En 2020, Cinzia Alessi s’est installée en Nouvelle-Calédonie pour étudier les coraux vivant dans des environnements extrêmes. Ses travaux de thèse en écophysiologie corallienne viennent d’être récompensés par le prix l’Oréal-Unesco Jeune Talent pour les femmes et la science 2023. Portrait de cette biologiste marine qui nous montre que les coraux mettent en place des stratégies pour survivre dans des milieux inhospitaliers.
L’île de Bangka en Indonésie, les îles de la baie de Keppel en Australie, de Thudufushi aux Maldives... la passion des coraux a poussé Cinzia Alessi à parcourir les quatre coins de la planète. Ses objectifs ? Comprendre les mécanismes physiologiques d’adaptation des coraux aux changements climatiques et utiliser ces précieuses connaissances pour mieux restaurer leur aire de répartition. Une course contre la montre est cependant en marche : d’ici la fin du XXIe siècle, les projections annoncent un réchauffement de la planète de 1,8°C à 4°C. Or avec une augmentation de la température de 1,5°C à 2°C au niveau des océans, 70 % à 99 % des récifs coralliens devraient décliner. C’est toute la problématique que la cible 14.3 Réduire au maximum l’acidification des océans et lutter contre ses effets, notamment en renforçant la coopération scientifique à tous les niveaux.sur l’acidification des océans espère contrer.
Conditions environnementales extrêmes

Dendropoma petraum (ou Dendropoma cristatum), ou petit vermet colonial, vit dans son tube calcaire et forme des colonies denses.
© Miguelverdu Javier Guallart, Marta Calvo
Lors de sa licence et son master en biologie marine réalisés à l’université de Palerme en Italie, entre 2012 et 2015, Cinzia Alessi concentre ses compétences et son énergie dans l’évaluation des effets de la température et du pH des océans sur les récifs calcaires de la Méditerranée. Et notamment, ce qu’on appelle un trottoir à vermets, constitué d’une espèce de mollusque gastéropode (Dendropoma cristatum) vivant en agrégation avec d'autres espèces marines.
La fascination pour les coraux survient rapidement pour cette détentrice du diplôme européen de plongée scientifique. Entre 2015 à 2020, elle dépose succinctement sa valise dans cinq pays différents pour réaliser des stages et expériences de recherche sur la conservation et la restauration des coraux. « Quand j’avais 14 ans, je voulais être biologiste marine pour étudier les baleines. Cependant, juste après mon master et notamment pendant mon expérience d’étude des effets des herbes marines sur la physiologie des coraux en condition d’acidification au laboratoire Mote Marine en Floride en 2015, je suis tombée amoureuse des coraux », commente Cinzia Alessi. En 2019, elle sollicite Ricardo Rodolfo-Metalpa, chargé de recherche IRD à l’université de la Nouvelle-Calédonie et à l’unité de recherche Entropie, dont elle suit les travaux, pour réaliser une thèse. Même si elle ne parle pas encore le français comme elle le souhaiterait, elle atterrit sur le Caillou pour réaliser un doctorat ayant pour objet l’étude des impacts physiologiques et reproductifs d’un environnement extrême sur les coraux. « Cela fait huit ans désormais que j’étudie ces animaux complexes vivants en symbiose avec des algues de la famille des Symbiodiniaceae et jouant un rôle écologique très important », poursuit la doctorante italienne qui s’exprime désormais en anglais, en espagnol et en français.
La mangrove de Bouraké : un laboratoire à ciel ouvert
Au sud-ouest de la Nouvelle-Calédonie, sur le site de la mangrove de Bouraké, toutes les conditions sont réunies pour mimer le scénario du réchauffement climatique, à chaque marée basse. En effet, lorsque le niveau de la mer est bas, la direction du courant fait sortir l'eau de la mangrove et expose ainsi les coraux à une eau désoxygénée (dégradation de la matière organique), plus acide et plus chaude.
Acropora ssp., un corail branchu, produit sans cesse de nouvelles branches.
© IRD - Ricardo Rodolfo-Metalpa
En comparaison du site de référence adjacent, l’îlot Puen, la lagune semi-fermée de Bouraké présente une baisse de 0,6 unité de pH (acidification), une température de l’eau supérieure de 2°C et des concentrations en oxygène dissous inférieures de 20 %. En dépit de ces conditions extrêmes, ce sont près d’une soixantaine d’espèces de coraux qui s’y épanouissent. Cinzia Alessi met à profit ses compétences terrain et laboratoire pour élucider leurs potentiels d’acclimatation et leurs capacités de reproduction dans cet environnement extrême. « J’étudie tout particulièrement quatre espèces de coraux branchus appartenant aux genres Acropora et Montipora. Ils produisent sans cesse de nouvelles branches et demeurent très sensibles au changement climatique. Et surtout, ils sont largement représentés dans la zone indopacifique », précise Cinzia Alessi.
Un coup de pouce pour la restauration corallienne
Les résultats de ce projet ont fourni des connaissances qui peuvent ouvrir de nouveaux horizons pour agir et restaurer des coraux, en utilisant, par exemple, le renforcement larvaire.

Cinzia Alessi, passion coraux
© Clémence Losfeld
Comme le souligne Cinzia, « l’expérimentation à Bouraké montre que la production de larves de bonne qualité ne semble pas être affectée par les conditions environnementales. Les adultes préconditionnent leur progéniture en fonction de l'endroit où ils vivent grâce à l'épigenèse. Autrement dit, la modification de l'expression des gènes, sans changer la séquence de l'ADN, sous l’influence de l’exposition à des facteurs environnementaux (agents physiques et chimiques). » Par conséquent, le transfert et l’implantation de larves issues de populations telles que celle de Bouraké pourrait augmenter la résilience de populations plus sensibles au changement climatique.
Pour Cinzia Alessi, convaincue qu’il faut sensibiliser les jeunes filles aux métiers liés à la biologie marine, ce prix L’Oréal-Unesco Jeunes talents pour les femmes et la science est une belle récompense venant saluer son travail de thèse mais aussi ses efforts en français. Prochaines étapes pour la scientifique ? Soutenir sa thèse en février 2024 et peut-être découvrir encore un nouveau pays pour apprendre une cinquième langue !
Prix Jeunes Talents Pour les Femmes et la Science France 2023
Pour lutter contre la sous-représentation des femmes dans les filières et métiers scientifiques, il est nécessaire de valoriser des modèles au féminin.
Dans cet objectif, la Fondation L’Oréal, en partenariat avec l’Académie des sciences et la Commission nationale française pour l’Unesco, décerne cette année encore le Prix Jeunes Talents Pour les Femmes et la Science France 2023 à 35 jeunes chercheuses. Découvrez le portrait de quatre d’entre elles, membres de la planète IRD.
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