Des escrimeurs/escrimeuses en tenue et en garde

L'escrime, en particulier la pratique du fleuret, enseigne aux jeunes détenus à se respecter, à maîtriser leurs émotions, à appliquer des règles, à accepter le regard des autres pour se construire une identité.

© APSE

Sénégal : l’escrime pour rompre le cycle de récidive des personnes mineures

Au Sénégal, la pratique de l’escrime aide des femmes et des hommes mineurs incarcérés à se réinsérer durablement dans la société. Derrière cette idée originale, un programme pédagogique innovant « Escrime et justice réparatrice » dont le succès lui vaut de figurer au programme du Forum de Paris pour la paix, les 10 et 11 novembre 2023.

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À 70 km à l’est de Dakar, une petite révolution est en cours dans le quartier des mineurs de la maison d’arrêt et de correction de Thiès. Deux fois par semaine, un groupe de jeunes en détention quitte ce centre fermé pour rejoindre un complexe sportif construit et géré par l’Association pour le sourire d'un enfant (APSE). Cette ONG, présidée par Nelly Robin, directrice de recherche IRD au Centre Population et Développement (Ceped) et spécialiste du milieu pénal au Sénégal, a en effet développé une méthode pédagogique atypique pour éloigner ces mineurs, hommes et femmes, du cercle de délinquance auquel ils sont confrontés. À travers la pratique de l’escrime, ces jeunes apprennent notamment à se respecter eux-mêmes, à maîtriser leurs émotions, à appliquer des règles, à accepter le regard des autres pour finalement se construire une identité. Depuis 2015, plus de 600 adolescents et adolescentes mineurs ont bénéficié de cette méthode psychothérapeutique sans qu’aucune récidive ne soit à déplorer ! « Ces résultats sont inespérés et dépassent largement nos attentes », se réjouit Nelly Robin qui œuvre depuis vingt ans auprès de jeunes Sénégalaises et Sénégalais en difficulté.

Des individus mineurs déstructurés

Les parcours de vie de ces jeunes détenus sont en effet très difficiles, voire tragiques. 

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« Certains étaient livrés à eux-même et vivaient dans la rue, d’autres ont fui des violences intrafamilliales », indique Jean-Augustin Tine, chef de la division santé mentale du ministère de la Santé et de l'Action sociale du Sénégal, qui, en tant que psychiatre, participe à l’évaluation psychologique de ces jeunes. Sans repère ni cadre approprié pour se développer, ces mineurs se retrouvent en conflit avec la loi et sont incarcérés très jeunes, parfois dès huit ans, pour des vols aggravés et des violences. « Des jeunes filles sont aussi emprisonnées après avoir été accusées d’infanticides, pratiqués à la suite de grossesses non désirées », ajoute Nelly Robin. Pourtant, « le milieu carcéral est un environnement de privation qui n’est pas adapté aux enfants et aux adolescents », déplore Jean-Augustin Tine.

Un sport atypique

C’est pour humaniser leurs conditions de détention et rompre le cycle de récidive que le projet « Escrime et justice réparatrice » a vu le jour il y a plus de dix ans à Thiès. 

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Coordonné par l’APSE en partenariat avec plusieurs laboratoires de recherche sénégalais et français ainsi que les ministères de la Justice et de la Santé du Sénégal, ce programme pédagogique vise selon Nelly Robin « à donner des outils à ces jeunes mineurs pour réparer les traumas qui ont jalonné leurs parcours et à capitaliser leur capacité d’autonomie en vue d’une future réinsertion durable via la pratique du fleuret. À travers ce sport, ces jeunes intègrent en effet cinq fondamentaux psychologiques – l’identité, la socialisation, le sens des responsabilités, le contrôle de soi ou encore l’habilité motrice – essentiels pour maintenir leur inclusion dans la société ».

Une reconnaissance (inter)nationale

Les résultats de cette méthode sont très positifs pour les jeunes mineurs qui ont participé au programme mais aussi pour leurs co-détenus. 

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« Comme par capillarité, leur taux de récidive a aussi largement baissé et il y a moins de violence carcérale dans le quartier des mineurs de la maison d’arrêt, souligne Nelly Robin. Le regard des agents pénitentiaires sur ces jeunes détenus a en conséquence évolué et le dialogue s’est instauré. » Fort de ces succès qui rejoignent l’objectif de développement durable 16 centré sur « la Paix, la justice et les institutions efficaces », une académie dédiée à cette méthode est en cours de création à Thiès. Opérationnelle en début d’année prochaine, elle permettra de transférer les compétences acquises à de nouveaux éducateurs et de déployer cette méthode à d’autres régions du Sénégal. Ce programme pédagogique vient d’ailleurs de recevoir le 7 novembre dernier à Dakar le prix spécial du jury du Sport Impact Summit 2023 dédié à la pratique sportive en Afrique. Il figure par ailleurs au programme du Forum de Paris pour la paix, les 10 et 11 novembre 2023. Des pays africains comme la Côte d’Ivoire, le Rwanda ou encore le Maroc mais aussi la France sont d’ailleurs intéressés pour tenter l’expérience au sein de leur système pénitentiaire. « Au-delà du milieu carcéral, cette méthode peut être adaptée pour répondre aux besoins d’autres jeunes mineurs », ajoute Jean-Augustin Tine. Des enfants victimes de violences à Thiès sont déjà pris en charge par l’APSE qui, grâce à ce programme, aide ces futurs citoyens à faire face aux profonds changements socio-environnementaux  qui bouleversent le Sénégal et l’ensemble du continent africain.

De l'escrime à l'estime : une réponse à la récidive

Documentaire réalisé par Nils Tavernier - Durée : 52' / Année : 2022
Coproduction :  Wag Prod / LCP-Assemblée nationale