois les investissements ne se concentrent pas uniquement sur les approches immunologiques.
La saga des traitements
À l’heure où sont menés des essais cliniques de trithérapies, pour remplacer les bithérapies qui pourraient être dépassées tôt ou tard, l’histoire des traitements du paludisme est déjà bien longue. La quinine, extraite de l’écorce d’un arbre que mâchent les Indiens pour traiter la fièvre est connue de façon ancestrale en Amérique du Sud. Apportée en Europe par les missionnaires jésuites en 1660, elle est diffusée à prix d’or sur le vieux continent où le paludisme sévit encore. En 1870, son principe actif est identifié par Joseph Pelletier et Joseph Bienaimé Caventou, deux pharmaciens français. Les Hollandais quant à eux organisent à Java la culture du quinquina, l’arbre dont l’écorce contient la quinine et cette production suffira aux besoins croissants, jusqu’à ce que l’île tombe aux mains des Japonais. Les laboratoires s’emploient alors à développer une molécule antipaludique de synthèse, élaborant successivement de 1930 à 1950 la pamaquine, la quinacrine, la chloroquine, l'amodiaquine, la primaquine, la pyriméthamine, le chlorproguanil et le proguanil. La chloroquine, efficace en traitement curatif comme en préventif, bon marché et avec peu d’effets indésirables, sera finalement le traitement le plus utilisé. Mais des résistances apparaissent dès les premières années, en Amazonie et en Asie d’abord, et bien plus tard en Afrique. Comme alternative, on utilise alors l'association sulfadoxine – pyriméthamine (commercialisée sous le nom Fansidar®). Dans les années 1980 sont introduites deux autres molécules de synthèse proche de la quinine, la méfloquine (Lariam®), puis l'halofantrine (Halfan®), mais leur efficacité décroit rapidement. En 1973, une nouvelle molécule est isolée à partir du qinghao (nom vernaculairenom communément et usuellement donné à une espèce, et généralement employé seulement dans son pays d’origine chinois d’Artemisia annua), une herbe utilisée en Chine depuis plus de 1 500 ans. Son principe actif, l’artémisinine (appelée également qinghaosu) permet d’élaborer dans les années 1990 plusieurs dérivés, l’artésunate, le dihydroartémisinine, l’artéméther, très efficaces contre le paludisme et notamment les formes graves de la maladie. Ces médicaments sont désormais utilisés en association avec une ou deux autres molécules antipaludiques de mécanismes d’action différents, pour limiter la sélection de parasites résistants. Ils constituent aujourd’hui les seules solutions thérapeutiques contre l’infection à Plasmodium falciparum dans la plupart des zones endémiques.
Accompagner les changements
La lutte contre le paludisme, à l’instar de nombreux autres enjeux scientifiques contemporains, s’inscrit dans un contexte fortement marqué par le changement. Les spécialistes qui travaillent à vaincre ce fléau, doivent composer avec des éléments, des conditions, des objets de recherche en pleine mutation. Du fait de l’activité anthropique, de ces conséquences environnementales ou de la grande plasticité génétique du parasite et de son vecteur – et de l’incroyable adaptabilité comportementale de ce dernier –, les situations sont rarement stables. Il faut donc imaginer des solutions et des approches prenant en compte toujours, et anticipant souvent, ce qui est en train ou ne saurait tarder à se produire. Une véritable science de l’agilité.
Saisonnalité épidémiologique et climat
L’eau joue un rôle majeur dans la dynamique épidémiologique du paludisme puisqu’elle influence la reproduction du moustique vecteur. Selon les conditions climatiques et environnementales propres à chaque région, celui-ci trouve des gites propices à la ponte dans les flaques pluviales temporaires ou dans des points d’eau à l’existence pérenne. L’hygrométrie détermine donc la saisonnalité ou, au contraire, la permanence de la transmission dans une zone. Logiquement, le changement climatique, et les variations pluviométriques qui l’accompagnent, vont affecter l’épidémiologie et devront guider les stratégies de lutte contre la maladie. « Ainsi, la mare d’Agofou, au nord du Mali, est un exemple caractéristique de l’impact du changement climatique sur le paludisme, raconte Jean Gaudart, médecin de santé publique et statisticien à SESSTIM. Naguère temporaire, remplie par les pluies et asséchée par l’infiltration vers les nappes, elle a vu sa dynamique changer profondément. La sécheresse et les violentes précipitations que connait la région depuis plusieurs années ont érodé les sols jusqu’à laisser apparaitre des argiles imperméables. L’eau s’est accumulée, rendant la mare permanente, fournissant des gites larvaires aux moustiques tout au long de l’année, et modifiant radicalement le faciès épidémiologique local du paludisme. »
Ailleurs, ce sont les inondations, elles aussi liées au bouleversement du régime des précipitations, manifestations caractéristiques du changement climatique, qui bouleversent la dynamique du paludisme. C’est le cas en Afrique du Sud, par exemple, où la multiplication d’événements pluviométriques extrêmes, générateur de grandes quantités d’eaux stagnantes, s’est accompagnée de pics épidémique de paludisme.
Plasmodium fait de la résistance
Contrairement à l’évolution du climat dont les effets se font sentir depuis quelques décennies seulement, l’émergence de résistances du parasite responsable du paludisme aux traitements médicamenteux est une histoire ancienne. Le mécanisme d’apparition est à rapprocher de la grande variabilité génétique de Plasmodium falciparum et de l’importante utilisation des traitements : il suffit que quelques parasites – porteurs de mutation(s) spécifique(s) – survivent au traitement censé les tuer, puis soient diffusés par les vecteurs... Les résistances de P. falciparum détectées en Afrique sont soit apparues en Asie du Sud-Est d’où elles se sont propagées jusqu’en Afrique – comme celles à la chloroquine ou à la pyriméthamine –, soit apparues localement comme c’est le cas récemment pour les dérivés d’artémisinine.
En Amérique du Sud et centrale, en Océanie et en Inde, elles sont essentiellement le résultat de phénomènes autochtones. De fait, nombre des traitements développés depuis 150 ans pour soigner ou prévenir le paludisme ont perdu successivement de leur efficacitéCertains toutefois, comme artéméter-luméfantrine, restent pleinement efficaces.1 parce qu’ils rencontraient des souches de parasites devenues résistantes. Face à cette menace permanente, des études scientifiques sont menées sans relâche pour contrôler l’efficacité des traitements employées.
Souches voyageuses
Ces résistances auraient pu rester circonscrites à leur région d’apparition. Mais les gens voyagent désormais en quelques heures ou quelques jours, pour travailler, commercer, étudier ou simplement pour le tourisme ; ils emportent avec eux, dans leur organisme même, des souches résistantes. Et à destination, les piqûres des moustiques locaux se chargeront de diffuser le parasite dans cette nouvelle contrée. Les souches de Plasmodium falciparum résistantes à la chloroquine et à la pyriméthamine ont ainsi été importées en Afrique à la faveur de circulations intercontinentales de voyageurs.
Mais les spécialistes n’entendent pas se laisser prendre de court : « Nous testons d’ores et déjà des trithérapies en prévision du moment où les bithérapies actuelles deviendraient trop inefficaces, indique Jérôme Clain, biologiste à MERIT. Il s’agit en fait d’ajouter aux bithérapies employées aujourd’huiArthemeter + luméfantrine1, une autre molécule ou un médicament déjà éprouvés contre le parasiteAtovaquone-Proguanil1. » L’essai cliniqueEssai ASAAP (Artésumate-amodiaquine-atovaquone project)1, qui a démarré au Gabon et au Mali et prochainement au Ghana et au Bénin, ne vise pas à découvrir un traitement révolutionnaire, mais tout simplement à gagner quelques années dans la course de fond contre la résistance du parasite aux médicaments. Motivées par ce même objectif pragmatique, d’autres équipes dans le monde évaluent aussi en ce moment des trithérapies alternatives en Asie et en Afrique, tandis que d’autres encore évaluent de nouvelles bithérapies.
Plasticité génétique
Selon les mêmes mécanismes de sélection des caractères permettant la survie, le vecteur du paludisme développe des résistances aux produits insecticides utilisés pour le détruire. « Les anophèles ont un génome en constante évolution, via notamment l’existence de mécanismes d’inversions chromosomiques qui leur octroient un grand polymorphisme génétique. Ainsi, il y a production à chaque génération de nombreux potentiels d’adaptation aux changements, et de résistance aux outils de lutte, explique Karine Mouline, entomologiste à MIVEGEC. Face aux insecticides, différents modes de résistance sont reportés : physiologique (surexpression d’enzymes de détoxication, mutations de la molécule cible de l’insecticide, épaississement de la cuticulePartie superficielle de l’exosquelette des arthropodes…) ou comportemental (modification des horaires et des lieux de piqûre pour atteindre l’homme lorsqu’il est hors de sa moustiquaire, plasticité phénotypique permettant de se nourrir sur des hôtes alternatifs à l’homme comme les animaux d’élevage…). »
De fait, le génome de l’anophèle africain présente un polymorphisme génétique deux fois plus élevé que celui des populations de mouche drosophile du continent, et dix fois plus élevé que celui d’Homo sapiens ! Mais en plus il existe au niveau de certains gènes une perméabilité entre les diverses populations d’anophèles. Elle permet à des caractères de passer de l’une à l’autre, à l’occasion de rencontres reproductives entre leurs membres. Cela explique que des mutations conférant des résistances à certaines molécules chimiques utilisées pour lutter contre ce vecteur, peuvent se propager dans des groupes d’insectes distincts, et rapidement d’un bout à l’autre du continent… Et si la lutte antivectorielle chimique ne s’adapte pas en permanence aux évolutions à l’œuvre sur le terrain, des résistances apparaissent au bout de deux ou trois ans. Cela oblige les scientifiques à étudier en permanence l’émergence d’adaptations du moustique.
Vecteur transformiste
Mais c’est par son comportement que l’anophèle n’en finit pas de surprendre les spécialistes. Ce moustique sauvage, naguère rural, confiné aux marais, aux clairières, aux abords des champs et des villages, n’infeste plus seulement les campagnes. Il est maintenant bien présent dans les grandes villes d’Afrique comme Lagos, Kinshasa ou Bangui. Puisant dans sa formidable variété génétique, le vecteur du paludisme est parvenu à s’adapter aux nouvelles conditions de vie des humains : il se reproduit désormais dans des eaux polluées, typiques des flaques stagnantes des villes, alors qu’ils ne pouvaient jusqu’ici pondre que dans de l’eau claire. À cette adaptation spatiale, qui lui permet de se gorger aussi du sang des citadins, viennent s’ajouter des changements temporels de ses habitudes. Des travaux ont ainsi montré qu’il a étendu sa période de prédation pour contourner les mesures de prévention domestiques. Il ne pique plus seulement la nuit, quand les gens sont sous leur moustiquaire, mais également le soir et au petit matin. Ce qui complique singulièrement la protection des populations. Des études récentes, à Libreville et Bangui, établissent même que l’anophèle vecteur a une activité diurne assez soutenue.
« Si la majorité des piqûres a lieu entre le crépuscule et l’aube à l’intérieur des maisons, 20 à 30 % surviennent en journée, toujours à l’intérieur, indique Diego Ayala, entomologiste médical et spécialiste de biologie évolutive à MIIVEGEC. Et les moustiques diurnes ont des taux d’infection à Plasmodium falciparum comparables à ceux qui agissent de nuit. » Cela suggère que les piqûres reçues en journée pourraient représenter une part substantielle des infections au paludisme. Les scientifiques réfléchissent déjà à l’extension des mesures de protection antivectorielle : « L’aspersion intra-domiciliaire, qui consiste à appliquer des insecticides à longue durée d’action sur les murs intérieurs des habitations, pourrait être étendue aux écoles pour mieux protéger les enfants, premières victimes du paludisme», estime le chercheur.
Facteurs anthropiques
La lutte contre le paludisme doit aussi prendre en compte l’impact direct des activités humaines, les comportements face au risque et l’évolution des modes de vie des populations exposées. Ainsi, les efforts développés pour nourrir toujours plus d’habitants ou obtenir des produits d’exportation ont des conséquences sur la dynamique de la maladie. Les aménagements agricoles irriguées, la riziculture, les plantations de culture de rente transforment profondément les paysages et le contexte hydrologique. Ce faisant, en créant des gites larvaires pérennes pour les anophèles, ils bouleversent souvent le faciès épidémiologique local de la maladie et doivent être accompagnés de mesures de lutte et de prévention adaptées. De même, l’implantation de cultures maraichères dans les agglomérations, pour nourrir les citadins, contribue à maintenir une certaine pression urbaine du vecteur, dont il faut tenir compte.
Par ailleurs, les comportements des populations exposées peuvent eux aussi influer significativement sur la transmission du paludisme. Les mesures de protection antivectorielle doivent ainsi être adoptées et utilisées régulièrement pour être efficaces. Des travaux ont montré que l’usage des moustiquaires imprégnées, même distribuées gratuitement ce qui est le cas à peu près partout, ne va pas forcément de soi. Et même pour ceux, majoritaires, qui l’ont adopté, il existe des circonstances où ils ne s’y soumettent pas malgré les risques d’infection que cela suppose, notamment quand il fait trop chaud pour dormir dans son lit.
Des recherches portent également sur des changements sociaux et économiques qui jouent un rôle sur l’épidémiologie de la maladie. « Les mouvements brutaux de population consécutifs à des troubles, comme en connaissent les pays sahéliens avec la crise politico-militaire de ces dernières années, se traduisent souvent par une modification de la carte épidémiologique ; les acteurs de la lutte contre le paludisme doivent s’y préparer », explique Jean Gaudart. De même, les circulations infrarégionales, d’un village à l’autre, migrations de travail, de commerce ou familiales, qui se multiplient avec les modes de vie moins contraints par l’agriculture, intéressent de près les chercheurs. « La question est de savoir en quoi elles contribuent à la circulation du parasite, et si elles peuvent réalimenter le réservoir dans une zone où la maladie est sous contrôle », indique-t-il. Ces facteurs humains plaident en faveur d’une meilleure association des populations à l’effort de lutte : « Un des éléments essentiels à l’avenir, pour parvenir un jour à vaincre le paludisme, c’est d’écouter les gens qui vivent avec au quotidien, estime le spécialiste. Il faut prendre leur avis, mais aussi contribuer à leur apporter des connaissances sur le sujet, à développer des actions éducatives sur la maladie et sa prévention.»
Chantiers nombreux
Finalement, pour les spécialistes de l’IRD et leurs partenaires, le paludisme qui est un problème de santé multifactoriel ne saurait être vaincu en agissant sur un seul levier. Il faut au contraire mobiliser tous les outils et toutes les approches qui ont fait leur preuve. Il s’agit ainsi de développer les systèmes sanitaires des pays concernés, de renforcer l’accès au diagnostic, aux soins de proximité et à la santé communautaire pour les populations exposées au parasite, en s’appuyant notamment sur les programmes nationaux de lutte contre le paludisme.
De même, la prévention des infections, par la lutte antivectorielle domestique – qui est très efficace – et par l’amélioration de la diffusion des traitements prophylactiques, doit être poursuivie et renforcée. Sur le plan scientifique, il y a encore beaucoup à faire. À l’échelle locale, il faut tout à la fois mieux comprendre l’épidémiologie de la maladie, documenter le niveau de connaissance des populations, s’assurer que les traitements curatifs actuels sont toujours efficaces dans la zone, que les diagnostics sont adaptés au contexte parasitaire et suffisamment sensibles, développer et financer des protocoles de prévention adaptés et efficaces, ciblant les groupes exposés de formes graves et tenant compte de l’acceptation des populations... À plus large échelle, il s’agit d’améliorer les traitements et les outils de lutte contre le vecteur et de développer et diffuser des vaccins efficaces.
Pour la plupart de ces experts, vaincre le paludisme est un but atteignable, mais pour y parvenir les chantiers à mener à bien restent nombreux.
Longévité, transmission et technos high-tech
Pas simple d’évaluer la longévité des moustiques dans le milieu naturel. Pourtant, cette donnée est déterminante dans leur capacité à transmettre le paludisme. En effet, un moustique femelle ne deviendra vecteur effectif de la maladie qu’après avoir piqué une personne infectée et que le parasite aura effectué une partie de son cycle de vie dans l’insecte avant de gagner ses glandes salivaires. Toutes choses qui prennent un certain temps – en jours ou semaines – et font que les vieilles femelles d’anophèle sont les plus redoutables. Pour déterminer le temps de vie des moustiques, et donc le danger que représente une population de vecteurs, les scientifiques développent des méthodes très sophistiquées dans le cadre du projet MoVe-ADAPTAdaptation des moustiques vecteurs aux changements globaux, projet ANR impliquant MIVEGEC, l’Institut Pasteur de Dakar et le CEFE (Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive) 1 : « Nous allons suivre le destin individuel de moustiques, capturés sur le terrain à l’état larvaire, caractérisés au plan génétique pour les reconnaitre, ensuite libérés puis recapturés à d’autres étapes de leur existence, explique Carlo Costantini, biologiste à MIVEGEC. Nous utiliserons pour cela l’ADN environnementalTechnique permettant le recensement d’individus ou d’espèces à partir du recueil de leur ADN dans l’environnement pour pister la trace de ces femelles dans les gites larvaires et dans les milieux naturels, d’une certaine manière comme le fait la police scientifique pour traquer les criminels. » Les données recueillies, sur la longévité des vecteurs, permettront à la fois de comprendre la pression de transmission qu’ils représentent et, si leur espérance de vie évolue à la hausse ou à la baisse, l’adaptation des moustiques aux changements globaux.
Carlo Costantini , MIVEGEC (IRD/CNRS/Université de Montpellier)
Immersion sonore dans le programme REACT
Le programme REACTInsecticide resistance management in Burkina Faso and Côte d'Ivoire: research on vector control strategies - Gestion de la résistance aux insecticides au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire: recherche sur les stratégies de lutte anti-vectorielle est conduit au Burkina Faso par les scientifiques de MIVEGEC et leurs partenaires, notamment l'Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS) et le Centre International de Recherche-Développement sur l’Élevage en zone Subhumide (CIRDES).
Contrôle d'identité : moustiques, vos papiers !
Intervenant principal : Nicolas Moiroux, MIVEGEC
Réalisation : David Chatelier
L'ivermectine : C’est pas bête !
Intervenante principale : Karine Mouline, MIVEGEC
Réalisation : David Chatelier
La pulvérisaton intra-domiciliaire, ou les moustiques au pied du mur
Intervenant principal : Cédric Pennetier, MIVEGEC
Réalisation : David Chatelier
Intervenant principal : Cédric Pennetier, MIVEGEC
Réalisation : David Chatelier
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