Fruits oblongues verts tenus dans le bas d'un t-shirt relevé par un enfant

Les enfants collectent des fruits de Kilelambazaha (Passiflora subpeltata Ortega), une espèce de fruit de la passion introduite …et les dégustent !

© Vincent Porcher

Quelles plantes manger à Madagascar ? Les enfants répondent

Mis à jour le 28.04.2023

Les scientifiques de l’unité Savoirs, environnement, sociétés (SENS) de l’IRD à Montpellier, et leurs partenaires espagnols et malgaches, ont exploré la répartition des savoirs sur les plantes sauvages comestibles en fonction du genre et de l’âge chez les Betsiléos, population du plateau central de Madagascar. Des informations cruciales dans une perspective d’adaptation aux changements globaux.

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Les femmes, les hommes et les enfants ont des savoirs différents sur les plantes comestibles à Madagascar. Ce résultat surprenant provient d’une étude menée dans le cadre du projet européen LICCILe Projet européen LICCI (Local Indicators of climate Change Impacts : the contribution of local knowledge to climate change research), financé par le Conseil européen de la recherche, vise à valoriser les savoirs locaux sur la perception du changement climatique. https://cordis.europa.eu/project/id/7710561. Explorer les connaissances locales sur la flore sauvage comestible est indispensable pour plusieurs raisons : connaitre les avantages nutritionnels de ces plantes, réduire les risques liés à la perte d’un savoir écologique-clé et améliorer les efforts de préservation de la biodiversité. Dans ce cadre, la communauté scientifique met en avant un constat inquiétant : les femmes et les enfants ont tendance à être sous-représentés dans les études ethnoécologiques. « Ces deux catégories de populations sont concernées par des problématiques différentes. En règle générale, les enfants étaient jusqu’ici sous-représentés car nous n’avons compris que récemment qu’ils pouvaient constituer un groupe social cohérent, voire autonome du point de vue des pratiques et des connaissances écologiques, groupe social qui ne correspond pas uniquement à celui d’"adultes en devenir". Pour les femmes, elles ont longtemps été exclues compte tenu du rapport de domination homme/femme que l'on retrouve à peu près partout sur la planète. Aujourd’hui encore les femmes sont marginales parmi les anthropologues et comme "objets" d’étude. Mais peu à peu cela change… », précise Stéphanie Carrière, éthno-écologue IRD à l’UMR SENS.

Un site malgache avec une forte diversité botanique

L’équipe de l’IRD de Montpellier et ses partenaires de l’université et du Centre national de recherches sur l’environnement (CNRE) d’Antananarivo à Madagascar ont exploré les connaissances de la flore sauvage comestible chez les Betsiléos, un peuple pratiquant l’agropastoralisme, au sein d’un groupe composé de 22 femmes, 20 hommes, 22 filles et 18 garçons. 

Répartition de la végétation en fonction de l’altitude dans la vallée de Namoly

© Vincent Porcher

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Le territoire choisi, la vallée de Namoly, situé au sud-est de l’île, s’étale de 1 400 à 2 600 mètres d’altitude. « Nous avons pris en compte l’accessibilité du site et sa diversité écologique qui allait être synonyme de diversité des savoirs. La vallée de Namoly, grâce à sa topographie, est un carrefour d’écosystèmes très diversifiés », indique Vincent Porcher, doctorant à l’UMR SENS. Au total, 117 espèces de plantes sauvages comestibles ont été répertoriées dont 57 d’herbacées, 27 d’arbres, 19 d’arbustes et enfin, 14 de plantes grimpantes. Presque la moitié des espèces étaient introduites, le reste étant, à parts égales, des espèces endémiques Que l’on ne retrouve qu’en un seul territoireet des espèces nativesNon apportées par les humains

Des connaissances différentes en fonction de l’âge et du genre

L’étude confirme que les savoirs en plantes sauvages comestibles diffèrent considérablement selon le genre et la période de la vie. « Nous avons fait énumérer librement à chaque participant toutes les espèces qu’ils connaissaient. Ensuite, nous avons croisé ces données avec des informateurs-clés – des Betsiléos reconnus pour leur grande connaissance sur la flore – et la littérature scientifique dont les herbiers », souligne Vincent Porcher. « Nous avions déjà une base de noms vernaculaires issue d’études précédentes réalisées notamment dans le cadre du LMI PaysagesLe laboratoire mixte international « Vers un observatoire collaboratif des paysages et de leurs durabilités à Madagascar » (LMI Paysages), impliquant 90 membres, a pour rôle de caractériser les paysages malgaches (diversité, histoire, fonctionnement ,trajectoire) et d’en déduire les enjeux forts et les leviers d’action et d’innovation pour plus de durabilité sociale, écologique et économique. https://umr-sens.fr/fr/-/lmi-paysages1 », ajoute Stéphanie Carrière. 

Sakavirohazo ou poivre à queue de Madagascar (Piper borbonense (Miq.) C.DC.) est récolté dans les forêts d'altitude aux abords de la vallée.

© Vincent Porcher

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Globalement, les savoirs des femmes se spécialisent sur tous les types d’espèces herbacées (autant endémiques qu’introduites) qui sont bouillies et accompagnent le riz lors des repas tandis que ceux des hommes, plus généralistes, se concentrent davantage sur tous les types d’espèces endémiques. « Ce sont les femmes qui s'occupent de cueillir les ressources alimentaires et non pas les hommes », explique Verohanitra Rafidison, ethnobiologiste à l’université d'Antananarivo. N’oublions pas la question aussi de l’expérience vis-à-vis du milieu : les activités quotidiennes obligent les hommes et les femmes à accéder à différents écosystèmes et donc, différentes espèces de plantes. « Les femmes développent des savoirs étendus sur les plantes médicinales notamment celles utilisées durant l’accouchement et les soins au nourrisson alors que les hommes qui gardent le plus souvent les zébus développent des savoirs sur les plantes comestibles que l’on trouve dans les lieux de pâture ou pour des usages vétérinaires », indique Vincent Porcher. 

Les enfants peuvent identifier jusqu’à 84 espèces de plantes sauvages comestibles, majoritairement des espèces introduites, dont 69 % sont communes avec les adultes. « Nous savions que les adultes disposaient d’un savoir important mais ne nous attendions pas ce que les enfants puissent lister autant de plantes », précise Stéphanie Carrière.

Dessin d'enfant représentant deux espèces d'arbres endémiques, leurs détails botaniques et leur interactions biotiques avec lémuriens et oiseaux, dans le cadre du LMI Paysages.

© Vincent Porcher

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Comment expliquer que les plus jeunes connaissent des espèces différentes des adultes ? Selon Vincent Porcher, « de nombreux processus interviennent et il y a plusieurs manières d’acquérir des savoirs : par l’observation mais aussi par la transmission. Il y a la transmission verticale d’adulte à enfant mais, dans de nombreuses petites sociétés à travers le monde comme chez les Betsiléos, nous savons que l’acquisition des connaissances se fait majoritairement par la transmission horizontale, c’est-à-dire d’enfant à enfant. Il faut prendre en compte également le biais générationnel : ce que les enfants observent aujourd’hui et ce que leurs parents ont observé quand ils étaient enfants est différent compte tenu de l’introduction d’espèces exotiques lors des différentes migrations humaines dans l’écosystème. » 

L’intérêt de cette étude est de mettre en valeur les connaissances locales et traditionnelles qui jouent un rôle considérable dans l’adaptation aux changements globaux. « Si l’on se focalise sur la cueillette des espèces alimentaires, activité quotidienne des femmes et des enfants, alors on peut considérer que ce sont eux qui détiennent les connaissances sur les lieux et la période où on peut trouver ces ressources. Ces périodes et lieux de disponibilité des ressources changent avec les temps en fonction de la résilience de l’espèce face aux dynamiques de plusieurs facteurs tels que les changements climatiques et les pressions anthropiques », conclut Verohanitra Rafidison.